Au Cameroun, le manioc est largement cultivé et récolté tout au long de l’année. Le pays consomme 60% des 5 millions tonnes qu’il produit par an, le tiers est destiné à la consommation animale.
Troisième aliment riche en calorie après le riz et le maïs, le manioc est l’un des aliments les plus consommés en Afrique subsaharienne du fait de sa diversité de transformation et de sa culture aisée sur les sols généreux, tout comme sur des sols peu fertiles. Consommé sous forme de racine fraiche et produits bio-transformés, le manioc fournit une riche source d’énergie, de protéines, de vitamines et de minéraux à des millions de personnes, particulièrement dans les villes en croissance rapide de la région.
En République démocratique du Congo, par exemple, les tubercules de manioc fournissent plus de 60% de l’énergie journalière totale. Des pâtes alimentaires en passant par le jus de manioc, pour chuter sur les différents plats élaborés avec ses feuilles, le manioc n’a donc de limite que la créativité de ses consommateurs et l’opportunité qu’offre le marché.
Le manioc est la deuxième source d’amidon après le maïs et des variétés mises au point récemment produisent un amidon très recherché par l’industrie.
La demande de manioc comme matière première pour la production de bioéthanol, un biocarburant utilisé dans les moteurs à essence est en croissance. Elisabeth Atangana, présidente de la Plateforme régionale des organisations paysannes d’Afrique centrale (Propac) explique :
le manioc est une mine d’or qui peut fortement contribuer à réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne, garantir des emplois pour les femmes et les jeunes et atténuer la dépendance excessive à l’importation agricole.
« Le manioc est la culture agricole qui présente le plus grand potentiel de productivité et de création de valeur ajoutée », ajoute Michael Hailu, le directeur du Centre technique de coopération agricole (CTA), à l’ouverture du Forum régional sur le manioc en Afrique centrale qui s’est tenu à Yaoundé au Cameroun du 06 au 09 décembre 2016.
La filière est donc finalement un véritable moteur de croissance pour la sous-région Afrique centrale. À condition de capitaliser son potentiel et d’inclure les jeunes et les femmes, en particulier, qui représentent 90% des producteurs du manioc.
La Zlecaf
Aliment de base de plus 500 millions de personnes en Afrique, le manioc offre un potentiel unique de création de valeur ajoutée en vue d’une mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Grâce à sa filière très prometteuse, elle peut contribuer à la création d’emplois durables pour la sous-région, à condition de capitaliser sur son potentiel, d’accompagner les petites entreprises et d’inclure les jeunes et les femmes.
C’est ce qui ressort du Forum régional de Yaoundé organisé par le Centre du commerce international (ITC) dans le cadre de son initiative phare « One Trade Africa » et sous le thème « Renforcement des capacités des petites entreprises de la filière manioc dans Zlecaf ». La rencontre s’est tenue du 31 janvier au 1er février 2022.
Le manioc est un produit stratégique en termes de sécurité alimentaire, de développement des exportations et d’inclusion,
a dit Ruben Phoolchund, chef du Bureau pour l’Afrique de l’ITC lors de l’ouverture du Forum.
La Ceeac a procédé à l’identification d’une quinzaine de filières prometteuses en Afrique centrale y compris celle du manioc, « dont on connaît l’ampleur du potentiel dans pratiquement tous les pays de la communauté », a assuré M. François Kanimba, commissaire au marché commun, et aux affaires économiques, monétaires et financières de la Ceeac.
À l’issue des travaux des experts, la feuille de route régionale a décliné les grands axes pour renforcer la filière du manioc et contribuer au développement des exportations agricoles dans le cadre de la Zlecaf, enjeux clés dans une région passerelle qui est la seule à jouxter toutes les autres communautés économiques régionales du continent.
Une mine d’or pour l’Afrique Centrale
Avec une production de plus de 40 millions de tonnes par an en Afrique centrale, le manioc nourrit un demi-milliard de personnes dans la zone subsaharienne. Il se consomme des feuilles à la racine, et donc, le manioc a un fort potentiel pour contribuer à la suffisance alimentaire dans la région.
Sur le plan économique, c’est une opportunité de pouvoir industrialiser les produits dérivés. En plus, pour une denrée qu’on peut cultiver et transformer dans n’importe quel endroit, ce sont des emplois qui pourraient en découler. Une réelle valeur ajoutée, seulement la filière se heurte à d’énormes difficultés.
