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Éric Romuald Lipop : « Il serait important de mettre en place un certain nombre de critères de convergence dans la Cemac »

Le juriste fiscaliste analyse les grands défis qui interpellent la sous-région Afrique centrale répond aux questions de Invest-Time.

14 Min Lecture
Eric Romuald Lipop, juriste fiscaliste.

DANS CE DOSSIER CEMAC

  1. Faustin-Archange Touadera, le nouveau président de la Cemac, par rotation des postes
  2. Franc CFA, la révision progressive de la coopération avec la France
  3. Poids économique, la zone Cemac peine à transformer ses matières premières
  4. Opportunités d’investissement, l’Afrique centrale en chantier
  5. La difficile marche de la Cemac vers l’intégration
  6. Éric Romuald Lipop : « Il serait important de mettre en place un certain nombre de critères de convergence dans la Cemac »

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Quels sont, selon vous, les grands défis qui attendent la présidence du président FaustinArchange Touadera à la présidence de la Cemac ?

Ă€ la suite du dernier sommet ordinaire des chefs d’État de la Cemac tenu Ă  YaoundĂ© courant le mois de mars 2023 et prĂ©cisĂ©ment le 17 mars 2023, le prĂ©sident de la RĂ©publique centrafricaine Faustin Archange TouadĂ©ra a Ă©tĂ© portĂ© Ă  la tĂŞte de la prĂ©sidence de la Cemac.  Bien Ă©videmment, il est important d’indiquer que la prĂ©sidence du prĂ©sident TouadĂ©ra sera,  de notre point de vue, marquĂ©e par un ensemble de dĂ©fis qu’il se devra de relever au niveau de la Cemac. DĂ©fi d’ordre sĂ©curitaire, dĂ©fi d’ordre Ă©conomique, mais surtout, dĂ©fi d’intĂ©gration au niveau de la sous-rĂ©gion de la Cemac.

S’agissant prĂ©cisĂ©ment du dĂ©fi sĂ©curitaire, il est important d’indiquer que la sous-rĂ©gion Afrique centrale connait depuis quelques temps un ensemble de crises sĂ©curitaires qui impose Ă  l’ensemble des États de cette sous-rĂ©gion, la mise en place d’un système de sĂ©curitĂ© afin de sĂ©curiser leurs diffĂ©rents territoires nationaux  qui sont Ă  la portĂ©e de plusieurs Ă©lĂ©ments d’insĂ©curitĂ©  aujourd’hui.  Nous avons encore en souvenance, du cĂ´tĂ© de l’Est du Cameroun, les rĂ©currentes incursions des groupes armĂ©s de la Seleka. Nous avons Ă©galement au niveau de la sortie du Cameroun Ă  Kye-ossi, prĂ©cisĂ©ment Ă  Ambam, la frontière commune entre le Cameroun, la GuinĂ©e Ă©quatoriale et le Gabon, souvent de nombreuses dĂ©mĂŞlĂ©es entre les habitants des diffĂ©rents pays qui causent toujours plusieurs problèmes de cohĂ©sion et de sĂ©curitĂ© entre ces diffĂ©rents pays. Sans oublier les incursions et les tentatives de coups d’État qu’il y a eu au niveau de la GuinĂ©e Ă©quatoriale et dont les mercenaires seraient passĂ©s par certains pays de la sous-rĂ©gion.

Donc, dans un contexte international marquĂ© par la montĂ©e en puissance de l’insĂ©curitĂ©, il serait important aujourd’hui, dans le cadre de la prĂ©sidence du prĂ©sident Faustin-Archange TouadĂ©ra,  de mettre en place les axes sĂ©curitaires qui permettront Ă  la sous-rĂ©gion Afrique centrale de vĂ©ritablement impulser ses stratĂ©gies de dĂ©veloppement Ă©conomique, en faisant reposer ces axes sur des Ă©lĂ©ments de paix, de stabilitĂ©, Ă©lĂ©ments sans lesquels, tout dĂ©veloppement est impossible.  Le deuxième enjeu est d’ordre Ă©conomique, parce que les dĂ©fis Ă©conomiques entre les diffĂ©rents États de l’Afrique centrale s’imposent avec acuitĂ©. DĂ©fis d’industrialisation, dĂ©fis de la consommation des populations et un dĂ©fi de mettre en place un marchĂ© sous rĂ©gional qui permettra de relever les entreprises de cette sous-rĂ©gion, de crĂ©er une certaine circulation, et lĂ  j’embraie directement au dĂ©fi communautariste, c’est-Ă -dire, une libre circulation des biens et des personnes dans l’espace Cemac.

