DANS CE DOSSIER CEMAC
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- Franc CFA, la révision progressive de la coopération avec la France
- Poids économique, la zone Cemac peine à transformer ses matières premières
- Opportunités d’investissement, l’Afrique centrale en chantier
- La difficile marche de la Cemac vers l’intégration
- Éric Romuald Lipop : « Il serait important de mettre en place un certain nombre de critères de convergence dans la Cemac »
Quels sont, selon vous, les grands défis qui attendent la présidence du président Faustin–Archange Touadera à la présidence de la Cemac ?
À la suite du dernier sommet ordinaire des chefs d’État de la Cemac tenu à Yaoundé courant le mois de mars 2023 et précisément le 17 mars 2023, le président de la République centrafricaine Faustin Archange Touadéra a été porté à la tête de la présidence de la Cemac. Bien évidemment, il est important d’indiquer que la présidence du président Touadéra sera, de notre point de vue, marquée par un ensemble de défis qu’il se devra de relever au niveau de la Cemac. Défi d’ordre sécuritaire, défi d’ordre économique, mais surtout, défi d’intégration au niveau de la sous-région de la Cemac.
S’agissant précisément du défi sécuritaire, il est important d’indiquer que la sous-région Afrique centrale connait depuis quelques temps un ensemble de crises sécuritaires qui impose à l’ensemble des États de cette sous-région, la mise en place d’un système de sécurité afin de sécuriser leurs différents territoires nationaux qui sont à la portée de plusieurs éléments d’insécurité aujourd’hui. Nous avons encore en souvenance, du côté de l’Est du Cameroun, les récurrentes incursions des groupes armés de la Seleka. Nous avons également au niveau de la sortie du Cameroun à Kye-ossi, précisément à Ambam, la frontière commune entre le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Gabon, souvent de nombreuses démêlées entre les habitants des différents pays qui causent toujours plusieurs problèmes de cohésion et de sécurité entre ces différents pays. Sans oublier les incursions et les tentatives de coups d’État qu’il y a eu au niveau de la Guinée équatoriale et dont les mercenaires seraient passés par certains pays de la sous-région.
Donc, dans un contexte international marqué par la montée en puissance de l’insécurité, il serait important aujourd’hui, dans le cadre de la présidence du président Faustin-Archange Touadéra, de mettre en place les axes sécuritaires qui permettront à la sous-région Afrique centrale de véritablement impulser ses stratégies de développement économique, en faisant reposer ces axes sur des éléments de paix, de stabilité, éléments sans lesquels, tout développement est impossible. Le deuxième enjeu est d’ordre économique, parce que les défis économiques entre les différents États de l’Afrique centrale s’imposent avec acuité. Défis d’industrialisation, défis de la consommation des populations et un défi de mettre en place un marché sous régional qui permettra de relever les entreprises de cette sous-région, de créer une certaine circulation, et là j’embraie directement au défi communautariste, c’est-à-dire, une libre circulation des biens et des personnes dans l’espace Cemac.
Qu’est-ce qui peut expliquer les difficultés de la Cemac à mettre en œuvre effectivement l’intégration sous régionale, notamment à travers la libre circulation des personnes et des biens ?
S’agissant des difficultés de l’intégration sous-régionale au niveau de la Cemac, il faut relever que le communautarisme de la plupart des sous-régions en Afrique repose essentiellement sur des affinités d’ordre géographique et historique. Or, ces affinités qui ne reposent pas fondamentalement sur des sortes de cohésion et de convergence économiques ont toujours de la peine à imposer aux États une ligne de conduite économique similaire, dès l’instant où tous les pays d’une sous-région n’ont pas une même vision économique et une même vision du développement économique. S’agissant précisément de la sous-région de l’Afrique centrale, l’intégration économique a du mal à s’imposer dans notre sous-région sur la base d’un certain nombre d’éléments.
Premièrement, les divergences d’ordre économique, parce qu’il est important d’indiquer, comme nous le démontrions dans l’un de nos ouvrages que le communautarisme dans les sous-régions devrait reposer sur une base économique, c’est-à-dire mettre en place, au moment de la création des communautarismes africains, des bases économiques qui doivent être des leviers sur lesquels les États qui prétendent à l’intégration dans une communauté doivent pouvoir surfer, parce que les divergences économiques entre les multiples États ne permettent pas souvent aux États forts de supporter la pauvreté ou le sous-développement de ceux qu’on pourrait appeler les États faibles.
Lorsque nous voyons la structure économique ou la structure du développement économique de la sous-région Cemac, nous constaterons fondamentalement que le Cameroun apparait comme une puissance économique, le moteur du développement économique dans cette sous-région. Sur un autre point, depuis la découverte du pétrole dans les États comme la Guinée équatoriale, nous avons observé une montée en puissance (monétaire et financière) des États comme la Guinée équatoriale. Ce qui suscite une sorte de challenge entre les différents États, les uns considérant les autres comme des États faibles et qui ne peuvent pas véritablement leur apporter un plus dans le jeu du communautarisme économique. Raison pour laquelle, il serait important dans le cadre du communautarisme africain et précisément le communautarisme de la sous-région Afrique centrale Cemac, de mettre un certain nombre de critères de convergence.
