Comment se porte la filière du poivre au Cameroun ?
Je crois que le Poivre de Penja se porte bien malgré les difficultés liées à notre activité, qui sont des difficultés tout à fait normales. Je veux parler des difficultés agronomiques et des difficultés liées au climat. Je crois que le Poivre de Penja se porte très bien.
Où se vend le poivre de Penja ?
Le Poivre de Penja se vend au moins à 70% à l’intérieur du Cameroun. Les 30% de poivre restants sont vendus à l’export, à l’étranger. Il faut retenir que le premier consommateur du Poivre de Penja c’est d’abord le Camerounais. Donc nous avons du chemin à parcourir pour conquérir les marchés à l’export. Mais ce n’est pas plus mal que les Camerounais consomment le meilleur poivre du monde quand même.
Aujourd’hui vous êtes une kyrielle d’opérateurs au sein de cette filière. Peut-on dire que chacun tire son épingle du jeu ?
Vous savez, quand on investit dans une activité et que cette activité est rentable, vous y restez. Donc je pense que les producteurs sont satisfaits de leur situation malgré les difficultés vraiment inhérentes à notre activité.
C’est en 2013 que vous avez finalisé votre label IGP. Quelle est la longue marche ayant abouti à ce processus ?
Nous avons un certain nombre d’années déjà à l’intérieur de ce label. La démarche vers l’indication géographique est une démarche laborieuse. Parce que nous avons commencé les premières démarches en 2009. Si nous avons obtenu le label en 2013 c’est que nous avons quand même passé trois à quatre ans à essayer de nous conformer à ce label-là. Bon, nous avons travaillé pour ça et nous avons réussi. Le travail que nous avons fait porte des fruits aujourd’hui, parce que, vous l’avez vu tout à l’heure [lors du colloque international de Douala sur les indications géographiques en Afriques, Ndlr], nous sommes cités en exemple et c’est une fierté pour nous que les choses se passent comme ça.
Quand vous parlez de la conformité, quelles sont les conditions requises pour arriver à cette consécration ?
La première chose c’est qu’au niveau de notre travail, il faut être constant dans l’effort que nous allons fournir. Nous avons la chance que sur Penja, nous avons un terroir assez particulier parce que ce label est un label qui est lié au terroir et au savoir-faire des populations, c’est-à-dire des producteurs. Donc nous avons eu la chance d’être, ici à Penja, sur un terroir assez particulier : nous avons là-bas des sols volcaniques, nous avons des sols riches. Ce sont toutes ces propriétés-là qui donnent à Penja la notoriété qu’on lui connait, parce que le poivre de Penja a un goût et une odeur assez particulière. Et c’est pour ça que nous avons tout fait pour avoir ce label-là de manière à avoir des éléments juridiques pour que le poivre de Penja ne rentre pas dans quelque chose qui est banal.
Quelle est la plus-value, pour un produit comme le poivre de Penja qui obtient sa labellisation ?
La plus-value c’est d’abord la notoriété, parce que vous n’êtes pas sans savoir que le poivre de Penja, si je ne m’abuse est devenu l’une des fiertés nationales dont tout le monde parle. Tout le monde qui voyage veut avoir un peu de poivre de Penja dans ses valises pour aller offrir. Ça, pour nous, c’est déjà un gain très important. Pour nous et pour notre pays, au-delà du producteur lui-même, c’est déjà un gain très important pour l’image de notre Cameroun chéri. Il y a un après-label et un avant. Comme certains disent que « Avant il y avait quoi, ou après il y avait quoi ? » Mais chez nous il y a un après et un avant : les prix sont passés du simple au double.
De 4,06 dollars US (2 500F CFA) à 22,77 USD (14 000 francs CFA) en 2020 …. Moi je n’aime pas parler des chiffres, mais retenez tout simplement que les prix sont passés du simple au double. Ce sont des prix qui fluctuent, mais sachez que les prix sont passés du simple au double et que les producteurs s’en portent bien. Le Cameroun aussi.
La production camerounaise parvient-elle, aujourd’hui, à satisfaire la demande si tant est que la labellisation d’un produit est synonyme aussi de l’accroissement de la demande ?
