La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devrait faire progresser de près de 50 % le commerce intra-africain des services de transport, selon les estimations de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
Pour Vera Songwe, sous-secrétaire générale des Nations Unies et secrétaire exécutive de la CEA, la Zlecaf “devrait augmenter de manière significative les flux de trafic sur tous les modes de transport : route, rail, mer et air”, mais ces gains ne seront optimisés que si la Zlecaf s’accompagne de la mise en œuvre de projets d’infrastructure régionaux.
En ce qui concerne le transport ferroviaire spécifiquement, Robert Lisinge, chef de la Section de l’énergie, des infrastructures et des services à la CEA, observe que “les routes transportent actuellement la part du lion du fret en Afrique” soulignant toutefois que la
Zlecaf offre une opportunité de construire le réseau ferroviaire africain. Il augmenterait la demande de fret intra-africain de 28 %.
Le transport ferroviaire est un facteur clé du développement économique et selon la Banque africaine de développement (BAD), le négliger pourrait priver l’Afrique d’un levier essentiel pour tirer le maximum de profit de toutes les potentialités offertes par l’abondance de ses ressources naturelles et de ses richesses. Pour la BAD, le transport ferroviaire en particulier, du fait de son efficacité énergétique qui permet de réduire les émissions de gaz à effets de serre et de baisser les coûts à la tonne au kilomètre, devrait jouer un rôle extrêmement important dans l’acheminement des marchandises sur de longues distances.
Comparé aux autres modes de transport, en effet, les chemins de fer sont particulièrement adaptés au transport public de masse, en zones urbaines et inter-urbaines. Dans beaucoup de pays africains, cependant, les infrastructures fixes et le matériel roulant des chemins de fer se trouvent dans un piètre état. Cette lacune compromet gravement la capacité du transport ferroviaire à jouer le rôle de moteur du développement économique qu’on attend du secteur,
souligne une étude de la BAD sur les infrastructures ferroviaires en Afrique.
La situation actuelle des infrastructures ferroviaires : défis et opportunités
Les estimations de la CEA, en ce qui concerne le transport ferroviaire montrent que le réseau ferroviaire africain est inadéquat. D’environ un total de 100 000 km de rail au début du XXe siècle, le continent africain a vu son réseau fortement « s’auto-annihiler ». Le continent africain souffre d’un réseau très dégradé avec une longueur de lignes en exploitation de 50 000 km à la fin de 2014, soit 5 % du total mondial alors que le continent représente environ 15 % de la population et 22 % de la superficie mondiale.
Aujourd’hui, l’ensemble du réseau ferroviaire africain est estimé à environ 75 000 km sur une surface de 30,2 millions de km² soit une densité d’environ 2,5 km pour 1 000 km², selon une étude de Morgan Philips Group portant sur la modernisation des réseaux ferroviaires en Afrique. Ceci est bien inférieur à la densité des autres continents et régions et à la moyenne mondiale qui est de 23 km pour 1 000 km². Le pays disposant du plus grand réseau ferroviaire est l’Afrique du Sud.
Avec ses 30 400 km de voies ferrées, il occupe la onzième place des plus grands réseaux ferroviaires au monde, et représente 80% des infrastructures ferroviaires en Afrique subsaharienne, son réseau étant principalement dédié au transport de minerais et de marchandises. Au Cameroun, depuis 1974, le réseau ferroviaire a gardé son linéaire initial de 1270 km, dont 270 sont aujourd’hui dégradés et inexploités. Bien plus, aucune ligne supplémentaire n’a été construite depuis 1974.
