C’est un contraste fort saisissant. C’est la preuve même de la théorie du cordonnier mal chaussée. Le Niger, grand producteur au monde d’uranium, peine à donner de l’électricité à sa population. Ce minerai est pourtant indispensable à la production de l’électricité.
Comme c’est le cas dans l’Union européenne, où le Niger fournit près du quart de l’uranium utilisé, devançant ainsi le Kazakhstan (qui représentait 23 % de l’uranium importé par l’UE), la Russie (19,3 %), l’Australie (15,5 %), ou encore le Canada, selon les données de l’Agence d’approvisionnement Euratom en 2021.
Même si cette Agence classe le Niger, deuxième fournisseur d’uranium naturel de l’UE en 2022, avec une part de 25%, après le Kazakhstan. Selon les données de l’Association nucléaire mondiale (WNA), le Niger, qui possède le minerai d’uranium de la plus haute teneur en Afrique, a produit 2,02 tonnes métriques d’uranium en 2021. Le Niger se classe au 7e rang des plus grands fournisseurs d’uranium au monde.
Derrière le Kazakhstan, qui assure à lui seul 43 % de l’approvisionnement mondial en uranium, considéré comme le plus grand fournisseur d’uranium au monde, avec 21 227 tonnes métriques d’uranium produites l’année dernière. Le Kazakhstan est suivi par le Canada avec 7 351 tonnes métriques et la Namibie avec 5 613 tonnes métriques.
Le Niger, qui assure 5 % de l’approvisionnement mondial en uranium, dispose de 311 110 tonnes métriques de réserves d’uranium.
Pourtant, le taux d’électrification du Niger reste très faible
Nonobstant donc les énormes réserves en uranium, le Niger broie du noir, et environ 70% de son électricité est importée de l’étranger. On estime même son taux d’électrification à seulement 17%. Un programme est d’ailleurs lancé avec la Banque mondiale en vue de porter ce taux d’électrification à 80% à l’horizon 2035. D’un coût de 317,5 millions de dollars, ce projet dénommé « Haské » (lumière en langue locale haoussa) ambitionne « d’accélérer l’accès » à l’électricité pour les ménages urbains et ruraux, les établissements de santé, d’éducation, les entreprises, selon le ministre Ibrahim Yacoubou, lors de la cérémonie de lancement.
Le projet « Haské » vise également à assurer l’expansion de l’énergie solaire photovoltaïque dans cet immense Etat sahélien de plus de 22 millions d’habitants. Actuellement, au Niger, le bois fournit « près de 80% » de l’énergie des ménages qui l’utilisent pour s’éclairer et cuisiner, alors que le pays, aux deux tiers désertiques, est frappé par les « effets néfastes des changements climatiques », selon le ministre.
Pour s’affranchir de sa forte dépendance (70%) énergétique au Nigeria voisin, le Niger s’active aussi à achever d’ici à 2025 son premier barrage, sur le fleuve Niger. A quelque 180 km en amont de Niamey, l’édifice de Kandadji doit générer annuellement 629 gigawatt heure (GWh). La Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque islamique de développement (BID) et l’Agence Française de Développement (AFD) financent Kandadji, dont le coût est estimé à 740 milliards de FCFA (1,1 milliard d’euros).
Par ailleurs, l’Union européenne et l’AFD vont cofinancer pour la construction d’une autre centrale électrique hybride (thermique-photovoltaïque) d’un coût de 32 millions d’euros à Agadez, la grande ville du nord du Niger régulièrement plongée dans le noir. Cette centrale, d’une capacité de production de 21 mégawatts, devra satisfaire en électricité la ville d’Agadez et ses 150.000 habitants, selon l’UE. Sa construction permettra à Agadez, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, de revivre un essor économique et social, après le déclin du tourisme dû aux attaques djihadistes dans le Sahel, selon les autorités locales.
Selon les Données mondiales.com, l’indicateur le plus important du budget énergétique au Niger est la consommation totale d’énergie électrique, qui s’élève à 1,33 milliards kWh par an. Cela représente donc une consommation d’environ 51 kWh par habitant. Le Niger peut être partiellement autosuffisant en énergie. La production totale de toutes les installations d’électricité s’élève à 581 mio de kWh, soit 44% de ses propres besoins. Le reste de l’électricité nécessaire est importé de l’étranger.