Disons que l’année dernière nous avons produit environ entre 600 et 700 tonnes. Nous pensons que d’ici 2026 nous allons passer autour de 1000 tonnes. Donc la production augmente. Ce qui est sûr est que la demande sera satisfaite au fur et à mesure, même si la demande n’est pas satisfaite aujourd’hui.
Vous avez également reçu quelquefois des subventions de la part des partenaires internationaux, notamment celles de l’Agence française de développement. L’Etat vous accompagne-t-il, aujourd’hui, dans votre démarche ?
Vous savez, quand on est face à l’Etat – je parle du Cameroun en particulier –, on a tellement de besoins que nous sommes tout le temps obligés de poser nos problèmes et d’essayer de les faire satisfaire. L’Etat du Cameroun nous accompagne à travers un certain nombre de subventions. Par exemple nous bénéficions des subventions sur les engrais de 30% par rapport au prix normal. C’est déjà énorme qu’on vous baisse le prix de l’engrais, que l’Etat prenne en charge 30% du prix d’un produit. C’est énorme, ça coûte cher à l’Etat, et il faut le savoir.
Dans les finances actuelles de notre pays, ça coûte cher à l’Etat. Donc c’est un investissement que je considère énorme. L’Etat, au-delà de ses appuis, à travers ses partenaires, parce que quand un partenaire comme l’AFD vient nous financer un certain nombre de choses, c’est avec l’accord de l’Etat. Donc l’Etat est présent dans ce que nous faisons et nous l’en remercions. Il nous accompagne même au niveau de la lutte contre la fraude. Il est prêt. Parfois même c’est nous qui sommes un peu paresseux.
Donc en ce qui concerne l’accompagnement de l’Etat, nous, les producteurs de poivre, on est vraiment satisfaits, mais on est toujours demandeurs parce que, vous le savez, quand un enfant commence déjà à marcher, il a des besoins. Nous marchons et nous avons des besoins que l’Etat doit nous aider à satisfaire.
Il y a quelques années, en 2018 et 2019 en l’occurrence, la filière a fait face à une invasion spectaculaire des bio-agresseurs qui ont détérioré le sol, impactant la production. Ce phénomène est-il aujourd’hui maîtrisé ?
Je crois que ce phénomène est maîtrisé aujourd’hui. Parce qu’il y avait un champignon qui nous embêtait beaucoup. Nous avons trouvé des remèdes par rapport à ce champignon-là. Mais le problème que nous avons en ce qui concerne même le développement de notre filière, c’est le problème de changement climatique, parce que les saisons sèches sont de plus en plus longues, ce qui fait qu’on est obligés souvent d’arroser nos plantes. Ce sont des investissements supplémentaires qu’il faut faire. Nous sommes en train de sélectionner dans nos plantations des variétés plus résistantes à la sècheresse. Donc nous faisons ce travail-là et nous pensons que petit à petit nous allons réussir à juguler tous ces problèmes qui sont liés à notre profession.
En termes de perspectives, la filière a-t-elle des ambitions, des défis spécifiques qu’elle se fixe dans un horizon proche ou lointain ?
Oui, notre préoccupation principale c’est de pouvoir augmenter nos exploitations, parce qu’il faut se dire qu’en exportant on gagne plus d’argent. Donc pouvoir augmenter cette partie de notre activité c’est de maintenir la qualité de notre produit – c’est un objectif qui est très important –, c’est de créer un attrait pour la jeunesse pour qu’elle s’intéresse à cette filière-là. Au-delà de toute chose, je pense que l’agriculture peut nous sortir de la pauvreté.
Vous faites allusion en termes voilés à l’exode massif des jeunes vers les villes ?
Oui, ce qui est un drame. Parce que les jeunes croient que ce n’est qu’en ville qu’on peut s’en sortir. C’est complètement faux. Je pense que notre avenir se situe plutôt dans la ruralité. Moi j’ai travaillé en ville ; ici à Douala j’étais responsable d’une entreprise qui marchait bien, mais j’ai choisi de devenir agriculteur, et je m’en porte mieux et je suis fier d’être agriculteur.
Propos recueillis par Théodore Tchopa