Peu fréquent dans l’ensemble des pays africains, le concept d’incubation d’entreprises est assimilé à un processus à la fois social et managérial dont l’objectif est de fournir un soutien en termes de développement des initiatives entrepreneuriales. Certains chercheurs l’ont aussi défini comme « un processus d’apprentissage et d’assistance qui permet à un individu d’acquérir les compétences et les ressources nécessaires pour entreprendre ».
Du point de vue historique, la littérature économique indique que c’est au courant des années 1950 que ce concept a émergé aux Etats-unis chez les spécialistes en informatique de l’université du Minnesota. Les premiers incubateurs furent d’ailleurs établis à Batavia et New-York en 1959 avant de s’étendre dans divers pays à l’étranger dans les années 1970, au regard de leur impact en matière de création des PME, de la richesse et des emplois.
Dans ce sens, d’après les études menées par Birch David aux Etats-unis, au cours de la période 1969-1976, les petites entreprises comprenant moins de 100 employés créèrent environ 81%« de nouveaux emplois net », ceci en raison des mesures institutionnelles favorables à la création d’entreprises, consécutives à la vulgarisation du Small Business Act. D’après un auteur, les Etats-unis comptaient en 2003 plus de 1000 incubateurs tandis qu’en Chine on en dénombrait 500. Au courant de l’année 2005 au Canada, on dénombrait environ 83 incubateurs qui créèrent un peu plus de 13 000 emplois, même si la plupart étaient de petites entreprises.
Au Cameroun, à l’avantage de certains pays, le législateur a envisagé l’incubation d’entreprises comme « une stratégie particulière d’appui à la création des PME qui vise la diffusion de la culture d’entreprises, et l’accompagnement des entrepreneurs débutants dans toutes les opérations nécessaires à la consolidation de leurs capacités, de leurs idées de projets et de leurs initiatives ». Cette stratégie d’accompagnement longtemps attendue par les entrepreneurs permettrait de résoudre une multitude d’insatisfactions, notamment l’insuffisance d’accompagnateurs des PME, le faible suivi des entreprises déjà créées et installées, les faibles capacités d’accueil qui limitent le processus d’hébergement des entreprises, la forte dépendance des incubateurs publics des ressources budgétaires, le retard dans la levée des fonds au terme du processus d’accompagnement, le faible suivi post incubation, le manque d’installations adéquates de production pour le démarrage des activités des incubés du secteur agropastoral, l’absence de fonds autonomes de financement des porteurs de projets, les difficultés de recouvrement des fonds mis à disposition aux entrepreneurs assistés et encadrés au sein des accompagnateurs.
Une dizaine d’années après la promulgation de la Loi de promotion des PME au Cameroun, l’arsenal juridique s’est enrichi du Décret fixant les modalités d’accomplissement des missions des structures d’incubation, ainsi que divers Arrêtés d’application pris par le ministre des PME, pour faciliter l’opérationnalisation des dispositions du décret. Ces textes d’application apportent des précisions sur les aspects procéduraux d’agrément et d’accord de partenariat des structures privées et publiques d’incubation, ainsi que la composition et les règles de fonctionnement du Comité de validation des dispositifs d’accompagnement, des modules de formation dans les structures d’incubation.
En dépit de cette réalité et considérant les contraintes de la techno structure administrative, notre préoccupation demeure. Le cadre juridique actuel est-il suffisant pour assurer l’efficacité des structures d’incubation des PME dans l’environnement camerounais ? Fournir des réponses à cette question, sur la base de l’interprétation des textes est essentiel puisqu’à l’observation, si le cadre juridique national a le mérite d’avoir consacré des structures pertinentes d’impulsion entrepreneuriale (I), elles demeurent juridiquement inconfortables (II).
Des structures d’impulsion entrepreneuriale
Au sens de Marcil Frédérick, « l’incubateur d’entrepreneurs vise spécifiquement à faire exister un entrepreneur émergent dont les compétences et un environnement plus favorable lui permettraient de réussir à opérationnaliser une entreprise » en tenant compte de ses compétences professionnelles et des caractéristiques personnelles recherchées. Au regard de la pertinence même de ce type de structures consacrées par le législateur national et très appréciées par l’Organisation Internationale du Travail, nous examinerons à la lumière des textes y relatifs, la typologie et les missions des incubateurs (A), ainsi que leurs contraintes d’encadrement (B).
