Le 02 juin 2023, le gouvernement tunisien et la Banque Mondiale ont paraphé un accord en vue du financement de la gestion des eaux usées dans ce pays méditerranéen. Cet accord de prêt d’une valeur de 113,6 millions d’euros s’inscrit dans le cadre du Projet d’appui aux Partenariats publics-privés (PPP) dans le secteur de l’assainissement en Tunisie. Il vise à améliorer les services de gestion des effluents du pays par le renforcement des capacités de l’Office national de l’assainissement (ONAS).
Cette opportunité de financement intervient tout juste deux mois après la signature, en avril dernier, d’un contrat similaire entre l’ONAS et un consortium dirigé par le groupe français Suez pour la gestion de l’assainissement liquide des gouvernorats de Gabès, Médenine, Sfax, et Tataouine pendant 10 ans.
Ces contrats s’inscrivent dans la continuité de la démarche amorcée à Tunis depuis avril 2012 par les autorités tunisiennes, la Banque Africaine de Développement (BAD) et l’ONAS. Les trois parties avaient annoncé le lancement d’un projet visant une meilleure utilisation des eaux usées épurées dans 17 gouvernorats de ce pays par le recours aux ressources alternatives pour remédier au déficit en eau dans ce pays maghrébin. Le projet se chiffrait à 33 millions d’euros soit 21, 5 milliards de F CFA.
La Tunisie, qui souffre de plus en plus d’une diminution de ses ressources en eau disponibles exploitables, a fait un choix judicieux en optant pour les eaux non conventionnelles,
déclarait alors Monia Moumni, ingénieure en chef au département Eau et assainissement de la BAD.
Le nombre de personnes devant profiter des retombées du projet visant à « renforcer la sécurité de l’eau en Tunisie et [à] pallier les insuffisances », était alors estimé à 4 millions de personnes et le coût total de l’intervention à 37 millions d’euros. Le gouvernement tunisien annonçait en outre la réhabilitation de 30 stations d’épuration des eaux usées pour mettre à disponibilité environ 100 millions de m3 d’eau épurée pour irriguer 7 500 hectares de terres agricoles et arroser 700 hectares d’espaces verts, à Ariana, Béja, Ben Arous, Bizerte, Gabès, Jendouba, Kairouan, Kébili, Le Kef, Médenine, Monastir, Nabeul, Sfax, Siliana, Sousse, Tataouine et Tunis.
En Egypte, la construction de 23 nouvelles stations de traitement des eaux usées domestiques va accroître la production journalière du pays à 7 milliards de mètres cubes
Le 11 juin dernier, l’Egypte emboîtait le pas à son voisin tunisien. Dans le cadre du projet « Enhancing Water Productivity in Agriculture », qu’il souhaite accélérer, le pays des pharaons a conclu avec le Japon, en partenariat avec l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), une alliance visant à accompagner les petits producteurs agricoles dans la gestion des ressources en eau, à améliorer leur productivité agricole et à lutter contre l’insécurité alimentaire.
Lors de la 27ème Conférence des parties sur le climat (COP 27), que le pays a abritée en novembre 2022 à Charm-El-Sheikh, les autorités égyptiennes ont lancé l’initiative internationale baptisée « Action on Water, Adaptation, and Resilience » (AWARe) en Égypte. Dans la foulée, le ministre égyptien des Ressources en eau et de l’Irrigation, Hani Sweilam a invité l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) à soutenir cette initiative par l’accompagnement des ingénieurs et techniciens du département de la Mécanique et de l’Electricité de son ministère, le renforcement de leurs capacités et de leur efficacité.
L’initiative AWARe vise à réduire le gaspillage de l’eau dans le monde et à améliorer l’approvisionnement en eau par le soutien sans réserve des politiques communes. Elle devra aider l’Egypte à protéger les écosystèmes d’eau douce et à veiller à ce que la croissance économique n’ait pas d’impact négatif sur l’utilisation de l’eau douce. Dans la même perspective, le gouvernement égyptien a, mi-décembre 2022, signé un accord avec Ecolab, un fournisseur des solutions dans le traitement et la purification des eaux usées.
Le fournisseur américain va ainsi construire, sur une durée de cinq ans, 23 nouvelles usines de traitement des eaux usées. L’initiative s’inscrit dans le cadre du Projet national d’approvisionnement en eau, qui a pour finalité d’atténuer les effets du stress hydrique dans ce pays. Les eaux usées traitées serviront à l’irrigation des fermes agricoles, dans ce pays où ce secteur consomme 70 000 à 80 000 m3 d’eau.
Au moment de la signature dudit accord, l’Égypte possède seulement deux stations d’épuration des eaux usées domestiques, l’une dans la cité balnéaire de Charm-el-Sheikh et le second à Assouan, pour des capacités respectives de 70 000 et 60 000 mètres cubes par jour. Les deux infrastructures ont été construites par le même partenaire américain Ecolab. La mise en service des 23 nouvelles stations de traitement, d’ici à 2027, permettra au pays d’accroitre sa capacité en produisant jusqu’à 7 milliards de mètres cubes par jour. L’Égypte devrait ainsi améliorer ses performances en matière de recyclage des eaux usées et, ce faisant, économiser ses ressources en eau pour la consommation courante des ménages.