Outre la simple consommation, la production, l’importation et l’exportation jouent également un rôle. D’autres sources d’énergie sont également utilisées, comme le gaz naturel ou le pétrole brut. En 2021, le pays disposait encore de 150,00 mio de barils de réserves de pétrole brut exploitables, mais non encore exploitées dans les gisements actuellement connus.
Au niveau mondial, les réserves de pétrole prouvées s’élèvent à environ 1,7 bio de barils. Le Niger en détient donc 0,009%, ce qui la place au 63e rang des 211 pays possédant des réserves de pétrole. Et, 18,6% de la population du pays (en 2021) a accès à l’électricité. Dans les zones rurales, ce pourcentage était de 9,1%.
L’uranium peut également générer des recettes substantielles à l’Etat
Mais,l’État nigérien et la société civile ont longtemps reproché au groupe français qui a la mainmise sur l’uranium du Niger, de ne pas payer le juste prix des mines exploitées à Arlit et Akouta. Or, les choses devaient changer en 2014 lors de la renégociation des contrats miniers. Areva ayant accepté de payer une redevance sur leur exploitation pouvait aller jusqu’à 12 % au lieu de 5,5 %.
Areva a réussi à verser moins d’argent à l’État nigérien depuis les négociations de 2014,
constate Quentin Parrinello, porte-parole d’Oxfam en charge de la partie du rapport consacrée à Areva, contacté par France 24. Il estime que pour la seule mine d’Arlit – la cinquième plus grande au monde-, le groupe a versé cinq millions d’euros de redevance de moins en 2015 qu’en 2013…malgré ce que tout le monde avait analysé comme une hausse du taux appliqué.
Ce tour de passe-passe a été rendu possible car, les mines d’Areva sont devenues beaucoup moins rentables après 2014. La rentabilité de la mine a baissé car le prix qu’Areva paie pour acquérir l’uranium extrait auprès de la mine – appelé prix d’enlèvement – a également chuté, explique-t-on. Areva a obtenu, lors des négociations de 2014, de calculer ce prix d’enlèvement pour qu’il reste le plus bas possible : celui des contrats d’uranium à court terme, dont la valeur est historiquement moins élevée que les autres à moyen et long termes.
Comme les mines génèrent moins d’argent, le groupe français ne paie pas non plus les 12 % de redevance, qui avait tant suscité d’espoir. C’est le double effet Areva : si la rentabilité baisse sous 20 % – ce qui est le cas pour les mines d’Arlit (Areva n’a pas fourni les données pour le site d’Akouta) – le taux appliqué est de 5,5 % comme avant 2014. Donc, le groupe s’acquitte du même taux qu’auparavant sur des mines qui rapportent moins.
Dans le cas d’Arlit, Areva, contacté par France 24, explique qu’elle a même accusé une perte, « compte tenu de ses coûts de production élevés ». La société paie, en outre, bien moins d’impôts sur les bénéfices qu’elle ne le devrait, d’après les auteurs du rapport. Un constat contesté par le groupe français. Les données financières analysées suggèrent qu’Areva se montre très généreuse. La filiale nigérienne vend l’uranium à sa maison mère en France à un prix défiant toute concurrence.
Le même minerai, provenant des mêmes mines, exporté ailleurs dans le monde, est vendu beaucoup plus cher,
constate plutôt Quentin Parrinello. Ces prix bas réduisent les bénéfices d’Areva au Niger… et donc les impôts payés dans le pays africain. Par contre, pour l’expert d’Oxfam, on est dans la « zone grise de l’optimisation fiscale, légalement permise mais moralement très discutable ».