Quels obstacles au développement de la filière?
Que ce soit au Tchad, en République centrafricaine, au Cameroun, au Gabon ou en République démocratique du Congo, les défis sont les mêmes. Les premières difficultés de la filière manioc sont liées à l’accès difficile aux variétés améliorées. Des centres de recherches autour du manioc existent. Ils ont pour mission d’améliorer le rendement en introduisant des tubercules de qualité supérieure.
Seulement, il y a un écart de connaissance entre les chercheurs et les planteurs, bien souvent analphabètes ou ignorants. Les obstacles sont du domaine du transport. Ils sont surtout liés aux Infrastructures routières.
Il existe une réelle difficulté pour sortir le manioc récolté depuis les zones rurales jusqu’aux zones urbaines,
se désole Aminatou Sangaré, cultivatrice centrafricaine. La logistique est un frein. Les camions utilisés ne sont pas toujours adaptés pour transporter le manioc dans des conditions adéquates et de sécurité
Le coût du transport est d’ailleurs trop élevé dans ces circonstances,
s’offusque Miriam Ndong cultivatrice gabonaise. Le problème de conditionnement est également là avec son lot de stress. Surtout pour les racines, denrée hautement périssable. Robertine Debemle, chef d’une petite unité de transformation du manioc au Tchad éprouve de sérieuses difficultés à conserver ses produits faute d’emballages disponibles.
La camerounaise Dorothy Selamo, jeune entrepreneur, regrette les difficultés liées à l’acquisition d’équipements modernes. Toutes la chaîne de production est faite en grande partie avec des moyens archaïques. Une chaîne de production floue et étranglée par un marché mal organisé.
Quand le changement climatique s’en mêle
Avec les changements climatiques, les rendements baissent, les gains chutent. Le manioc est exposé aux pertes post-récoltes, 40% de la production est perdue juste après la récolte. Le Cameroun qui est passé de 20 tonnes a pratiquement 100 tonnes à l’hectare connaitra beaucoup de pertes. D’un autre côté, avec une bonne politique d’adaptation au changement climatique, le manioc est une culture qui a la capacité de croître dans des sols moins productifs, a besoin de moins d’intrants par rapport à d’autres cultures et concentre un fort potentiel d’accroître les revenus agricoles. C’est aussi l’une des cultures qui peuvent contribuer efficacement à renforcer le rôle des produits agricoles dans la croissance économique.
Une conjoncture internationale favorable
La guerre en Ukraine a relancé l’intérêt des pays africains pour le manioc, qui peut en partie se substituer au blé. Au Nigeria, le remplacement de 15 % de blé importé par une quantité équivalente de farine de manioc aurait évité au pays 408 millions de dollars d’importation en 2021, selon les calculs de Global Sovereign Advisory.
Quand il n’est pas consommé sous forme de tapioca, foufou, gari ou attiéké, le manioc peut entrer dans la fabrication du pain. C’est un des substituts reconnus du blé et cela n’a pas échappé au Nigeria, un des pionniers de la transformation du manioc sur le continent : dès 2002, Olusegun Obasanjo encourageait en effet son utilisation, rappelle une étude de la société de conseil Global Sovereign.
Depuis quelques années, d’autres pays ont enclenché le mouvement, en mettant en place des normes de qualité pour la farine de manioc, c’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de la République démocratique du Congo, et plus récemment du Congo.
Un contexte porteur qui ne s’est cependant pas vraiment traduit dans les faits. Paradoxalement, les prix records du blé n’ont pas encouragé la mise en œuvre de certaines initiatives. Car malgré leur volonté de développer une filière de farine de manioc, plusieurs États ont, dans l’urgence, subventionné le blé pour éviter un emballement des prix du pain, « ce qui a pu “brouiller” les efforts accomplis par les pays concernés » commentent les auteurs de l’étude.
En mai 2022, la Côte d’Ivoire a ainsi accordé aux meuniers une subvention de plus de 6 milliards de francs CFA – soit plus de 10 millions de dollars – pour l’achat de farine de blé. Quelques mois avant, le Gabon avait réagi en débloquant aussi des aides suite aux premières hausses du blé.