L’écartement des réseaux ferroviaires
Le réseau ferroviaire africain, souvent à voie unique, construit à des écartements différents, est en outre très peu interconnecté, consistant souvent en lignes isolées en impasse, à l’exception de l’Afrique australe qui représente à elle seule 36 % des lignes exploitées, et de l’Afrique du Nord, relativement bien équipée. A titre d’exemple, deux pays africains voisins comme le Cameroun et le Gabon, tous membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) ont des réseaux ferroviaires construits à des écartements différents : 1,435 m d’écartement au Gabon et 1m d’écartement au Cameroun. Ce qui complexifie tout projet d’interconnexion entre ces deux pays.
La vitesse des trains jugée faible est un autre frein au transport ferroviaire en Afrique. Les trains circulent à une trop faible vitesse limitée à entre 55 et 160 km/h au lieu de la moyenne mondiale de 300 km/h. En Mauritanie, un train de marchandises long de 2,5 kilomètres, le plus long du monde, traverse le Sahara pour relier les exploitations de minerai de Zouérate à la ville portuaire de Nouadhibou : comme les dunes ensevelissent sans cesse les rails, le trajet dure parfois plus d’une semaine pour un voyage de 700 km sur l’unique voie ferrée du Sahara.
A l’occasion de son 11ème congrès en mars 2023 à Marrakech au Maroc, l’Union internationale des chemins de fer (UIC) a ainsi suggéré aux États africains d’associer le développement des trains à grande vitesse aux projets ferroviaires en cours et à venir afin de rattraper les retards du continent en matière de transport par voie ferrée.
Transport par rail : 75% et 85% d’émission de gaz à effet de serre en moins
A l’heure où le transport ferroviaire mondial connait une relance générale, selon une étude de la Chinese Academy of Science de Beijing (2021), les chemins de fer en Afrique pourraient réduire les couts externes du transport (bruits, pollution, embouteillages, accidents etc), d’au moins 47,5% par passager au km, et 74,4% par tonnes de marchandises au km, en comparaison aux modes routiers. La même source indique que le fret ferroviaire produit entre 75% et 85% d’émission de gaz à effet de serre en moins par unité de transport par rapport aux camions articulés.
Bien que relevant de nombreux défis, la situation actuelle des infrastructures ferroviaires en Afrique offre néanmoins d’infinies opportunités. Stimulées par une augmentation des investissements dans les projets ferroviaires, les constructions d’infrastructures de transport se multiplient sur le continent ces dernières années. Malgré la pandémie de la Covid-19 et les retards de travaux qui en découlent, les projets continuent leurs avancements.
Selon Morgan Philips Group, les taux d’investissements dans le secteur ferroviaire ont augmenté grâce aux initiatives régionales et continentales, comme le « Programme pour le développement des infrastructures en Afrique » (PIDA), dont l’objectif est de « transformer » l’Afrique via un réseau ferroviaire moderne ou encore le « TGV Africain », qui vise « à interconnecter les capitales et centres commerciaux africains ». Projet phare de l’Agenda 2063 de l’Union africain, sa mise en œuvre « constitue un levier essentiel » pour la réussite de la Zlecaf. La mise en œuvre du PIDA et d’autres projets planifiés augmentera considérablement la taille du réseau ferroviaire africain de près de 26 500 km.
En reliant les capitales africaines et les grands centres, le TGV devrait faciliter la circulation « des marchandises, des services et des personnes », en décongestionnant les systèmes actuels. Depuis plusieurs années, les États d’Afrique mettent en œuvre des politiques d’extension et d’amélioration des transports du train. En effet, l’objectif est « d’interconnecter leurs lignes ferroviaires », afin de « renforcer le commerce régional ».
Plusieurs grands projets aux quatre coins de l’Afrique illustrent cette tendance bien mise en perspective par Morgan Philips Group. Au Cameroun, le gouvernement s’apprête à relancer les investissements dans le secteur ferroviaire. Le Sénat et l’Assemblée nationale viennent d’être saisis pour l’examen et le vote d’une loi régissant ce domaine laissé en friche malgré l’immensité des opportunités qu’il recèle.
