Chaque année, l’Afrique perd une somme comprise entre 24 et 35 milliards de dollars du fait des activités de contrebande dans le secteur de l’extraction de l’or artisanal. C’est ce qui ressort d’une étude récente co-réalisée par Marc Ummel, responsable secteur matière première chez Swissaid, et Yvan Schulz, chargé de la recherche et plaidoyer au sein de la même organisation suisse.
L’enquête des deux spécialistes de dossiers « matières premières » chez Swissaid est intitulée « Sur la piste de l’or africain : quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites ». Elle quantifie la production et le commerce de l’or déclaré et non déclaré dans les 54 pays du continent sur une période de plus de dix ans.
Le montant astronomique de 35 milliards USD équivaut aux quantités d’or (entre 321 et 474 tonnes par an) qui ne sont pas déclarées à la production chaque année et servent probablement à financer les conflits armés sur le continent, et à justifier ainsi les nombreuses violations des droits de l’homme, quand elles n’alimentent pas la corruption galopante, selon les auteurs de l’étude. L’autre conséquence flagrante dénoncée par les deux responsables de Swissaid, est la dégradation de l’environnement.
Les 474 tonnes représentent 72 à 80% de la production totale minière artisanale d’or africain. C’est dire que près de trois quarts des ressources aurifères annuelles de l’Afrique disparaissent dans des circuits non contrôlés par l’Etat. Cette perte de contrôle est d’autant plus préjudiciable que l’or constitue l’une des principales ressources d’exportation pour nombre de ces États.
Une tonne d’or disparait chaque jour dans les filières de contrebande
Les deux spécialistes de Swissaid estiment à 435 tonnes la production africaine vendue annuellement dans des circuits de contrebande. Soit plus d’une tonne par jour. Ce qui représente un énorme manque à gagner pour les Etats pourtant en proie à la pauvreté galopante et aux difficultés d’accès aux services de base. Comme l’explique Yvan Schulz, chef de projet chez Swissaid et co-auteur de l’étude :
On a calculé qu’en 2022, il y avait 435 tonnes [d’or] au total qui ont été exportées en contrebande du continent africain. Et évidemment, si on divise 435 par 365, on obtient plus d’une tonne par jour,
L’étude nous apprend aussi que « La contrebande d’or en Afrique a plus que doublé entre 2012 et 2022 ». Cette recrudescence s’explique par l’envolée des cours du métal jaune sur le marché mondial ces dernières années. Elle a suscité un regain d’intérêt pour les activités d’extraction (artisanale ou industrielle), et donc de contrebande de cette matière première, qui occupe plus de 200 millions de personnes dans le monde, apprend-on. Et Marc Ummel d’ajouter :
Quand on regarde au niveau de la contrebande, la majorité des pays africains sont actifs dans la contrebande de l’or. Il y a même plus de 12 pays africains qui sont impliqués dans une contrebande de plus de 20 tonnes par année.
Il énumère entre autres la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Zimbabwe, ou encore le Soudan, le Mali et le Niger. D’autres pays, à l’instar de l’Erythrée, la Libye entretiennent une grande opacité sur le secteur extractif de l’or, rendant ainsi impossible la collecte des informations y afférentes, comme le soulignent les auteurs. Ce qui dénote, selon eux, « une volonté politique dans certains Etats de cacher les données ou de ne pas être transparent ».
On a eu beaucoup de difficultés à obtenir, notamment, des données du Rwanda, des données de l’Éthiopie. Il y a certains Etats où c’était pratiquement impossible, notamment avec l’Érythrée, avec la Libye (…) Évidemment, quand parfois le gouvernement ou certains représentants du gouvernement sont impliqués directement dans ce commerce, qu’ils y ont des intérêts, vous n’avez aucune volonté d’amener plus de transparence,
déplore Marc Ummel.
Retracer le parcours de l’or de son extraction à son utilisation finale n’est pas chose aisée. Après avoir été extrait, le métal précieux sera tour à tour vendu, transporté, traité, exporté, retraité puis revendu. Le tout souvent en passant par les mains de nombreuses personnes, dans différents pays. Une grande partie du commerce de l’or est opaque,
lit-on sur le site web de Swissaid, l’Ong suisse.
La Suisse, les Emirats Arabes Unis et l’Inde, trois gros importateurs de l’or africain
Force est de constater que, sur la même période d’étude (2012-2022), la Suisse, les Emirats Arabes Unis, et l’Inde ont importé les plus grandes quantités d’or en provenance du continent africain. Fait de hasard ou indicateur de suspicion ? Aucune piste n’est à exclure dans tous les cas.
Les Emirats Arabes Unis ne possèdent aucune mine d’or sur leur territoire. Pourtant, entre 2012 et 2022, ce pays asiatique a été la principale destination de 2596 tonnes d’or non déclarées en provenance du continent africain. Dubaï a réexporté sur la même période plus de la moitié de cette manne (soit 1670 tonnes) vers la Suisse, qui compte parmi ses principaux importateurs d’or.
Outres ses traditionnelles transactions avec Dubaï, la Suisse a été le pays d’arrivée de 21% des exportations directes d’or africain à l’étranger. Ce pays réputé depuis de longues dates notamment pour son opacité en matière de finances, est le lieu de transit de près de la moitié, sinon les trois quarts de l’or mondial.
L’urgence de durcir les législations, comme celle de la Suisse
Une récente étude réalisée par la même organisation, révèle que la Suisse héberge quatre des neuf plus grandes raffineries dans le monde. Ce rapport de Swissaid met également au jour plus de 140 relations d’affaires entre des mines d’or industrielles africaines et des raffineries.
Si les auteurs évoquent ces liens contre-nature, c’est parce qu’ils pensent que la Suisse peut jouer un rôle prépondérant dans la lutte contre les flux financiers illicites entretenus par la contrebande dans le secteur extractif et notamment la production de l’or.
Faire la lumière sur le commerce de l’or africain est indispensable afin de mettre les États et l’industrie face à leurs responsabilités,
explique Yvan Schulz, chef de projet chez SWISSAID et coauteur de l’étude.
Les responsables de Swissaid en appellent par conséquent à un renforcement des législations suisses mais davantage africaines, tant au plan national que régional pour ce qui est de l’Afrique.