L’essor des produits dérivés du manioc en Afrique de l’Ouest
La production de manioc a connu une hausse importante ces 30 dernières années, en partie dynamisée par le secteur de la transformation en plein essor. Une grande diversité de produits transformés, par voies traditionnelles ou industrielles, existe et leur développement s’accompagne de technologies et de politiques performantes.
L’Afrique est le premier producteur de manioc au monde. Les principaux pays producteurs sont le Nigeria (35 % de la production africaine totale et 19 % de la production mondiale), la République démocratique du Congo, le Ghana, la Tanzanie et le Mozambique. Entre 1990 et 2004, la production de manioc en Afrique de l’Ouest a doublé, atteignant 60,8 millions de tonnes en 2010, dont 37 millions au Nigeria (Source Faostat).
Dans de nombreux pays africains, on estime que 70 % du manioc produit sont transformés. Ce taux de transformation est dû à la périssabilité des tubercules qui se dégradent 3 à 4 jours après la récolte. La gamme de produits qui en découle est diversifiée. Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, en particulier au Nigeria, Bénin, Ghana et Sierra Léone (pays d’études en référence) le développement de la culture du manioc et l’essor des systèmes de transformation alliant processus traditionnels, semi-industriels et industriels en font une filière à fort potentiel pour l’ensemble de la sous-région.
Forte augmentation de la production mondiale de manioc depuis 50 ans
Avec une production annuelle de plus de 268 millions de tonnes de racines fraîches récoltées en 2014, le manioc représente 32 % de la production mondiale de racines et tubercules alimentaires après la pomme de terre qui contribue pour 45 % du total (FAOSTAT 2016).
Dans leur ensemble, les plantes à racines et tubercules ont atteint en 2014 une production totale de plus de 845 millions de tonnes en produit frais, à comparer avec celle des céréales qui a dépassé 2,8 milliards de tonnes. Les céréales restent donc de loin la principale source alimentaire, mais les racines et tubercules constituent un complément non négligeable et même crucial dans certains pays notamment chez les populations les plus pauvres.
Parmi les vingt premiers producteurs mondiaux, douze sont africains, deux latino-américains et six asiatiques. Le Nigeria est de loin le premier producteur mondial de manioc avec plus de 51 millions de tonnes par an sur la période de 2012 à 2014 suivi de la Thaïlande avec environ 30 millions de tonnes par an. La production du Nigeria a plus que sextuplé (× 6,6) en cinquante ans quand celle de la Thaïlande était multipliée par plus de 15.
Les autres pays affichant une progression remarquable sont l’Indonésie (× 15), le Ghana (× 13), le Bénin (× 11), le Rwanda (× 17), le Malawi (× 35), la Sierra Leone (× 65) et surtout le Cambodge (× 565). Ce dernier pays, dont la production était insignifiante dans les années 1960, a vu sa production exploser à partir des années 2000 pour devenir le 8 e pays producteur mondial avec près de 8 millions de tonnes sur la période de 2012 à 2014.
Un commerce international limité, mais en expansion
Les racines et tubercules à l’état brut sont des produits périssables et pondéreux, car ils ont une forte teneur en eau (60 à 80 %), ce qui rend les échanges à longues distances compliqués et onéreux. Aussi le commerce international de ces produits frais représente une faible part de la production et concerne surtout des produits transformés, artisanalement ou industriellement.
Ces contraintes sont particulièrement fortes dans le cas du manioc dont la durée de conservation de la racine fraîche n’excède pas trois jours en l’absence de transformation ou de protection des racines, par de la paraffine par exemple. Les échanges internationaux de manioc se font principalement sous forme de produits séchés (cossettes, agglomérés et pellets) d’une part et de produits pulvérulents (farine et fécule) d’autre part.
L’éthanol produit par fermentation soit à partir de la farine, soit directement à partir des racines fraîches, est un produit en expansion. Les cossettes sont obtenues par séchage des racines préalablement pelées et découpées en fragments.
Depuis l’année 2007, les flux vers l’Asie se sont fortement accélérés et, en 2013, l’Asie représente plus de 97% des importations mondiales de cossettes et 84 % de celles d’amidon.
En 2001, pour la première fois, les importations de produits du manioc des pays asiatiques ont dépassé celles de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Depuis, les flux internationaux se sont concentrés sur l’Asie. La Chine représente à elle seule plus de 85 % des importations mondiales de manioc sec et plus de 52 % de celles d’amidon, ses achats ayant plus que doublé depuis 2004.
