L’Afrique serait donc le prochain marché à conquérir dans le monde de l’édition. Si l’Asie-Pacifique est la région la plus importante sur ce segment de marché et si le Moyen-Orient est le lieu qui devrait connaître la plus forte croissance, l’Afrique, encore marginale, est là aussi – compte tenu de sa démographie et de la croissance de sa classe moyenne – le prochain territoire à conquérir, estime Forbes Afrique.
Comme ailleurs, l’offre numérique se développe sur le continent et séduit de nouveaux adeptes ; mais ici, l’heure est avant tout à l’édition de contenus plus adaptés aux consommateurs, que ce soit dans la catégorie livre scolaire ou de loisir. Cette tendance est favorisée par l’arrivée, aux côtés des géants mondiaux, d’acteurs locaux ou régionaux. L’Afrique de l’Ouest s’affiche en tête du marché francophone.
Deux pays y mènent la danse : la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Avec l’émergence d’une classe moyenne, avec aussi l’arrivée des « repats » (pour « repatriés »), familiers de certains types de consommation – notamment en matière de loisirs – et demandeurs de contenus « locaux », le marché est en plein essor.
Comme à l’échelle mondiale, le secteur jeunesse reste le plus dynamique dans le monde de l’édition. Parmi les acteurs locaux, une pionnière, Voyelles Éditions. Créée par Adja Mariam Soro en 2015, cette maison des plus ambitieuses multiplie les initiatives destinées à promouvoir les industries culturelles et créatives made in Côte d’Ivoire, et plus largement made in Africa.
Des initiatives locales favorisées par un cadre réglementaire incitatif
De telles initiatives locales sont favorisées par un cadre réglementaire incitatif, qui répond à une volonté des États de disposer de manuels scolaires mieux adaptés à leurs programmes éducatifs. Ainsi, les éditeurs ivoiriens bénéficient-ils d’une clause de préférence nationale pour les appels d’offres publics relatifs à la production de manuels scolaires.
Il en est de même chez le voisin sénégalais, ainsi qu’au Cameroun, leader sur le marché de l’édition en Afrique centrale, où des mesures incitatives ont été adoptées pour favoriser les éditeurs locaux lors des appels d’offres éducatifs. Mieux encore : au Maroc, un fonds a été spécifiquement créé en 2008 pour soutenir les éditeurs locaux.
Résultat : le Royaume, qui compte plus d’une centaine de maisons d’édition, a pris la tête du marché de l’édition régionale, notamment sur le secteur du livre arabophone.
Sans surprise, la demande en contenus locaux a également conduit les acteurs internationaux à adapter leur offre. C’est ainsi qu’Éditis, un des leaders français de l’édition, s’est implanté en Côte d’Ivoire – le marché le plus attractif pour celui qui veut se développer à l’échelle régionale –, à travers Nimba Éditions.
Dénicher les talents, les accompagner, travailler à offrir le meilleur de la créativité locale au grand public, telle est la vocation de Nimba Éditions,
déclarait Vincent Barbare, directeur général, lors de la conférence de lancement de la maison, fin 2020.
Une montée en puissance avec une croissance de 12% à 26% d’ici 2030
Le numérique, de son côté, offre une nouvelle opportunité pour le marché du livre africain sur le continent. Longtemps considéré comme un produit de luxe en raison de son coût, le livre tend en effet à se démocratiser avec le développement d’une offre digitale.
Ainsi, à côté des bibliothèques numériques, se développent également des maisons d’édition qui misent entièrement sur le numérique, comme Diasporas noires Éditions ou les Nouvelles Éditions Numériques Africaines (NENA), à Dakar.
De même, la multiplication des salons et foires du livre, partout en Afrique, participe à donner de la visibilité aux acteurs locaux. Non sans peine, ceux-ci parviennent à se frayer un chemin parmi les géants mondiaux de l’édition francophone, principalement français et québécois, suivis depuis peu par des éditeurs indiens et sud-africains.
Promis à une forte croissance d’ici 2030 (de 12 % à 26 %, selon l’édition Forbes Afrique de septembre 2022), le marché du livre francophone fait des envieux. Et pour cause : le nombre de francophones dans le monde (300 millions aujourd’hui) pourrait être de 750 millions de personnes en 2050. Et quand on sait que l’Afrique, par sa démographie, en représentera alors près de 85 %, on se dit que le continent a là, indéniablement, une carte à jouer.
Plombé par la pandémie de Covid-19, le marché mondial du livre reprend des couleurs. De l’ordre de 84,54 milliards de dollars en 2021, il passe à 89,25 milliards de dollars en 2022, avec un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 5,6 %, pour atteindre 105,27 milliards de dollars en 2026 (et un TCAC de 4,2 %), selon les projections du « Rapport mondial des éditeurs de livres 2022 » réalisé par Research And Markets.
Principaux obstacles à l’émergence et l’industrie du livre en Afrique
L’obstacle majeur au développement du livre, de la lecture et de l’édition en Afrique est la non-intégration, ou la non-prise en compte de ce secteur dans les plans de développement des États. En d’autres termes, c’est l’absence de politiques réfléchies et concertées.
