La plateforme N’Kalo, un service d’information et de conseil engagé au service des filières agricoles africaines, note dans une récente étude, que les importations d’anacarde des pays d’Amérique du Nord (États-Unis, Canada, Mexique, etc.,) qui constitue le plus grand marché en la matière, ont chuté de 25% au cours des trois premiers mois de 2023.
Les crises qui s’enchaînent (Covid-19, guerre en Ukraine, etc.,) ont en effet entraîné, au cours des deux dernières années, une baisse inédite de la consommation aux États-Unis et même dans certains pays européens. Conséquence, la moitié de la récolte actuelle de l’Afrique de l’Ouest, qui regroupe l’essentiel des pays producteurs de la noix de cajou, n’a pas encore été achetée, et s’ajoute aux invendus de 2022. Sur le terrain, les prix ont chuté à 200 Fcfa, à l’exception du Sénégal qui a la réputation d’offrir une récolte de très bonne qualité destinée à satisfaire essentiellement la demande intérieure.
Là-bas, le kilogramme de noix de cajou coûte actuellement 375 Fcfa (à peine 0,6 dollar US). Cette situation qui dure depuis plusieurs mois évolue à rebours des années de vaches grasses de 2016 à 2018, marquées par des prix minimum historiquement élevés entre 2000 et 2400 dollars US (plus de 1,4 million Fcfa) la tonne ( entre 550 et 650 Fcfa le kilogramme), en fonction de l’origine de la qualité.
Cette forte demande mondiale a vite stimulé les investissements dans la filière, grâce notamment aux politiques de subventions mises en place par certains gouvernements, à l’instar de celui de la Côte d’Ivoire, pour booster la production et faire de l’anacarde un produit phare de ses exportations avec le cacao. La production du pays tourne depuis 2021 autour de 1 million de tonnes de noix de cajou par an, soit près du 1/3 de l’offre mondiale d’anacarde brute.
La Côte d’Ivoire domine largement le marché mondial aujourd’hui et est même devenue le troisième plus grand exportateur d’amende de cajou (produit utilisé dans les cosmétiques et la cuisine) au monde avec 30 022 tonnes exportées en 2021, derrière le Vietnam ( 580 000 tonnes) et l’Inde 66 000 tonnes).
Plus globalement, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), l’Afrique se taille 90% de la production mondiale de noix de cajou brutes, laquelle production oscille entre 3,5 et 3,7 millions de tonnes l’an. Et c’est 20 pays sur 55 qui sont engagés dans la course à cette graine. La filière est dominée par l’Afrique de l’Ouest où, après la Côte d’Ivoire, le Nigeria (250.000 tonnes), le Bénin (environ 215.000 tonnes, la Guinée Bissau (environ 200.000 tonnes), le Ghana (70.000 tonnes), etc., mettent en œuvre des programmes visant l’accroissement de la production de la noix de cajou, pour en faire l’une des principales sources de devises.
Dans cette partie du continent, la production à mars 2023 était en hausse de +5,4%. En Afrique de l’Est, la Tanzanie (plus de 240.000 tonnes), le Mozambique (140.000tonnes), etc., n’affichent pas moins leurs ambitions pour ce produit. L’Afrique centrale, en revanche, est pour l’instant classée dernière dans cette ruée vers l’anacarde. Au sein de la zone Cémac, en particulier, le Cameroun qui s’était doté en 2018 d’une stratégie visant à planter 10 millions de plants d’anacardiers à l’horizon 2021 fait du sur place, avec une production annuelle embryonnaire qui ne dépasse guère 108 tonnes en 2022.
La situation actuelle des prix est de nature à faire sombrer les acteurs de la filière dans le découragement et doucher les ambitions en matière d’investissement. Cela s’est observé pour d’autres produits d’exportation, à l’instar du cacao, dans des pays comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Ghana. La survenue de la crise économique du milieu des années 1980 avait entraîné une baisse historique de la production mondiale de fève, les planteurs, outrés par le niveau des prix du cacao, avaient laissé vieillir les plantations.
Créer de la valeur ajoutée en transformant sur place
Premier transformateur de l’anacarde dans le monde, l’Inde où les habitudes de consommation sont fortement ancrées subit moins la conjoncture de la noix de de cajou brute. Il en est de même du Vietnam. Les producteurs africains, eux, pâtissent plus de la situation du fait de leur tradition rentière. Illustration de taille : une étude de la CNUCED publiée en 2021 relève que moins de 15 % des noix de cajou sont décortiquées sur place en Afrique – ce qui ne représente que la première transformation – et que l’essentiel (85%) est exporté principalement vers l’Asie, en particulier l’Inde et le Vietnam.
« Ces deux pays ont absorbé environ 98 % des importations mondiales 2014 et 2018 ». Or, 60 % des noix commercialisées sont torréfiées, salées, emballées et consommées sur les marchés européens d’Amérique du Nord, augmentant de fait la valeur ajoutée du produit. Le rapport souligne d’ailleurs qu’en 2018, le prix à l’exportation des noix de cajou de l’Inde vers l’Union européenne était environ 3,5 fois plus élevé que celui payé aux producteurs ivoiriens, soit une différence de prix de 250 % ». Du reste, après l’étape de transformation en Europe, le différentiel de prix avec le producteur monte à 8,5 fois, indique l’étude. Qui suggère aux pays producteurs africains d’investir également dans la transformation.
Il y a lieu de changer de paradigme. Le gouvernement ivoirien, qui dit avoir compris que « la transformation locale de l’anacarde recèle un potentiel inestimable en termes de richesses économiques et d’emplois », assure être déjà dans cette lancée. Signe que les autorités peuvent aller au-delà des slogans, en 2014, la Côte d’Ivoire n’était qu’à 6% de taux de transformation de sa production qui était alors de 560 000 tonnes de noix de cajou brutes. 8 ans plus tard, en 2022, le pays a atteint près de 22% de taux de transformation, pour une production de noix brutes désormais au-delà du million de tonnes.
Soit 224.000 tonnes de noix brutes de cajou transformées, représentant près de huit fois plus en volume qu’en 2014, pour plus de 15 000 emplois directs dont 70% sont occupés par des femmes. Le gouvernement a engagé le pays à atteindre le taux de 50% de transformation de sa production nationale d’anacarde à l’horizon 2030. Il s’agit là d’une brèche ouverte pour tous les pays producteurs de noix de cajou, et une importante niche d’opportunités pour les investisseurs.