Typologie et missions des structures d’incubation des entreprises
A la lumière de l’arsenal juridique existant, examinons tour à tour la typologie des structures d’incubation (1) et leurs missions (2).
La typologie des structures d’incubation d’entreprises au Cameroun
La typologie des structures d’incubation des entreprises au Cameroun fait l’objet d’une indication règlementaire, bien que le législateur de 2010 ait néanmoins fait une distinction des incubateurs privés et publics. Des dispositions combinées des articles 2, 3 et 4 du décret de 2020 précité, les structures d’incubation sont des organisations qui, en raison de l’agrément ou du partenariat établi avec le ministère des PME, représentent tout organisme technique d’incubation des PME qui fournissent des prestations en terme d’accueil, de formation, d’hébergement et d’accompagnement des porteurs de projets et des entreprises qui ont été créées depuis moins de cinq ans.
L’intervalle temporel « moins de cinq ans » indiqué à l’article 4 ne semble pas anodin. En réalité, suivant les statistiques disponibles au centre des formalités de création des entreprises de Yaoundé, le taux de mortalité des PME est très élevé avant la cinquième année. Du coup, l’intervention d’une structure d’incubation devrait permettre d’assurer une meilleure viabilité en franchissant ce que les économistes appellent le cap de « la vallée de mort ».
Aussi, à l’article 3 du décret, il est indiqué que les structures d’incubation peuvent être soit généralistes soit spécialisées. Il est même prévu au chapitre 4 du décret la possibilité de conclure des partenariats divers entre les incubateurs et des organismes d’appui aux entreprises, des collectivités territoriales décentralisées, des établissements financiers et des investisseurs nationaux ou étrangers. Il en est de même de la possibilité de convenir du regroupement en réseaux, en organes de représentation et de défense des intérêts conformément aux lois et règlements en vigueur.
Toutefois, au-delà de ces clarifications, quatre types d’incubateurs ont été envisagés, étant donné les stades du cycle de vie des entreprises. Cette diversité n’enlève en rien le fait que les missions poursuivies sont quasi les mêmes, surtout concernant les incubateurs d’entreprises de forme généraliste et spécialisée. A la lumière du décret de 2020 qui a retenu la même typologie du cas ivoirien, il s’agit de l’incubateur d’entreprises, de la couveuse d’entreprises, de l’accélérateur d’entreprises et de la pépinière d’entreprises.
In extenso, l’article 3 définit l’incubateur d’entreprises comme une « Structure d’incubation qui détecte, accueille, accompagne et assiste les porteurs de projets avant la création ou dans les premiers mois de démarrage de leurs entreprises, en leur fournissant des prestations en termes de formation, de services administratifs, de soutien technique et logistique et d’appuis multiformes favorisant les mises en relation, les parrainages et les activités d’immersion.»
Fondamentalement, l’incubateur d’entreprises peut au moment de sa création, prendre la forme de structures d’incubation généralistes ou de structures d’incubation spécialisées. En fait, la distinction des critères ‘‘généraliste’’ ou ‘‘spécialisée’’ tient juste à l’affectation des prestations proposées aux porteurs de projets. C’est à notre sens le type d’organisme le plus à même d’accompagner les entrepreneurs au sens de la Loi des PME (art.11) « à la consolidation de leurs capacités, de leurs idées de projets et de leurs initiatives ».
Il s’agit bien là d’une structure polyvalente et très adaptée pour les entrepreneurs qui ne savent pas vers quelle branche et quel secteur d’activités s’engager, ou qui ont des difficultés de priorisation des initiatives, à l’opposé des porteurs de projets canalisés qui savent ce qu’ils veulent réellement faire. Enfin, les incubateurs généralistes de par leurs compétences semblent mieux indiqués pour assurer la réalisation de tous les objectifs assignés par le législateur à l’article 12 de la Loi des PME, pour permettre aux entrepreneurs d’opportunité et de nécessité d’évoluer avec une perception holistique de l’entrepreneuriat au Cameroun.