La nature particulière de l’économie du livre et le contexte de récession économique actuel ont aussi immanquablement des répercussions. Le « commerce de la librairie », selon l’expression de Diderot, demeure une activité économique tout à fait particulière et à risques dont la rentabilité est problématique puisqu’il s’agit d’idées.
La difficulté pour trouver les capitaux ici comme ailleurs n’est pas des moindres. Un accès plus aisé aux marchés financiers, ainsi que des conditions plus favorables dans l’obtention des crédits bancaires permettraient la constitution d’entreprises d’édition ayant le goût du risque. Ainsi, l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les éditeurs est bien celui de l’investissement; les banques sont en effet peu disposées à investir dans un secteur où les profits ne sont pas immédiats et garantis.
Il est remarquable que ce problème ne soit pas spécifique à l’édition privée et concerne aussi les éditions d’État dont la politique de service n’intéresse pas non plus les investisseurs soucieux de rentabilité : cela explique par exemple la pénurie de manuels dans beaucoup de pays où l’édition scolaire est pourtant monopole d’État.
L’absence de politiques nationales du livre et de la lecture résulte aussi du marasme économique de l’Afrique. La crise économique amène en effet la plupart des États à prendre des mesures drastiques dont les conséquences pèsent lourdement sur les pouvoirs d’achat et freinent l’investissement des capitaux, quelle que soit leur origine. Les secteurs culturels sont souvent sacrifiés car réputés non productifs. La lecture n’étant pas un besoin irrépressible, les populations ne consacrent que des sommes résiduelles ou marginales au livre.
On sait par ailleurs que lorsqu’elles existent, les unités d’imprimerie capables de produire importent de l’étranger leurs équipements et les matières premières. Or, dans la plupart des cas, si le livre en tant que produit fini importé ne se heurte pratiquement à aucune barrière douanière, en revanche, les matières premières importées pour sa fabrication se trouvent frappées de toutes sortes de taxes et restrictions.
Que dire lorsque les pays se trouvent enclavés ? Les conséquences d’une telle situation sont le coût élevé du livre local qui l’empêche d’entrer en compétition avec le livre importé. C’est ainsi que la concurrence des maisons étrangères se trouve favorisée; les éditeurs locaux préfèrent se faire imprimer à moindre coût à l’extérieur donc empêchent l’émergence d’une l’industrie locale du livre.
Cette dépendance de l’extérieur est valable également, mutatis mutandis, pour la maintenance des équipements et l’organisation de la production. Les conséquences en sont une sortie de devises, l’aggravation du déséquilibre de la balance commerciale sans oublier les sempiternelles ruptures de stocks, selon l’Association sénégalaise des éditeurs.
L’édition : un marché en progression depuis peu
Le chiffre d’affaires réalisé par les éditeurs en 2018 représentait 2,67 milliards d’euros soit une diminution de 4,4 % par rapport à 2017. Ce sont essentiellement sur les ventes de livres scolaires, dont le marché pèse en 2018 environ 300 millions d’euros, que cette baisse se concentre. Dans ce chiffre, quasi stable d’une année sur l’autre, les ventes de livres (livres imprimés, livres numériques, livres audio) atteignaient 2,525 milliards d’euros et les cessions de droits, 145 millions d’euros.
Au total, 419 millions d’exemplaires ont été vendus en 2018, soit une baisse de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Le secteur emploie, en 2015, plus de 13 300 salariés dans l’édition de livres et de 10 200 personnes dans le commerce de détail de livres en magasin spécialisé. On compte, au côté de ces salariés, de nombreux indépendants.
Selon une estimation du ministère de la Culture, la part des non-salariés atteint 41 % en 2017 dans le secteur du livre. Le marché du livre est également présent à l’international : le secteur a, en effet, exporté en 2018 des marchandises pour un montant total de près de 665 millions d’euros.
Une perspective : le doublement du marché
Une vision optimiste de tous ces facteurs permet d’envisager un doublement du marché du livre en langue française en 2030, à plus de 260 millions d’euros des revenus de ventes de livres francophones édités localement, et un marché multiplié par quatre en 2050 à plus de 500 millions d’euros de revenus, selon le Point Afrique.
Ce scénario du rayonnement peut être nuancé par une vision pessimiste selon laquelle les menaces identifiées auraient pris le dessus et contiendraient le marché à hauteur de 280 millions d’euros en 2050 : une croissance tout de même, mais bien inférieure, ne permettant pas de réaliser tout le potentiel du marché. Ce potentiel est un des principaux moteurs du marché mondial du livre en langue française.
Il appelle à une mobilisation régionale avec la coordination des pays voisins sur des actions communes, par exemple sur la lutte contre le piratage. Il appelle aussi à une mobilisation francophone, principalement pour accompagner le développement des acteurs qui font vivre l’économie du livre, pour faire face aux enjeux éducatifs majeurs en cours et à venir.