Si Areva avait pratiqué le même prix à l’exportation que d’autres acteurs au Niger, « les impôts dont elle devrait s’acquitter seraient d’environ 11,75 millions d’euros » au lieu d’un montant bien plus faible (0 en 2,015 selon les ONG, ce que conteste Areva). Ces économies réalisées par Areva sont, pour Quentin Parrinello, « des pertes potentielles d’impôts [en 2015] pour le Niger représentant entre 8 et 18 % du budget de la santé du pays africain où l’espérance de vie dépasse à peine les 60 ans ».
Mainmise de la France sur l’uranium nigérien
La société française Orano, anciennement Areva, est un acteur majeur dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis des décennies et exploite une importante mine d’uranium dans le pays. La France, en effet, s’approvisionne en uranium au Niger depuis les années 1970. La France, qui a besoin d’une moyenne annuelle de 7 800 tonnes d’uranium naturel pour faire fonctionner 56 réacteurs dans 18 centrales nucléaires, s’approvisionne en uranium auprès de son ancienne colonie, le Niger, depuis près de 50 ans.
L’entreprise publique française d’énergie nucléaire Orano, anciennement connue sous le nom d'”Areva”, exploite, avec l’État du Niger, un site minier à ciel ouvert près de la ville d’Arlit, dans le désert du Sahara. Le Niger est le troisième fournisseur de la France. Selon l’Agence d’approvisionnement d’Euratom (AAE), le Niger est le troisième fournisseur d’uranium de la France pour la période 2005-2020, assurant 19 % de l’approvisionnement après le Kazakhstan et l’Australie.
On estime que la France, qui n’est pas dépendante du Niger pour son approvisionnement en uranium, dispose déjà d’un stock d’uranium enrichi pour répondre à ses besoins pendant 3 ans. D’autre part, l’Union européenne couvre 25 % de ses besoins en uranium grâce au Niger. Dans une déclaration à la presse française, Orano a démenti les informations selon lesquelles les livraisons d’uranium du Niger vers la France ont été interrompues après le coup d’État du 26 juillet et a annoncé que les travaux se poursuivaient sur le champ.
Avec 200 000 tonnes de nouvelles réserves. Orano a également convenu avec l’État nigérien d’exploiter la mine d’Imouraren, l’un des plus grands gisements d’uranium au monde, situé dans le Nord du pays. L’extraction de l’uranium dans cette mine, dont les réserves sont estimées à environ 200 000 tonnes, débutera en 2028.
La face lugubre de l’exploitation de l’uranium au Niger
L’uranium, un métal radioactif toxique, est utilisé dans de nombreux domaines, du traitement du cancer à la marine, de l’industrie de l’armement aux installations d’énergie nucléaire. Son exploitation au Niger n’est pas vue d’un bon œil par tout le monde. Certains décrient le fait qu’elle pollue l’environnement. Une mine fermée a laissé 20 millions de tonnes de déchets radioactifs.
Orano s’est fait connaître par les déchets radioactifs laissés sur le site de la mine souterraine d’Akokan, près de la ville d’Arlit. Il a été établi que 20 millions de tonnes de déchets radioactifs ont été laissés sur le site de la mine, qui a extrait 75 000 tonnes d’uranium au total et qui a été fermée en 2021, lorsque les réserves ont été épuisées. La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIAD), une organisation non gouvernementale française, a déclaré que les déchets radioactifs sur le site de la mine auraient dû être recouverts d’argile, ce que la société française n’a pas fait. Selon la CRIIAD, 20 millions de tonnes de déchets radioactifs menacent directement la santé de 100 000 personnes dans la région.
L’uranium, un enjeu planétaire
Malgré les dangers du nucléaire dénoncés par les mouvements écologistes des pays du Nord, l’uranium devient un enjeu planétaire au moment où l’Agence internationale de l’énergie atomique prévoit une augmentation d’au moins 20% de la puissance nucléaire installée dans le monde à l’horizon 2030.
En 2010, 440 réacteurs nucléaires étaient en fonctionnement, 450 nouveaux réacteurs seront installés d’ici 2030, dont une centaine en Chine, une quarantaine en Russie, une trentaine en Afrique du Sud et en Inde [Cellier et Robinet, 2008]. De leur côté, les États-Unis se sont lancés dans le nucléaire civil avec une quarantaine de réacteurs en projet ou proposés.