Qu’est-ce qui peut expliquer les difficultés de la Cemac à mettre en œuvre effectivement l’intégration sous régionale, notamment à travers la libre circulation des personnes et des biens ?

S’agissant des difficultés de l’intégration sous-régionale au niveau de la Cemac, il faut relever que le communautarisme de la plupart des sous-régions en Afrique repose essentiellement sur des affinités d’ordre géographique et historique. Or, ces affinités qui ne reposent pas fondamentalement sur des sortes de cohésion et de convergence économiques ont toujours de la peine à imposer aux États une ligne de conduite économique similaire, dès l’instant où tous les pays d’une sous-région n’ont pas une même vision économique et une même vision du développement économique. S’agissant précisément de la sous-région de l’Afrique centrale, l’intégration économique a du mal à s’imposer dans notre sous-région sur la base d’un certain nombre d’éléments.

Premièrement, les divergences d’ordre économique, parce qu’il est important d’indiquer, comme nous le démontrions dans l’un de nos ouvrages que le communautarisme dans les sous-régions devrait reposer sur une base économique, c’est-à-dire mettre en place, au moment de la création des communautarismes africains, des bases économiques qui doivent être des leviers sur lesquels les États qui prétendent à l’intégration dans une communauté doivent pouvoir surfer, parce que les divergences économiques entre les multiples États ne permettent pas souvent aux États forts de supporter la pauvreté ou le sous-développement de ceux qu’on pourrait appeler les États faibles.

Lorsque nous voyons la structure économique ou la structure du développement économique de la sous-région Cemac, nous constaterons fondamentalement que le Cameroun apparait comme une puissance économique, le moteur du développement économique dans cette sous-région. Sur un autre point, depuis la découverte du pétrole dans les États comme la Guinée équatoriale, nous avons observé une montée en puissance (monétaire et financière) des États comme la Guinée équatoriale. Ce qui suscite une sorte de challenge entre les différents États, les uns considérant les autres comme des États faibles et qui ne peuvent pas véritablement leur apporter un plus dans le jeu du communautarisme économique. Raison pour laquelle, il serait important dans le cadre du communautarisme africain et précisément le communautarisme de la sous-région Afrique centrale Cemac, de mettre un certain nombre de critères de convergence.

Ces critères de convergence doivent être des préalables pour l’acceptation des États dans un espace communautaire. Des préalables d’ordre économique, des préalables d’ordre social, des préalables d’ordre financier, des préalables de dénivellement des entreprises, des préalables de nivellement du niveau de vie des populations, des préalables du nivellement du développement économique. Cela éviterait que certains États puissent se considérer comme ces États-là qui porteraient la pauvreté des autres États. Voilà fondamentalement un ensemble d’éléments qui contribuent à entraver l’intégration sous régionale au niveau de la Cemac.

Le dernier sommet des chefs d’État a retenu 11 projets intégrateurs, pensez-vous que ceux-ci ont des chances d’être mis en œuvre ?

Le dernier sommet des chefs d’État a retenu un ensemble de projets intégrateurs qui devraient être mis en œuvre dans le cadre de la Cemac, afin de faciliter l’intégration économique au niveau de la sous-région. Ces projets intégrateurs qui ont pour vocation d’être des éléments de convergence, des éléments de cohérence et des éléments d’union entre ces différents États peuvent contribuer à impulser cette dynamique intégrative au niveau de cette sous-région.

Mais seulement, il faudrait poser un certain nombre de préalables. Le financement des projets intégrateurs dans un communautarisme doit se faire sur la base d’un fonds qui sera financé, soit par un impôt communautaire qui sera alors mis en place dans le cadre de cette sous-région, qui résulterait d’une volonté que les États vont mettre en place, dans la possibilité de capter une certaine ressource qui permettra de financer ces projets intégrateurs de développement. Ou encore, les États en interne doivent pouvoir trouver des financements qui leur permettront de mettre en œuvre ces projets intégrateurs qui vont donner un coup d’accélérateur au processus d’intégration économique de la zone Cemac.