Les autres pays importateurs d’importance étant, pour le manioc sec, la Corée du Sud (6,6 % des volumes mondiaux) et la Thaïlande (5,4 %) qui s’approvisionne pour partie au Cambodge à des fins de réexportation, et pour l’amidon, Taïwan (12,2 %), l’Indonésie (8,1 %), la Malaisie (6,2 %), le Japon (5,0 %) et les États-Unis (2,3 %). L’intérêt de la Chine pour le manioc s’explique par le dynamisme de sa filière éthanol.
En 2011, la Chine était le troisième producteur mondial d’éthanol après les États-Unis et le Brésil. La décision des autorités chinoises en 2007 de ne plus utiliser de grains pour produire des biocarburants par souci de limiter la hausse des prix des céréales et de ne pas fragiliser la sécurité alimentaire a incontestablement dopé la demande de manioc.
Actuellement, 50 % de la production d’éthanol provient de cette plante et de la patate douce. On estime qu’une tonne de racines de manioc (à une teneur de 30 % d’amidon) permet d’obtenir près de 270 litres d’éthanol.
Selon la Cnuced, la quantité de bioéthanol, produit en 2011 essentiellement à partir de maïs et de canne à sucre, devrait augmenter de 50 % pour atteindre 1,55 milliard d’hectolitres au niveau mondial en 2020.
Dans les pays en développement, l’OCDE prévoit que plus de 80 % du bioéthanol produit en 2020 devrait être dérivé de la canne à sucre, du fait de la suprématie du Brésil en tant que producteur de bioéthanol. Les racines et tubercules, notamment le manioc, ne devraient contribuer que pour 4 % du total.
Cependant, si on fait abstraction du Brésil, la part des racines et tubercules, et en particulier du manioc, serait beaucoup plus élevée (15 %) compte tenu notamment de l’importance de cette culture comme source d’amidon en Chine.
Forte croissance de la demande mondiale de manioc
Le commerce mondial des produits dérivés du manioc, en grande partie soutenu par la demande industrielle, a connu une forte croissance jusqu’en 2012. Cette croissance s’explique, selon la FAO, par la compétitivité des prix du manioc par rapport à ceux du maïs, notamment grâce aux politiques mises en place en Thaïlande, premier fournisseur mondial de produits dérivés du manioc.
Après une croissance régulière jusqu’en 2011, les cours mondiaux des cossettes et de l’amidon de manioc semblent se stabiliser en dépit de la très forte demande et de l’extrême volatilité des marchés des céréales. Les perspectives pour les prochaines années indiquent une poursuite de la croissance de la production en Afrique, où le manioc reste une culture stratégique pour la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté.
Cependant, la propagation de plus en plus rapide de certaines maladies, comme la striure brune du manioc, inquiète le continent si un remède n’est pas rapidement trouvé pour lutter contre ce fléau. En dépit de l’importance alimentaire et économique du manioc en Afrique, les recherches y sont cependant restées relativement peu développées.
Un effort de financement de la recherche et du développement est donc nécessaire non seulement en raison de la forte demande commerciale et de la consommation croissante, et des potentialités de production énormes du manioc face aux changements climatiques, mais aussi à cause de nouvelles pressions sanitaires qui menacent cette plante.
Le marché international du manioc et des produits dérivés est devenu un enjeu important, même s’il est loin d’égaler celui des céréales et autres légumineuses. L’augmentation assez sensible de la demande européenne et asiatique, pour l’alimentation du bétail et à des fins industrielles, a ravivé les appétits des pays producteurs pour la conquête du marché international.
Ce dernier reste cependant dominé par les pays asiatiques, la Thaïlande notamment et les pays africains n’ont pu jouer que sur les préférences commerciales que leur accordait l’Europe pour placer quelques tonnes de cossettes.
Une offre mondiale dominée par l’Afrique
D’après les données de la FAO, la production mondiale de manioc est passée d’environ 162 millions de tonnes en 1992 à 185 millions de tonnes en 2002, soit un accroissement annuel de 2,3% au cours de la période.
Alors que la production mondiale reste quasiment stable autour de 165 millions de tonnes entre 1992 et 1998, on note dès 1999 une hausse significative, notamment en Afrique, montrant le regain d’intérêt à la culture de manioc.