C’est une grande première en Afrique. A Douala, la capitale économique camerounaise, une équipe composée de cinq médecins, de pharmaciens, d’infirmières et des personnes de la société civile, tous bénévoles et réunis au sein d’une association à but non lucratif baptisée Espoir Santé Afrique (ESA), a procédé au début de cette année au lancement du premier dispensaire mobile connecté (DMC) sur le continent.
Nous avons, au vu des difficultés d’accès aux soins, surtout dans les zones d’enclavement sanitaire, pensé qu’il fallait développer ce projet d’action humanitaire et solidaire, qu’on appelle Espoir Santé Afrique à travers des actions de campagne où on mobiliserait des médecins vers les centres de santé où on avait besoin de la prise en charge médicale et de l’expertise des médecins,
résume Docteur Guy Weladji, un des cinq médecins cofondateurs de ce dispensaire mobile.
Le concept est innovant et récent, bien que la création de l’association ESA remonte à 2018. Cette année-là, l’association Espoir Santé Afrique a mené sur l’étendue du territoire camerounais plus de 13 campagnes, qui avaient conduit ses membres dans plusieurs localités enclavées notamment dans les régions septentrionales du pays, mais aussi dans le Centre et à l’Ouest.
L’équipe de ESA s’était rendue à Nanga Eboko, à Méiganga, à Guider, à Bipindi Lolodorf et à Bandjoun. Pour ces campagnes menées, l’association a dû prendre en charge le transport, l’hébergement et les frais des personnels de consultation et de soins, à raison de 25 000F CFA par jour pour chaque médecin et 15 000 F pour les prestations journalières de chaque infirmier.
Il y a également les frais de pharmacie pour garantir la gratuité des médicaments lorsque la campagne n’est pas sponsorisée.
Déjà 6000 personnes prises en charge au Cameroun entre 2018 et 2023
L’acquisition récente d’un camion dispensaire devrait cependant faciliter la tâche aux membres de l’équipe même si les coûts sont plus onéreux que les quelque 2 millions ou 2,5 millions de FCFA (3000 à 3500 euros) à mobiliser pour chaque campagne sans camion, eu égard aux charges supplémentaires à supporter, notamment le camion, le chauffeur et les mécaniciens.
Les campagnes se poursuivent et le concept est salué par les populations de ces zones reculées.
On a pris en charge près de 6000 personnes sur le territoire, ré-adressé ces patients souvent vers des spécialistes dont ils en avaient besoin. Et, au vu de la demande de plus en plus importante d’apporter les soins, nous avons consenti et acquis, de la part des établissements français du sang, un dispensaire mobile complètement équipé, ultramoderne, qui devrait, dorénavant, nous accompagner dans ces missions nobles, certes modestes, mais qui demandent des moyens financiers,
ajoute Dr Guy Weladji.
Extension de sa logistique médicale
Dans ses prévisions à terme, l’ESA envisage l’extension de sa logistique médicale et annonce la poursuite des campagnes sanitaires.
Pouvant se déplacer pour atteindre au mieux les populations isolées, il s’agit d’un camion mobile médicalisé de grand gabarit. Il est énergétiquement autonome, connecté (satellite, réseau 3G/4G, Wifi) et équipé d’électrocardiogramme, d’équipement de biologie pour des prises de sang, de stéthoscopes connectés et d’oxygène,
explique l’un des promoteurs du concept. Outre le camion de 16 tonnes modulable, l’association a, grâce au soutien du consulat général de France et d’organisations caritatives, finalisé un centre de santé complètement équipé, sis au quartier Yassa à Douala.
Tout récemment, l’association ESA, avec l’accompagnement de ses partenaires, a effectué un séjour à Douala, dans le cadre d’une campagne caritative qui avait pour but de lever des fonds en vue d’équiper le dispensaire social Mère/Enfants de Yassa en transformateurs. Car le centre de santé manque l’énergie pour fonctionner.
Le troisième segment du projet est consacré à la télémédecine. L’association ESA a, dans cette perspective, mis en œuvre une application mobile baptisée « DIPITA » (Espoir), qui intègre la téléconsultation, la télé-expertise et la télésurveillance médicale.
L’objectif de l’application de télémédecine est de « démocratiser l’accès aux soins, rompre l’isolement des populations, pallier la pénurie des spécialistes, renforcer les infrastructures existantes par voie multimédia ».
On n’est pas des concurrents du système, prévient Dr Guy Weladji. On est plutôt des partenaires du système et nous apportons donc notre modeste contribution à fournir des soins de dépistage, de diagnostic, de prise en charge dans certaines régions enclavées.
Certes, leur association bénéficie du soutien institutionnel du gouvernement camerounais, notamment du ministère de la Santé publique et du ministère des Relations extérieures, qui ont délivré un agrément. Certes, le ministère des Finances du Cameroun a accordé jusqu’ici certains abattements douaniers au profit d’ESA, mais les besoins de financement demeurent énormes selon les promoteurs de cette initiative.
Il y a beaucoup de choses à faire, ce sont les moyens qui nous manquent malheureusement parce que, pour faire des campagnes sanitaires, il faut déplacer des médecins et du matériel,
ajoute Dr Wéladji, médecin cardiologue camerounais, diplômé de cardiologie interventionnelle à Paris, où il a travaillé comme assistant avant de s’envoler en Guadeloupe pour exercer comme praticien hospitalier.