Les missions des incubateurs d’entreprises
Les missions des structures d’incubation sont connues. Précisément, onze missions ont été envisagées au terme de l’article 4 du décret. Techniquement, il s’agit des missions liées au prédémarrage des activités, au démarrage des activités et les missions liées à l’accompagnement durant la phase d’exploitation. Ces missions peuvent être accomplies partout, car l’article 6 précise que l’implantation des structures d’incubation peut se faire au niveau local, régional ou national.
D’entrée de jeu, la lecture des définitions données à l’article 3 du décret sur les modalités d’accomplissement des missions des structures d’incubation des PME, on relève que les types de structures intervenant dans la phase de prédémarrage sont les incubateurs d’entreprises, la couveuse d’entreprises et l’accélérateur d’entreprises. On peut exclure la pépinière d’entreprises. En réalité, en fonction de la spécificité du staff de la structure d’incubation, l’incubé bénéficie d’un accompagnement assuré par des professionnels seniors, maîtrisant les subtilités et les contraintes de l’environnement des affaires et du management des PME.
Les missions assurées durant cette phase sont importantes et, il faut prendre en considération la maîtrise des difficultés multipolaires rencontrées par les porteurs de projets, et qui peuvent être regroupées en huit catégories telles que structurées par Correa. Durant cette phase, l’incubateur intervient essentiellement pour faciliter l’identification du potentiel entrepreneurial des PME et valoriser les différents talents des promoteurs.
Ceci sous-entend en réalité qu’au sein d’un incubateur d’entreprises, le porteur de projet est initié à l’immersion entrepreneuriale pour lui permettre d’exprimer et de mettre en valeur ses aptitudes à entreprendre. Il développe ainsi ses idées pour parvenir au projet d’entreprise, qui lui permettra de fixer sa vision pour créer ultérieurement une PME viable et pérenne dans le contexte camerounais.
Les missions des structures d’incubation intervenant lors de la phase de démarrage d’activités concernent fondamentalement :
- Le soutien aux créateurs des PME ;
- L’assistance des PME en matière d’établissement des réseaux de contacts utiles ;
- L’accompagnement des promoteurs des PME pour leur permettre de vivre des expériences concrètes liées au monde des affaires ;
- La fourniture des conseils personnalisés aux PME ainsi que des prestations de services adéquats ;
- L’accompagnement et le suivi des porteurs de projets au moment de l’accomplissement des formalités de création et, au démarrage proprement dit des activités ;
- La facilitation de l’émergence des projets innovants.
Pour réussir la réalisation de ces missions, les structures d’incubation intervenant dans cette phase sont les pépinières d’entreprises, les incubateurs d’entreprises et les accélérateurs d’entreprises. L’implication des couveuses d’entreprises est non significative durant cette phase. Ainsi, ces structures doivent cerner et structurer leurs interventions en considérant les catégories factuelles de problèmes des porteurs de projets en démarrage.
Comme la plupart des entreprises, les structures d’incubation ont une raison d’être, et il faut en assurer un encadrement juridique suffisant. Au terme de cette réflexion, en questionnant la suffisance du cadre juridique relatif aux structures d’incubation des petites et moyennes entreprises au Cameroun, la démarche d’interprétation des textes s’est appuyée à la fois sur le procédé de Driedger Elmer et de Frydman Benoit pour en déceler le sens et la portée.
Si les textes sont clairs au niveau des sens ordinaire et grammatical, bien que s’intégrant dans un contexte qui ne cesse d’évoluer, en termes de finalité, leur portée demeure limitée sur la base des insuffisances relevées qui sont déterminantes pour l’efficacité des structures d’incubation, dans leurs processus d’accompagnement et d’encadrement des porteurs de projets d’innovation ouverte. Des avancées substantielles méritent d’être faites pour mieux stimuler la création, le développement, le financement et l’incubation des petites et moyennes entreprises en général.
Romain Davy Ndougou Ndzana
Coordonnateur de l’incubateur FASTER-ESMP