L’interconnexion du réseau ferroviaire
En Afrique de l’Est, la construction de la ligne de chemin de fer inter-État se concentre sur l’axe reliant le Burundi à la Tanzanie, afin de permettre d’augmenter notamment les exportations minières du Burundi. En reliant ces deux États par une ligne de 190 km, entre la ville burundaise de Musongati et celle d’Isaka en Tanzanie, le Burundi souhaite « faciliter le désenclavement du pays », tout « en dopant ses exportations minières », grâce à la Tanzanie qui dispose de plusieurs ports, notamment à Isaka.
Avec cette ligne, le Burundi espère augmenter ses exportations de nickel, l’un de ses principaux produits miniers, à 47% d’ici 2027. L’ensemble de la ligne vise également à renforcer les échanges commerciaux entre la Tanzanie et ses pays voisins, notamment le Rwanda et la République démocratique du Congo.
D’un budget de 1,9 milliard de dollars US, le projet devrait commencer, selon l’Agence de facilitation du transport en transit du corridor central (CCTTFA), organisation multilatérale créée en 2006 par un accord entre cinq gouvernements (la République du Burundi, la République Démocratique du Congo, la République du Rwanda, la République Unie de Tanzanie et la République d’Ouganda), avec pour mandat, entre autres, de promouvoir l’utilisation optimale des voies de transport du corridor central.
En Afrique australe, les travaux de raccordement ferroviaire du nord de la Namibie sont sur le point de s’achever. En effet, le ministre des transports namibien a annoncé récemment que le prolongement de la ligne de chemin de fer de la ville minière de Tsumeb à Ondangwa « est achevé à 90% », soit 264 km de voies construites. Il a également indiqué que les « 10% restants concernent l’achèvement des travaux sur la section Ondangwa-Oshakati », une longueur correspondant à 28 km.
Ce chantier, vieux de 20 ans, est considéré comme une « infrastructure clé » dans le développement du « corridor Namibe-Lubango-Oshikango-Walvis Bay », lui-même identifié comme « une priorité » par les gouvernements de la Namibie et de l’Angola. Avec près de 45% de la population nationale vivant dans les régions du nord de la Namibie, le gouvernement namibien souhaite désenclaver ces régions, géographiquement proches de l’Angola, pour « booster » les échanges économiques entre les deux pays (ces derniers partageant une frontière terrestre de plus de 1 300 km) et surtout, pour stimuler la croissance économique et promouvoir l’intégration régionale.
L’intégration par le rail
D’autres projets sont également en développement ou en discussion, comme celui de l’« Eswatini Rail Link (ESRL) », qui relierait l’Eswatini et l’Afrique du Sud grâce à une nouvelle voie ferrée de 146km entre les deux pays ou encore en Afrique de l’Ouest avec la ligne historique « Dakar-Bamako », dont les travaux de rénovation sont à l’arrêt depuis plusieurs années maintenant, mais qui vient de recevoir « trois nouvelles locomotives », dans le cadre de la relance du transport ferroviaire dans le pays.
De l’aveu d’experts, la Zlecaf nécessite 97 614 wagons pour les marchandises en vrac et 20 668 wagons pour les conteneurs d’ici 2030. Ces chiffres passent respectivement à 132 857 et 36 482 wagons si les projets d’infrastructure prévus sont tous mis en œuvre.
Ceci d’autant plus que, prévient la BAD :
plus le marché est grand, plus il devient attractif aux yeux des investisseurs et des opérateurs. Pour toutes ces raisons, les institutions africaines doivent promouvoir une coordination transfrontalière, parfois à partir d’expériences pilote, afin d’évoluer vers une plus large intégration et profiter des avantages de grande échelle. Ceci ne sera pas aisé, ni un exercice rapide. L’intégration par le rail dans d’autres régions telles que l’Union européenne s’avère une tâche difficile entravée par la réticence des Etats et des opérateurs sortants. Mais c’est sans doute la clé de l’avenir.