Ces critères de convergence doivent être des préalables pour l’acceptation des États dans un espace communautaire. Des préalables d’ordre économique, des préalables d’ordre social, des préalables d’ordre financier, des préalables de dénivellement des entreprises, des préalables de nivellement du niveau de vie des populations, des préalables du nivellement du développement économique. Cela éviterait que certains États puissent se considérer comme ces États-là qui porteraient la pauvreté des autres États. Voilà fondamentalement un ensemble d’éléments qui contribuent à entraver l’intégration sous régionale au niveau de la Cemac.
Le dernier sommet des chefs d’État a retenu 11 projets intégrateurs, pensez-vous que ceux-ci ont des chances d’être mis en œuvre ?
Le dernier sommet des chefs d’État a retenu un ensemble de projets intégrateurs qui devraient être mis en œuvre dans le cadre de la Cemac, afin de faciliter l’intégration économique au niveau de la sous-région. Ces projets intégrateurs qui ont pour vocation d’être des éléments de convergence, des éléments de cohérence et des éléments d’union entre ces différents États peuvent contribuer à impulser cette dynamique intégrative au niveau de cette sous-région.
Mais seulement, il faudrait poser un certain nombre de préalables. Le financement des projets intégrateurs dans un communautarisme doit se faire sur la base d’un fonds qui sera financé, soit par un impôt communautaire qui sera alors mis en place dans le cadre de cette sous-région, qui résulterait d’une volonté que les États vont mettre en place, dans la possibilité de capter une certaine ressource qui permettra de financer ces projets intégrateurs de développement. Ou encore, les États en interne doivent pouvoir trouver des financements qui leur permettront de mettre en œuvre ces projets intégrateurs qui vont donner un coup d’accélérateur au processus d’intégration économique de la zone Cemac.
Or, en l’état actuel, il y a un certain nombre de facteurs qui nous amènent à nous interroger sur la volonté réelle de mettre en place ces onze projets intégrateurs, lorsqu’on sait qu’un ensemble de projets intégrateurs trouvent leurs financements au niveau des bailleurs de fonds occidentaux, ou alors, des dons faits par certaines structures, que ce soit caritatives, que ce soit de fonds financiers européens. On se pose alors la question de savoir comment est-ce qu’un communautarisme africain peut asseoir les bases de son intégration économique en s’appuyant sur des fonds qui viendraient d’un autre communautarisme européen qui n’a aucun intérêt à voir les États africains unis. Car, ne dit-on pas souvent qu’il faut diviser pour mieux régner ?
Donc, il serait important pour véritablement voir si nos projets intégrateurs vont impulser les politiques de développement communautaire dans notre sous-région Cemac, de réfléchir en interne sur les financements, sur le fonds de financement qui doit se faire soit en termes de prélèvement d’un impôt communautaire qui devra être pensé et mis en place dans le cadre d’une réflexion des institutions de cette communauté ; soit encore des reversements qui seront effectués par les différents États et à échéances prévues.
Sur la question du franc CFA, comment expliquez-vous les réticences des chefs d’État de la Cemac à mettre en œuvre les réformes attendues en matière monétaire ?
S’agissant précisément de la question monétaire, c’est-à-dire de la volonté de création d’une monnaie au niveau des États de la Cemac, ou encore de la sortie du Franc CFA. Il est important de dire que c’est sur le plan économique et précisément sur le plan monétaire que la monnaie est un instrument d’autonomie pour les États. Il faut dire qu’au niveau de la Cemac, c’est une question dont les réflexions ne sont pas encore suffisamment poussées, afin de permettre aux différents États de se prononcer dessus de manière unanime, parce que lorsque nous partons sur les éléments de base d’une monnaie : réserves d’échanges, éléments de parité et un ensemble d’autres. Il faut dire qu’au niveau monétaire, les États de la sous-région Cemac sont adossés sur l’Euro, mais précisément sur le Franc français qui constitue notre garantie de convertibilité au niveau du marché international.
Or, la question de la monnaie, au-delà de son aspect technique, relève d’une dynamique politique encore plus large qu’il serait important pour les États africains, pour l’instant, de réfléchir sur l’ensemble des contours qui pourraient nous éviter de mettre en place une monnaie qui, sur le plan du commerce international, constituera un frein à notre développement, et pourquoi pas un instrument pour une crise économique énorme, parce que ce sont les questions techniques qui peuvent trouver des solutions cuites de l’approche politique. Donc, de notre point de vue, cette question mérite encore des réflexions suffisamment poussées pour que les différents États puissent se prononcer avec sérénité et assurance.
La RCA qui a montré son penchant vers la crypto monnaie peut-elle en booster l’adoption par l’ensemble des autres États ?
Bien évidemment, la République centrafricaine a montré son penchant depuis quelques années sur la crypto monnaie, en l’intégrant dans le circuit financier de ce pays. Parallèlement, nous avons vu les sorties des autorités monétaires de la Cemac en occurrence le gouverneur de la Béac qui s’est prononcé ouvertement sur cette monnaie qui, en son sens, ne remplissait pas encore un ensemble de conditions de recevabilité pour pouvoir être un instrument sérieux, crédible pour garantir les échanges entre les différents agents économiques dans la Cemac. C’est une question qui est en réflexion, c’est une question qui est en débat. Nous pensons donc que la présidence du président Touadéra permettra de clarifier un ensemble d’éléments relatifs à cette question, afin de permettre aux différents États de la Cemac de savoir si oui ou non, ce mode de financement de l’économie dans cette sous-région pourrait permettre d’impulser des dynamiques d’autonomisation et des dynamiques intégratives en interne.
Propos recueillis par Blaise Nnang