Plus de 610 millions d’euros pour les évacuations sanitaires au Bénin en 2012
Bien que représentant 17% de la population mondiale, l’Afrique est le continent le moins nanti en personnel de santé. Il ne compte que 3% des effectifs mondiaux de médecins. En quête de son développement, le continent a 0,21 médecin pour 1000 habitants contre 11,1 en Europe.
Cette énorme disproportion entre le nombre de médecins disponibles et les populations a pour conséquence l’absence de couverture de vastes étendues de territoires nationaux, comme le démontre une enquête réalisée dans une des villes les plus reculées du Cameroun, d’après l’association ESA.
Il en ressort en effet que 95% d’habitants ne fréquentent pas les centres de santé soit pour des raisons de distance (20,27%), ou de moyens financiers (46,62%). Ou encore simplement parce que ces personnes-là ne sont pas souvent malades, d’après leurs déclarations (33,11%).
Le Cameroun compte un médecin pour 10 535 habitants et un seul infirmier pour 1023 habitants. Une tendance largement en-deçà de la norme prescrite par l’Organisation mondiale de la Santé (Oms), qui est de 2,3 médecins pour 1000 habitants. La situation n’est guère reluisante en Afrique de l’Ouest. Le secteur de la santé publique béninois n’absorbe que 500 médecins pour 11 millions d’habitants.
Seuls 200 exercent comme des spécialistes tandis qu’un millier d’autres, dont 250 spécialistes, font valoir leurs compétences dans le secteur privé. Pour une densité globale de 15 médecins et 05 spécialistes pour 100 000 patients potentiels. Plus de 90% des évacuations sanitaires au Bénin en 2012 ont eu pour destination la France, où près de 300 médecins et 150 spécialistes sont mobilisés pour 100 000 habitants. Elles ont coûté près de 610 millions d’euros.
Si en France ce ratio a évolué pour se situer à 984 médecins pour 100 000 personnes, il n’en va pas de même au Sénégal. Dans ce pays de 11,5 millions d’habitants, dont 25% résident dans la capitale Dakar, seulement 7 médecins et 35 infirmières assurent la prise en charge de 100 000 habitants. Une sage-femme existe pour 400 000 habitants contre 134 en France pour autant de personnes.
La moitié des 75 gynécologues-obstétriciens au Sénégal exerce dans les plus grands hôpitaux. Quid de la Côte d’Ivoire ? Dans ce pays, la densité médicale est près de 20 fois inférieure à celle de la France. De plus, les quatre CHU d’Abidjan (Cocody, Treichville et Yopougon) et de Bouaké concentrent bon nombre des spécialités médicales et chirurgicales disponibles. Seulement 05 médecins sur les 14 qui ont la charge de 100 000 habitants, sont des spécialistes.
Un vaste marché, et de nombreuses opportunités à capter sur le continent
La télémédecine s’offre dès lors comme une alternative et devrait attirer des investissements. Des initiatives fleurissent certes en Afrique. En novembre 2020, le Camerounais Christian Tcham, alors en service au CHU de Bordeaux, en France, avait lancé son projet de télémédecine baptisé « e-same ». Une « plateforme tout en un 100% africaine, conçue pour répondre à un problème de démographie médicale ».
La plateforme permet d’éviter les évacuations sanitaires à l’étranger puisque cela se fait virtuellement. On peut obtenir une expertise d’un médecin à Paris sans être obligé de prendre un visa, un billet d’avion, ou faire face aux commodités de séjour,
déclarait-il lors d’une soirée de présentation à Douala. Suite à un besoin exprimé depuis la signature d’un accord intergouvernemental, en 2009, le ministère de la Coopération de France a accompagné le Bénin à hauteur de 800 000 euros (520 millions de F CFA) dans la conception, le déploiement et la gestion d’un réseau de télémédecine informative par satellite devant relier le Centre National Hospitalo-Universitaire (CNHU) de Cotonou à 4 hôpitaux généraux de zone et 5 hôpitaux départementaux.
La plateforme MEDSKY a été choisie pour l’échange des données informatiques et sanitaires notamment entre les hôpitaux retenus. L’objectif à atteindre était, entre autres, l’amélioration de la qualité des diagnostics médicaux et l’obtention d’une télé expertise de second avis médical auprès de médecins spécialistes exerçant en France ou au Bénin.
La société Telemedecine Technologies a gagné le marché à l’issue d’un appel d’offres international. La Côte d’Ivoire, elle, a opté pour la mise en place d’un Plan national de télémédecine. Cette stratégie consistait à déployer 7000 km de fibre optique médicale sur l’étendue du territoire, hormis le réseau numérique mis en place par les deux opérateurs privés MTN et Orange.
La finalité était de mettre en contact les médecins généralistes en service dans les centres de santé et les hôpitaux généraux avec les médecins spécialistes opérant dans les CHU et certains dans les Centres Hospitaliers Régionaux.
Créée en 1957, l’Ong africaine de santé publique AMREF (African Medical and Research Foundation) Flying Doctors, basée à Nairobi, a accompagné le Sénégal dans la mise en œuvre de la moitié de ses projets de télémédecine.
Mais ces échantillons sont très peu pour un continent qui compte jusqu’à 54 pays. Les secteurs de la télémédecine ou des hôpitaux mobiles regorgent de nombreuses opportunités à capter par les potentiels investisseurs.