Le « miracle » tunisien pour faire face à la menace du stress hydrique chronique
Si l’Egypte et la Tunisie sont deux cas d’école dans l’implémentation du recyclage des eaux usées et de leur réutilisation, c’est, avant tout, parce que ces deux pays, tout comme d’autres pays d’Afrique du Nord, de l’Ouest et de l’Afrique australe, sont les plus concernés par le phénomène de stress hydrique, qui n’est autre que la période où la demande en eau potable est plus forte que l’offre disponible, selon des experts. Certes aujourd’hui, aucune région du monde n’est à l’abri de ce phénomène, qui menace jusqu’aux États-Unis d’Amérique. Mais le cas tunisien est atypique et spécifique. Peuplé de 12,26 millions d’habitants, la Tunisie est l’un des pays au monde où la ressource hydrique est rare, avec une estimation de 367 m3 par personne.
Pourtant, au bout de seulement cinq ans d’expérimentation du traitement des eaux usées, la Tunisie a réalisé le miracle de l’assainissement de ses eaux marines. Exit l’époque où des boues noires déferlaient vers la Méditerranée. Où les plages de Raoued étaient interdites à la baignade à cause du niveau de la pollution. Grâce à la maîtrise des techniques d’assainissement, le système d’évacuation des eaux usées par voie souterraine et leur rejet en mer via des exutoires est conforme aux normes environnementales. Pour le grand bonheur des pêcheurs, du tourisme et de l’économie nationale. En 2021, le projet d’assainissement de Tunis-Nord a bénéficié d’un appui financier de 60,6 millions de dollars obtenu de la Banque Mondiale, avec le concours du Fonds pour l’environnement mondial (FEM).
Des observateurs avertis présagent des fruits à la hauteur des investissements effectués et des attentes qui en découlent. On estime à environ deux millions de personnes et 500 000 foyers, pour la plupart des femmes, le nombre de bénéficiaires des projets mis en œuvre depuis 2012, avec le soutien des bailleurs de fonds et des partenaires internationaux de la Tunisie. Malgré quoi, les challenges sont toujours grands dans ce pays où 360 000 personnes vivant majoritairement en zones rurales sont toujours privées des services d’assainissement adéquats, d’après le constat de la Banque mondiale. Où des eaux usées générées par 1,7 million de personnes établies en milieu urbain ne sont pas traitées du fait de l’insuffisance des infrastructures d’épuration des eaux usées.
L’Office national de l’assainissement tunisien affirme qu’en 2020, 24% de celles existantes fonctionnaient au-delà de leur capacité hydraulique. Au sujet de ces défis, Abid Nejib, chef de département gestion à l’ONAS déclarait il y a onze ans, au lancement du projet d’assainissement :
Les études démontrent que vers 2025-2030, la demande en eau en Tunisie sera énorme, le stress hydrique intense. Ce projet est stratégique et s’aligne avec la volonté du gouvernement tunisien d’être prêt à relever ce défi. Dans cette optique, nous aurons encore beaucoup d’autres opportunités de travailler avec la BAD pour une Tunisie où les ressources en eau seront suffisantes en quantité et en qualité, pour tout le monde et pour tous les besoins.
L’Afrique, un vaste champ d’opportunités pour les « ressources non conventionnelles » : l’appel de l’ONU
Une étude de la revue Nature, publiée en janvier 2018 indique que presque un tiers des villes dans le monde pourrait manquer l’eau dans les sept ans à venir à cause du réchauffement climatique. La ville du Cap, en Afrique du Sud, a souffert de trois années d’intense sécheresse entre 2015 et février 2018. Selon l’ONU, la demande en eau douce devrait croître de 40% d’ici à 2050.
Au moins une personne sur quatre vivra dans un pays où le manque de cette ressource devrait être chronique ou récurrent. Or dans le même temps, la population du continent a doublé en 20 ans. L’Afrique et l’Asie devraient à eux seuls totaliser 80% de la population mondiale à l’horizon 2030. Cette explosion démographique, si elle est perçue par certains comme un atout, elle n’incite pas moins à prendre des décisions conséquentes face au stress hydrique auquel s’exposent certains pays du continent.
C’est dans ce contexte que le Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, qui est un rapport de l’ONU-Eau coordonné par le Programme mondial d’évaluation des ressources en eau de l’UNESCO, estime que le recyclage des eaux usées et leur réutilisation est une niche d’opportunités à saisir, aussi bien par les Africains que par les autres peuples de la planète. L’Afrique apparaît dès lors comme un laboratoire d’expérimentation des pratiques intelligentes et innovantes en matière de gestion des eaux usées.
Les eaux usées représentent une ressource précieuse dans un monde où l’eau douce disponible est limitée et la demande en hausse,
déclare Guy Rider, Président de l’ONU-Eau et Directeur général de l’Organisation internationale du travail.
