Le 21 mars dernier, le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso a procédé à l’ouverture symbolique d’une vanne sur le site de production de gaz naturel liquéfié (GNL) de Litchenjili, non loin de Pointe-Noire, la capitale économique de ce pays de l’Afrique centrale.
Au même moment, le premier navire-cargo transportant la première cargaison de gaz congolais destiné à l’exportation, effectuait des manœuvres de départ au large de l’océan Atlantique, sous le regard impressionné du parterre des officiels invités à la cérémonie d’inauguration de la production de GNL de ce pays connu jusque-là comme l’un des principaux producteurs de pétrole dans la zone Cemac.
Le gaz issu de cette première phase de la production, d’un volume estimé à 600 000 tonnes pour cette année, sera destiné principalement à l’exportation, permettant ainsi à la République du Congo de rejoindre le cercle restreint des exportateurs de cette ressource énergétique stratégique sur le continent.
Pour l’instant, nous sommes dans la première phase qui est celle de 600 000 tonnes et l’année prochaine, nous passerons à 3 millions de tonnes,
a annoncé le ministre congolais des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua. A terme, avec l’achèvement des autres phases attendues et l’atteinte du volume maximal, une partie de la production gazière congolaise sera affectée à la consommation locale et à l’alimentation de la centrale électrique du Congo. Les autorités n’excluent pas la production d’engrais à base de ce même gaz. Les recettes fiscales attendues de l’exploitation du gaz congolais, fin 2024, sont de l’ordre de 44 millions d’euros soit 29 milliards de francs CFA.
Une demande toujours forte sur les marchés européens, et des opportunités à capter
La guerre qui depuis le 24 février 2022 oppose la Russie et l’Ukraine, sur fond géostratégique, a révélé la vulnérabilité de l’Union européenne, jusque-là dépendante à 40,5% du pétrole et du gaz russes – l’Italie en dépendait à 45%. En riposte aux sanctions imposées contre son pays par les Occidentaux, le président russe Vladimir Poutine a asséché les vannes ravitaillant le vieux continent.
Cette situation a convaincu les pays de l’UE de l’urgence d’une offensive dans leur « diplomatie du gaz », ayant pour finalité cette fois de diversifier les sources d’approvisionnement en pétrole et en gaz, cette dernière ressource étant nécessaire, entre autres, pour le chauffage des ménages en saison hivernale. Du coup, l’on a assisté à une explosion de la demande en gaz sur les marchés de l’Union européenne en l’occurrence. Comme l’a réitéré le ministre des Hydrocarbures du Congo, Bruno Jean-Richard Itoua :
Il y a un marché très demandeur en gaz. Au niveau international, la crise entre l’Ukraine et la Russie crée des tensions sur le marché. Parce qu’il y a une partie de la production mondiale, notamment celle de la Russie qui n’est pas disponible. Il y a une demande très forte, les prix sont très élevés. Donc, tout producteur de gaz a intérêt à aller vite.
Aussi bien les Etats que les grandes entreprises du secteur ont multiplié des manoeuvres en Afrique. Ainsi de l’Italie qui a fait la cour à l’Angola et au Congo Brazzaville, ou encore de l’Allemagne qui a négocié des accords avec le Sénégal et la Mauritanie, avec une finalité commune : obtenir l’augmentation de la production et des exportations de ces pays producteurs. La France déclare que ses dépenses d’importations d’hydrocarbures auprès des pays de la Cemac, au premier semestre 2023, ont atteint 89,2 millions USD (54,5 milliards de Francs CFA), de loin supérieures à celles effectuées un an plus tôt.
