Le 17 juillet, dernier, la Russie a annoncé, de manière unilatérale, la suspension de sa participation à l’accord sur la mer Noire.
Les accords sur la mer Noire ont cessé d’être valides aujourd’hui
a annoncé ce 17 juillet le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, face à la presse à Moscou.
Lesdits accords avaient été signés un an jour pour jour plus tôt à Istanbul par le Kremlin et Kiev, à l’issue d’âpres négociations de l’Onu et de la Turquie pour permettre à l’Ukraine d’exporter ses céréales depuis la mer Noire, et, ce faisant, éviter une crise alimentaire mondiale d’une ampleur sans précédent.
En un an, l’accord a permis l’exportation depuis les ports ukrainiens de près de 33 millions de tonnes de céréales. Moscou a motivé sa décision par le fait qu’elle peinait à écouler ses propres céréales et engrais, dans le contexte des sanctions imposées par les pays occidentaux contre Moscou à la suite des « opérations spéciales » lancées en Ukraine par la Russie depuis le 22 février 2022.
Malheureusement, la partie de ces accords sur la mer Noire relative à la Russie n’a pas été appliquée jusqu’à présent, donc ses effets sont terminés,
a précisé le porte-parole du président Vladimir Poutine ajouté.
Avant d’ajouter :
Dès lors que la partie russe de l’accord est remplie, la Russie reviendra à une application de cet accord, immédiatement.
Par ailleurs, dès le début de la mise en œuvre de ces accords, Moscou avait dénoncé le détournement des cargaisons de céréales par les pays occidentaux, ce alors même que ces vivres étaient destinés au continent africain, qui exprime le plus grand besoin en matière des céréales et des engrais.
La Russie est le plus grand exportateur de blé au monde, et l’Ukraine se classe cinquième. À l’échelle mondiale, ces deux pays assurent ensemble 19 pour cent de l’offre d’orge, 14 pour cent de l’offre de blé et 4 pour cent de l’offre de maïs, et réalisent plus d’un tiers des exportations mondiales de céréales.
Nouvelles menaces sur la baguette de pain
Le retrait de la Russie des accords céréaliers sur la mer Noire constitue par conséquent une grave menace non seulement sur les importations mondiales de ces denrées alimentaires, mais aussi et surtout sur la sécurité alimentaire mondiale. Le secrétaire général des Nations Unies a d’ores et déjà affirmé que des millions de personnes dans le monde, majoritairement des Africains, allaient en payer le prix.
Dans la foulée, le 19 juillet, le magazine Jeune Afrique annonçait un « péril sur les prix des denrées alimentaires en Afrique » après la suspension des accords sur les céréales ukrainiennes. Notre confrère Usines Nouvelles lui emboîtait le pas en annonçant que « les prix mondiaux des denrées alimentaires ont modérément augmenté ce 17 juillet, ce qui suggère que les opérateurs de marchés ne craignent pas de crise de l’offre pour le moment. Le contrat de blé Wv1 le plus actif du Chicago Board of Trade stagnait à 6,61-3/4 dollars le boisseau à 13h56 GMT ».
Dans la ligne de mire de la famine qui se pointe à l’horizon, l’Afrique se positionne au premier plan. Le continent classé parmi les plus pauvres de la planète pourrait connaître dans les mois à venir une rupture significative de ses approvisionnements en céréales, entraînant des épisodes regrettables d’inflation et de famine comme celles qui ont affecté les pays du Sud entre 2020 et 2021, au plus fort de la crise sanitaire du Covid-19, donnant lieu à des mouvements de protestation contre la vie chère dans certains pays de l’Amérique latine en particulier.
Cette conjoncture s’était détériorée dès février 2022, au lendemain du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. Le prix de la baguette de pain a connu une hausse au Cameroun, pour ne considérer que cet exemple, sans que la qualité de cette denrée n’ait été améliorée pour autant. En dépit de l’indignation des associations de consommateurs, la baguette est passée de 125 francs à 150 F CFA.