Or, en l’état actuel, il y a un certain nombre de facteurs qui nous amènent Ă  nous interroger sur la volontĂ© rĂ©elle de mettre en place ces onze projets intĂ©grateurs, lorsqu’on sait qu’un ensemble de projets intĂ©grateurs trouvent leurs financements au niveau des bailleurs de fonds occidentaux, ou alors, des dons faits par certaines structures, que ce soit caritatives, que ce soit de fonds financiers europĂ©ens. On se pose alors la question de savoir comment est-ce qu’un communautarisme africain peut asseoir les bases de son intĂ©gration Ă©conomique en s’appuyant sur des fonds qui viendraient d’un autre communautarisme europĂ©en qui n’a aucun intĂ©rĂŞt Ă  voir les États africains unis. Car, ne dit-on pas souvent qu’il faut diviser pour mieux rĂ©gner ?

Donc, il serait important pour véritablement voir si nos projets intégrateurs vont impulser les politiques de développement communautaire dans notre sous-région Cemac, de réfléchir en interne sur les financements, sur le fonds de financement qui doit se faire soit en termes de prélèvement d’un impôt communautaire qui devra être pensé et mis en place dans le cadre d’une réflexion des institutions de cette communauté ; soit encore des reversements qui seront effectués par les différents États et à échéances prévues.

Sur la question du franc CFA, comment expliquez-vous les réticences des chefs d’État de la Cemac à mettre en œuvre les réformes attendues en matière monétaire ?

S’agissant précisément de la question monétaire, c’est-à-dire de la volonté de création d’une monnaie au niveau des États de la Cemac, ou encore de la sortie du Franc CFA. Il est important de dire que c’est sur le plan économique et précisément sur le plan monétaire que la monnaie est un instrument d’autonomie pour les États. Il faut dire qu’au niveau de la Cemac, c’est une question dont les réflexions ne sont pas encore suffisamment poussées, afin de permettre aux différents États de se prononcer dessus de manière unanime, parce que lorsque nous partons sur les éléments de base d’une monnaie : réserves d’échanges, éléments de parité et un ensemble d’autres. Il faut dire qu’au niveau monétaire, les États de la sous-région Cemac sont adossés sur l’Euro, mais précisément sur le Franc français qui constitue notre garantie de convertibilité au niveau du marché international.

Or, la question de la monnaie, au-delà de son aspect technique, relève d’une dynamique politique encore plus large qu’il serait important pour les États africains, pour l’instant, de réfléchir sur l’ensemble des contours qui pourraient nous éviter de mettre en place une monnaie qui, sur le plan du commerce international, constituera un frein à notre développement, et pourquoi pas un instrument pour une crise économique énorme, parce que ce sont les questions techniques qui peuvent trouver des solutions cuites de l’approche politique. Donc, de notre point de vue, cette question mérite encore des réflexions suffisamment poussées pour que les différents États puissent se prononcer avec sérénité et assurance.

La RCA qui a montré son penchant vers la crypto monnaie peut-elle en booster l’adoption par l’ensemble des autres États ?

Bien Ă©videmment, la RĂ©publique centrafricaine a montrĂ© son penchant depuis quelques annĂ©es sur la crypto monnaie, en l’intĂ©grant dans le circuit financier de ce pays. Parallèlement, nous avons vu les sorties des autoritĂ©s monĂ©taires de la Cemac en occurrence le gouverneur de la BĂ©ac qui s’est prononcĂ© ouvertement sur cette monnaie qui,  en son sens, ne remplissait pas encore un ensemble de conditions de recevabilitĂ© pour pouvoir ĂŞtre un instrument sĂ©rieux, crĂ©dible pour garantir les Ă©changes entre les diffĂ©rents agents Ă©conomiques  dans la Cemac. C’est une question qui est en rĂ©flexion, c’est une question qui est en dĂ©bat. Nous pensons donc que la prĂ©sidence du prĂ©sident TouadĂ©ra permettra de clarifier un ensemble d’élĂ©ments relatifs Ă  cette question, afin de permettre aux diffĂ©rents États de la Cemac de savoir si oui ou non, ce mode de financement de l’économie dans cette sous-rĂ©gion pourrait permettre d’impulser des dynamiques d’autonomisation et des dynamiques intĂ©gratives en interne.

Propos recueillis par Blaise Nnang

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