Plus qu’une prouesse technologique, cette infrastructure de 13 mégawatts illustre l’ambition du Royaume de concilier transition énergétique et sécurité hydrique, dans un contexte de sécheresse chronique. Depuis plus d’une décennie, Rabat s’est fixé un objectif de porter la part des énergies renouvelables à plus de 52 % du mix électrique d’ici 2030. Après l’impact médiatique et symbolique de la centrale Noor Ouarzazate, l’une des plus vastes au monde, le Maroc franchit un cap supplémentaire en expérimentant une technologie encore rare en Afrique, celle du solaire flottant.
Cette approche répond à un double défi. Produire une énergie propre et compétitive, tout en réduisant l’évaporation des réserves d’eau, mises à rude épreuve par sept années consécutives de déficit pluviométrique. Le barrage d’Oued Rmel, déjà stratégique pour l’approvisionnement en eau potable de la région et du port, devient ainsi un site pilote où l’innovation énergétique et la gestion durable de l’eau se rejoignent. Avec cette centrale, le complexe portuaire de Tanger Med consolide sa position de pionnier africain dans l’intégration de solutions durables. Déjà doté d’un système d’alimentation électrique à quai permettant aux navires de se brancher sur une électricité produite localement, le hub logistique vise désormais un approvisionnement 100 % renouvelable à l’horizon 2030.
La production de 13 MW obtenue à Oued Rmel ne couvre qu’une partie des besoins du port, mais elle contribue à réduire son empreinte carbone et s’inscrit dans une dynamique plus large de décarbonation de ses activités. Dans un contexte où la compétitivité logistique se conjugue de plus en plus avec performance environnementale, Tanger Med entend renforcer son rôle d’acteur exemplaire en Méditerranée. Le projet ne se limite pas à l’électricité. Il s’attaque aussi à l’un des plus grands défis du Maroc : le stress hydrique. Entre 2022 et 2023, l’évaporation liée aux fortes chaleurs a fait disparaître plus de 540 millions de m³ d’eau, soit l’équivalent de 600 piscines olympiques par jour. Au barrage de Tanger Med, l’évaporation atteint près de 7 000 m³ quotidiens en été.
Selon les responsables du ministère de l’Équipement et de l’Eau, la couverture photovoltaïque flottante permettrait de réduire ce phénomène d’environ 30 %. Dans un pays où le taux de remplissage des barrages est tombé sous la barre des 35 % en 2024, chaque mètre cube économisé devient une ressource stratégique.
Un modèle reproductible
Les autorités voient dans cette première expérience un modèle reproductible. Deux autres projets pilotes sont déjà à l’étude, à Lalla Takerkoust (près de Marrakech) et à Oued El Makhazine (nord), l’un des plus grands barrages du pays. L’objectif est d’élargir progressivement le déploiement des centrales flottantes sur les retenues d’eau et les réservoirs, afin d’optimiser la production solaire sans empiéter sur les terres agricoles. Cette innovation pourrait s’intégrer à une stratégie plus large combinant plusieurs leviers dont dessalement de l’eau de mer (avec un objectif de 1,7 milliard de m³ par an d’ici 2030, contre 320 millions aujourd’hui), transferts interbassins d’eau via de nouvelles « autoroutes hydriques », et développement d’une agriculture plus économe en ressources.
Si le projet est salué comme « pionnier », certains experts rappellent néanmoins ses limites. D’abord, la technologie flottante ne peut couvrir qu’une fraction de la surface totale des barrages, ce qui limite son impact direct sur l’évaporation. Ensuite, les variations de niveau des retenues d’eau et les contraintes techniques liées à l’ancrage des plateformes (jusqu’à 44 mètres de profondeur) constituent des défis supplémentaires. Enfin, l’absence de communication officielle sur le coût de la centrale interroge sur la rentabilité économique du modèle à grande échelle. À titre de comparaison, les centrales solaires flottantes en Asie (notamment en Chine et en Inde) atteignent des centaines de mégawatts, bénéficiant d’économies d’échelle encore difficiles à reproduire au Maghreb.
Au-delà de ses aspects techniques, le projet s’inscrit dans la stratégie diplomatique du Maroc de se positionner en leader régional des technologies vertes. Déjà pionnier avec Noor Ouarzazate, le Royaume consolide son image d’acteur crédible dans la lutte contre le changement climatique. À l’heure où l’Afrique cherche à concilier croissance économique et durabilité, cette initiative donne au Maroc un avantage symbolique et technologique. Le pays pourrait aussi capitaliser sur son expertise pour exporter ses compétences vers d’autres nations africaines confrontées aux mêmes défis. Dans un continent où la demande en électricité devrait tripler d’ici 2040, la combinaison entre solaire et gestion de l’eau pourrait devenir un argument de poids dans les partenariats énergétiques et climatiques.