Une industrie de production d’engrais encore embryonnaire
Toujours au Cameroun, l’on a assisté à une « hausse généralisée et inédite » des prix des matières premières et des intrants, allant de 30% à 400%, selon les observations du Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), le principal regroupement des patrons de ce pays de l’Afrique centrale.
Une inflation précédée par la hausse des prix de carburants, elle-même consécutive à la décision du gouvernement de supprimer la subvention des cours de produits pétroliers à la pompe. Dans ces conditions, l’Afrique a désormais les yeux rivés vers la Russie, qui a d’ores et déjà annoncé la livraison sous la forme d’aide, du blé aux pays africains, mais pas à toutes.
Les pays les plus vulnérables vont pour le moment bénéficier de cette manne. Hormis le « regret » exprimé après le retrait russe par le président de la Commission de l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, via un tweet, aucune mesure concrète n’a été annoncée, ce alors même que l’urgence est signalée. Le continent n’a par conséquent que ses yeux pour pleurer face aux mauvais temps qui se profilent.
Car en l’état actuel, l’Afrique au sud du Sahara, en particulier, n’est pas prête pour parer au plus urgent. Faute de moyens et d’anticipation, du fait de la navigation à vue, le continent n’est pas en mesure de proposer une alternative à la farine de blé, aux céréales tout court.
L’industrie de production des engrais demeure embryonnaire sur une majeure partie du continent, quand elle n’est pas simplement inexistante. Elle ne permet pas à cette partie du monde de produire une quantité d’aliments assez suffisants pour nourrir une population sans cesse croissante, actuellement estimée à près d’1,2 milliards d’âmes.
L’Afrique est par conséquent condamnée à importer les engrais pour augmenter sa production agricole. Chaque année, l’Afrique dépense jusqu’à 64,5 milliards de dollars pour importer les denrées alimentaires.
L’Egypte et le Maroc peuvent se frotter les mains
Pourtant, le continent est une niche de matières premières, notamment de produits phosphatés et dérivés, de pétrole et de gaz, entre autres matières premières. Cependant, les seuls pays africains producteurs d’engrais à grande échelle, pour le moment, sont l’Egypte et le Maroc.
Ces deux pays hébergent les deux mastodontes de la filière des fertilisants au niveau du continent, notamment le groupe marocain OCP et le conglomérat Egyptian Financial and Industrial Company (EFIC). Les deux leaders se positionnent aussi bien sur le marché africain que sur celui du Moyen Orient. La société à capitaux publics égyptienne, fondée depuis 1929, produit chaque année 2 millions de tonnes de fertilisants et elle compte parmi les poids lourds du continent.
Sa production d’engrais, de monophosphate d’ammonium notamment, n’a été que de 800 000 tonnes en 2021 en raison de la crise sanitaire. Avec le retrait russe des accords céréaliers et l’inflation des prix attendue, les deux pays producteurs maghrébins pourront se frotter les mains. Ils pourront réaliser de bonnes affaires, comme ce fut déjà le cas en 2021, où les bénéfices s’étaient accrus considérablement en particulier pour EFIC.
Les autres pays en l’occurrence ceux de l’Afrique subsaharienne semblent avoir déjà pris conscience de la gravité de la situation et songent déjà à la mise en sur pied de leurs propres usines de production des engrais. Toutefois, ils sont confrontés à un problème criard de financement. Les soutiens apportés aux Etats par l’Union africaine, via ses institutions spécialisées, dont la Banque africaine pour le développement (Bad), se sont confinés, jusqu’ici, à l’aide à l’importation des engrais.
La conséquence est que, le paysan africain utilise jusqu’ici, pour ses fermes, 17 kg d’engrais par hectare, loin en-deçà des 50 kg préconisés par l’Union africaine. C’est dans ce contexte que le Nigérian Aliko Dangote a décidé de briser la loi du monopole en investissant récemment 2,5 milliards de dollars dans la construction d’une usine de production des engrais.
Il permet ainsi à son pays de se positionner sur le marché des engrais comme un champion dans la production de l’urée en portant la capacité actuelle du pays de 1,8 mégatonne à 4,4 millions de tonnes.