Cela fera un total de près de 1000 réacteurs qu’il faudra alimenter en uranium. Ces projets ont eu un impact sur l’évolution de son cours. À une stabilité des prix à un niveau historiquement bas durant près de vingt ans (1985-2003) a succédé une hausse d’abord progressive, puis une véritable flambée en juin et juillet 2007, comme ce fut le cas pour d’autres matières premières.
Au Niger, celle-ci s’accompagna d’une augmentation de la production : après avoir longtemps stagné (3000 t), elle reprit le chemin de la hausse pour atteindre près de 3900 t en 2010 (2300 t pour la Somaïr et 1600 pour la Cominak) contre 3300 t en 2005.
Au Niger, la mondialisation du marché de l’uranium qui s’est traduite par l’irruption de ces nouvelles puissances économiques a mis fin au monopole français, même si Areva conserve une position hégémonique. La négociation avec le gouvernement pour fixer le prix de vente du kilogramme d’uranate était de plus en plus tendue et la conjoncture favorable aux pays producteurs jusqu’à l’accident de la centrale japonaise.
Au terme de l’accord, le Niger peut écouler librement sur le marché international. Depuis lors, la situation s’est retournée (en mai 2011, le cours s’était stabilisé autour de 58 $) et les nouvelles autorités nigériennes n’ont pas intérêt à revenir sur les accords signés auparavant, ce qui n’est pas le cas de Areva. Ces contrats, souvent qualifiés d’opaques, ont été longtemps établis selon un rapport inégalitaire, alors que l’enjeu est important : les exportations d’uranium représentent de nouveau une source de revenus élevés pour le Niger : 30 % de ses exportations, soit plus de 140 millions de dollars par an [Cellier et Robinet, 2008].
Après avoir longtemps (années 1990) acheté le kilogramme d’uranate au prix de 17 500 FCFA (soit 26,28 euros), l’année 2003 marque une première hausse de celui-ci qui s’est ensuite poursuivie, Areva ayant dû concéder un doublement de prix entre 2006 et 2008. Ces réajustements ont été consentis sous la pression de la flambée du cours mondial, mais aussi et surtout de la concurrence qui jouait pour la première fois.
Au pouvoir depuis 2000, le président Tandja se trouva en position de force dans la négociation qui l’opposa à Areva car, d’une part, les permis d’exploitation des gisements d’Arlit et d’Akokan arrivaient à terme et, d’autre part, il entendait procéder à l’attribution de celui d’Imouraren où Areva n’était plus le seul groupe intéressé.
Le Niger n’est donc plus une chasse gardée de la France avec l’intrusion de la Chine, qui ne respecte pas les anciens partages territoriaux, mais aussi des États-Unis et du Canada qui viennent chercher les matières premières là où la France en avait auparavant l’exclusivité : il y a là une rupture amplifiée par l’émergence de nouvelles élites africaines qui remettent en cause les anciens usages. Cette pression des pays émergents sur le pré carré français est une des conséquences de la mondialisation où le Sahara nigérien apparaît comme un nouveau pôle dans la course aux matières premières et l’enjeu de nouvelles dynamiques « Sud-Sud ».
À cela, se sont greffées une volonté politique du président Tandja de diversifier les partenaires du Niger et une moindre importance accordée par le président Sarkozy à l’Afrique, ce qui se traduit par une grave perte d’influence et permet à de nouveaux pays de s’engouffrer dans la brèche, comme la Chine, l’Inde qui a récemment ouvert une ambassade à Niamey, le Brésil et, depuis peu, les États-Unis.
Ces derniers ont pris conscience du potentiel énergétique constitué par le Niger et de son importance dans la lutte contre le terrorisme en raison de la présence d’AQMI dans la zone. S’il y a eu une redistribution géopolitique et économique des cartes, le Niger (ses réserves sont estimées à 216 000 t en 2007), devait être gagnant en raison de la revalorisation des cours et de l’augmentation de la production. En 2015, il était le deuxième producteur au monde (9000 à 10000 t/an) derrière le Canada et devant le Kazakhstan.