Chacun doit faire sa part pour atteindre l’Objectif de développement durable consistant à diviser par deux le niveau des eaux usées non traitées et promouvoir la réutilisation d’une eau sûre d’ici 2030. Il s’agit de gérer l’eau avec soin et de recycler celle qui est rejetée par les ménages, les usines, les fermes et les villes. Nous devons tous recycler davantage les eaux usées pour satisfaire les besoins d’une population en augmentation et préserver les écosystèmes,
poursuit-il. Sur les 19 grandes zones dans le monde, mentionnées par le rapport 2017 du Giec comme celles subissant un stress hydrique anormalement élevé, près de la moitié sont en Afrique : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, la Libye, l’Afrique du Sud ainsi que de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique australe.
Depuis 1968, la Namibie expérimente la production de l’eau potable à base des eaux usées, le nouvel “or noir”
Pour le moment, nombre de ces pays à revenu faible ou moyen, y compris ceux de l’Amérique latine et de l’Asie, déversent leurs eaux usées dans des cours d’eaux. Lagos devait franchir la barre de 23 millions d’habitants en 2020. Cette ville nigériane produit chaque jour 1,5 million de m3 d’eaux usées dont une grande quantité est déversée sans traitement dans la lagune de la ville non sans conséquences, notamment la propagation de certaines maladies tropicales telles que la dengue et le choléra.
En 2012, 842 000 décès étaient liés à une eau contaminée et des installations sanitaires inadaptées dans les pays à faible et moyen revenu. Aujourd’hui, la superficie des écosystèmes marins affectés par cette pollution aux pathogènes (déjections humaines ou animales) est estimée à 245 000 km2.
Le Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2017 montre que la gestion améliorée des eaux usées implique aussi bien la réduction de la pollution à la source que l’élimination de contaminants des flux d’eaux usées, la réutilisation des eaux récupérées et la récupération de sous-produits utiles […]. Il est donc essentiel d’accroître l’acceptation sociale de l’utilisation des eaux usées afin de favoriser le progrès dans ce sens,
a déclaré, pour sa part, la Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova.
Dès les années 1960, la Namibie a su saisir cette opportunité. Présenté comme le pays le plus aride d’Afrique australe, la Namibie enregistre un niveau moyen annuel de précipitations de 250 mm d’eau, dont seul 1% s’infiltre dans le sol et les 83% s’évaporent sous l’effet de la sécheresse intense. Face à cette situation, les autorités ont trouvé des solutions alternatives et stratégiques dès 1968, en construisant dans la capitale une usine de recyclage des eaux usées.
Peuplée de 300 000 âmes, Windhoek est ainsi devenue la première ville au monde à produire directement de l’eau potable à partir des eaux usées municipales et à offrir pendant plus de 20 ans à sa population une source d’approvisionnement en eau supplémentaire. Grâce au contrat d’exploitation et d’entretien signé en 2001, avec Windhoek Goreangab Operating Company (Wongok), un consortium composé de Veolia, Berlinwasser International et Wabag, la capitale namibienne a amélioré les procédés de traitement de l’eau et augmenté la capacité de production d’eau potable du site de Goreangab.
Dans les années 1990, les autorités d’Egypte avaient elles aussi déjà expérimenté la réutilisation des eaux usées pour l’agriculture et les fermes aquacoles mais, comme dans de nombreux autres pays, elles avaient buté à la réticence des populations. Lors du 8èmeForum mondial de l’eau, à Brasilia, au Brésil, le Maroc n’a pas caché sa volonté de recourir aux ressources non conventionnelles que sont eaux usées traitées, eaux saumâtres dessalées, eaux de recharge artificielle des nappes souterraines, et la récupération des eaux de pluie.
Le royaume chérifien a adopté depuis les années 1960 le dessalement d’eau de mer pour la consommation des ménages en eau potable. Le royaume envisage la réutilisation de quelque 325 millions de m3 d’eaux usées à l’horizon 2030. Pour ce faire, le pays devrait migrer d’une pratique de « traitement et rejet » à des solutions de « traitement et réutilisation », selon les mots de la Secrétaire d’Etat marocaine responsable de l’eau, Charafat Afilal.
Le Maroc a développé la réutilisation à 100% des eaux usées, et son réseau d’assainissement collecte 100 millions de litres d’effluents issus chaque jour des foyers, des entreprises et de l’industrie. D’autres pays du continent suivent les pas de ces pays. L’Angola a bénéficié d’un prêt de 124,4 millions de dollars auprès de la BAD, dont 49,4 millions alloués par le Fonds Africa Growing Together (AGTF) sous le parrainage de la Chine pour réaliser des travaux d’assainissement de quatre cités côtières, à savoir Benguela, Baía Farta, Catumbela et Lobito.
Dans le cadre de l’initiative « Roopm 2 Run », Londres a accordé au Sénégal et à l’Egypte 117 millions d’euros pour l’assainissement. Cette problématique de l’assainissement des eaux usées fait partie des sous-thème du 3ème Forum méditerranéen pour le climat (MeCop) qui se tiendra à Tanger, au Maroc, les 22 et 23 juin prochains, dans un contexte où l’Egypte appelle de tous ses vœux le renforcement de la coopération régionale dans le domaine de l’eau.