Le Cameroun engrangé 463,8 millions d’euros aux six premiers mois de 2023
C’est sans doute cet environnement du marché favorable qui a motivé le Cameroun à développer de nouveaux champs d’exploitation de gaz. Le champ gazier de Kribi, qui a démarré ses activités de production il y a peu, contient jusqu’à 500 milliards de pieds cubes de réserves de gaz naturel liquéfié. Une précieuse manne pour ce pays voisin du Congo. Le Cameroun va produire depuis l’usine flottante de Hilli Episeyo, jusqu’à 1,2 million de tonnes de gaz naturel liquéfié par an, ce qui ne représente cependant que la moitié de la capacité nominale de ce navire-usine sur huit ans, indique la Société nationale des hydrocarbures (SNH).
C’est depuis 2014 que ce pays de l’Afrique équatoriale a inauguré la toute première unité de production de gaz en Afrique subsaharienne dans la zone industrielle de Douala-Bassa grâce aux investissements de Rodeo Development, une filiale de l’entité britannique Victoria Oil and Gas. La même année, la SNH concluait un accord avec Perenco. Le 30 juin 2015, l’accord sur les clauses commerciales et les conditions de mise en valeur du projet d’exploitation du gaz naturel liquéfié était dévoilé par le gouvernement. Depuis lors, la production nationale a connu un boom sans précédent. Selon la SNH, elle
s’est établie à 4343,4 millions pieds cubes sur les quatre premiers mois de l’année 2014, contre 93,4 millions de pieds cubes pour la même période en 2013.
Fin octobre 2014, la production gazière du pays connaissait une hausse de 124% par rapport au volume affiché à la même période en 2013, se situant à 9160 millions de pieds cubes. Cette croissance exponentielle a été favorisée par le développement de nouveaux champs gaziers, à l’instar de celui de Sanaga Sud. Aux six premiers mois de 2023, le Cameroun à lui seul a fourni à la France les 3/4 de la production d’hydrocarbures de la sous-région Afrique centrale. Le quart restant provenant des autres pays de cet espace économique.
Le pilier de l’Afrique centrale a engrangé au cours de la même période des recettes de l’ordre de 463,8 millions d’euros soit 304,2 milliards de francs CFA issues de la vente du GNL, de condensats de gaz, mais aussi du pétrole brut. Absentes de son portefeuille client avant le début de la guerre d’Ukraine, l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas sont devenus preneurs du GNL camerounais, achetant 56% des exportations camerounaises, selon le ministère de l’Economie de ce pays.
Premier producteur africain de GNL depuis des lustres, l’Algérie satisfait environ 4% de la demande de l’Union européenne depuis 2020. L’option des usines flottantes fait florès sur le continent car elle permet d’éviter les pertes subies dans la technique de torchage ou brûlage pratiquée jusqu’à une période récente.
Depuis les années 1950, on brûlait le gaz, on gaspillait une richesse. Le chef de l’Etat (Sassou Nguesso) a pris cette sage décision de faire en sorte que ce gaz soit désormais récupéré, liquéfié et exporté pour la richesse nationale, pour plus de revenus,
a expliqué, non sans s’en réjouir, le directeur général du Port autonome de Pointe-Noire, Séraphin Balhat. Un retard préjudiciable dans la livraison du méga-projet sénégalo-mauritanien Grand-Tortue/Ahmeyim. Tout récemment, le débat sur le projet gazier sénégalo-mauritanien connu sous le nom Grand-Tortue/Ahmeyim s’est invité dans la campagne en vue des élections présidentielles au pays de Macky Sall. Presque tous les 19 candidats au départ, y compris l’élu Bassirou Diomaye Faye, qui a prêté serment ce 02 avril, ont montré une vive préoccupation par rapport à ce projet.
C’est que cette autre infrastructure, jugée gigantesque, connait un énorme retard dans son exécution et sa livraison. Toutes choses qui ont déterminé les autorités sénégalaises à lancer un audit sur les raisons de ces surcoûts et surfacturations et leurs implications. Côté Sénégal, le champ Ahmeyim, qui se situe au large du Sénégal, dans le bloc Saint-Louis Offshore Profond, a un volume estimé à 1400 milliards de mètres cubes avec une profondeur du champ de 2,7 km. Il est détenu par BP (60%), Kosmos Energy (30%) et Pétrosen, la compagnie pétrolière nationale sénégalaise (10%). Toutefois, le premier volume de GNL, initialement annoncé pour 2023, ne sera pas disponible avant le troisième semestre de cette année 2024.
Les 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié attendues pour la première phase seront exportées. Le coût des investissements pour cette phase est de 3,6 milliards USD contre 5 milliards de dollars pour la seconde phase, dont les travaux devraient débuter entre 2024 et 2025, si l’on en croit le président sortant Macky Sall. Cette phase 2 devra permettre au Sénégal d’atteindre un volume de 10 millions de tonnes de gaz en 2030.
Au large de la Mauritanie, dans le bloc C-8 précisément, le champ Tortue connait les mêmes fortunes diverses. Tout juste la société Sapiem a-t-elle terminé la pose des pieux d’amarrage du FLNG et les infrastructures essentielles, un an après le lancement du chantier au premier trimestre 2019. Les actions de ce volet du projet Grand-Tortue Aymeyim sont détenues par les mêmes acteurs : BP (62%), Kosmos Energy (28%) et la SMHPM (10%), entité représentant l’Etat mauritanien. Selon de nombreux experts, le retard observé dans la mise en œuvre de ce projet va entrainer des surcoûts avec un impact sur l’exécution du budget de l’Etat du Sénégal, mais aussi des répercussions sur les prévisions de croissance économique et les prévisions d’endettement. Car les recettes prévisionnelles découlant de l’exploitation de gaz, dans le cadre de ce projet, ont été budgétisées en 2023.
Accélération dans des chantiers stratégiques
Un retard qui tranche fort curieusement avec le cas du projet de GNL de Litchenjili, exécuté à une vitesse éclair. Comme s’en est vanté le PDG du groupe italien ENI, Claudio Descalzi :
Nous avons utilisé des technologies qui nous ont permis de réaliser un développement modulaire de GNL de petite taille. C’’est un modèle jamais utilisé en Afrique et même avec peu d’exemples dans le monde.
Comme d’autres producteurs africains de cette ressource, le pays du président Sassou Nguesso a visiblement hâte de capter les revenus qu’offrent les opportunités de marché existantes, dans ce contexte de décuplement de la demande favorisée par la guerre russo-ukrainienne.
Gare au triomphalisme
Mais les experts et analystes mettent en garde contre les effets euphoriques de ce boom gazier, cette « fièvre du gaz » qui pourrait bien vite se révéler un mirage pour les Etats exportateurs aujourd’hui gagnés par l’euphorie. En effet, selon Laura Page, analyste principale du GNL à la société d’analyse de données Kpler, citée par Julia Simon, elle-même analyste au Georgia Broadcasting.
Si les prix du gaz naturel son élevés aujourd’hui, cela pourrait changer à mesure que ces projets arrivent à maturité. (…) La trajectoire de la demande de gaz au cours des 20 à 30 prochaines années n’est pas très claire.
L’autre facteur, c’est la Chine. Elle qui, au plus fort de la crise russo-ukrainienne, a redirigé vers l’Europe une importante partie du gaz naturel liquéfié que lui vend l’Afrique en contrepartie de ses investissements sur ce continent. Les énergies renouvelables devenant de moins en moins chères, explique la chercheuse, de plus en plus de pays seront contraints d’envisager l’option de l’hydrogène et de reconsidérer le nucléaire. Cette situation fait dire à Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris, cité par le magazine d’analyse Révolution permanente :
Nous profitons des investissements des autres, mais les producteurs et les “majors” du pétrole et du gaz ont besoin de contrats à long terme,
analyse-t-il. Il revient donc aux Etats africains exportateurs du gaz naturel sur le continent, dans un tel contexte, de capitaliser l’opportunité présente en négociant au mieux des contrats gaziers qui prennent en compte les intérêts de l’Etat et de ses populations.