Le ministre japonais de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie, Yasutoshi Nishimura, a effectué dans la première moitié du mois d’août en cours, une visite dans un certain nombre de pays africains. Il a notamment été en Zambie, à Madagascar, en Angola, Namibie et en République démocratique du Congo (RDC), 5 pays qui ont un point commun : ils disposent tous d’impotentes réserves en minerais critiques.
La signature avec la Namibie d’un accord d’exploration conjointe de terres rares entre l’Organisation japonaise pour la sécurité des approvisionnements en métaux et en énergies (Jogmec) et la compagnie minière publique namibienne Epangelo, en dit long sur les contours de ce voyage en terre africaine.
Selon divers chercheurs, la prospection engagée par le Japon sur le continent s’inscrit dans une stratégie de fond visant à réduire la dépendance du pays des Samouraïs aux importations de minerais de la Chine.
Le timing de cette offensive japonaise en Afrique est en effet loin d’être anodin. Allié des Etats-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le Japon semble vouloir se prémunir d’une future crise avec son grand voisin chinois, avec qui les rapports se sont distendus ces derniers temps dans le contexte global des tensions géopolitiques entre ce dernier et le bloc occidental.
Depuis 2022 et à mesure que la guerre économique avec les Etats-Unis se corse, la Chine a multiplié des manœuvres militaires –dont certains conjoints avec la Russie – en mer du Japon. En plus, il y a un précédent des approvisionnements en minerais.
En 2019, la Chine avait menacé de suspendre ses exportations de minerais rares vers les Etats-Unis, en réaction à la pression excessive des Américains contre le géant des télécommunications Huawei.
En 2010, Pékin était allé jusqu’à suspendre ses exportations en la matière vers son voisin japonais. L’incursion de ce dernier au cœur du marché des matières premières essentielles à la fabrication des batteries des voitures électriques pourrait bien être la nouvelle arme de Tokyo contre son grand voisin, marché du reste largement dominé par la Chine qui a déjà pris pied dans l’essentiel des pays africains disposants de grandes ressources en terres rares et minerais critiques avec à la clé plusieurs contrat d’exploitation qui l’autorisent à les exporter entièrement à l’état brut.
Le Japon s’emploie en tout cas à marcher sur les plates-bandes de la Chine, en proposant un modèle plus favorable aux Etats africains, notamment le développement d’une partie de la chaine de valeur sur place. Il y a à peine quelques mois, en mai 2023, une compagnie chinoise, Tangshan Xingfeng Spodumene Mining, en l’occurrence, s’est vue retirer son permis d’exploitation du lithium, près de la localité d’Omaruru, dans la région d’Erongo, pour non-respect des normes en vigueur.
Bien avant ce revers chinois, le Japon avait déjà décroché en décembre 2022 un accord de coopération sur l’extraction des terres rares en RDC, où le président Félix Tshisekedi prépare la renégociation de tous les contrats miniers considérés comme « défavorables » à son pays qui détient 80% des réserves mondiales de cobalt, pour ne prendre que ce minerai.
Dans ce vaste pays, l’Empire du milieu contrôle en effet 70% des contrats miniers. Entre autres entreprises chinoises, Sicomines et Tenke Fungurume Mining (TFM) sont installées depuis plus de 10 ans en République démocratique du Congo, où elles exploitent le cuivre et le cobalt. L’actuel gouvernement fait part depuis 2021 de sa détermination à renégocier des contrats d’une valeur de 6 milliards de dollars.
En Zambie, pays qui a exporté 800.696 tonnes de cobalt brut en 2022, l’accord négocié par le Japon dans le but de s’assurer à l’avenir la matière première nécessaire à son industrie de la haute technologie va au-delà l’exploitation des ressources minières en proposant une approche proactive adossée sur le déploiement de satellites.
C’est ces dispositifs qui seront chargés de mener des enquêtes dans les zones potentielles de gisements de cuivre, de cobalt et de nickel. L’offensive japonaise est en tout cas de bonne augure, dans un contexte de réveil apparent des Africains, marqué par un discours officiel tourné vers le développement, sur le continent, des chaînes de valeurs qui fait tache d’huile.
Dans une interview qu’il nous a accordée il y a quelques jours, le Camerounais Bareja Youmssi, expert en mines et pétrole, expliquait au sujet de cette pénétration, que les Japonais sont moins agressifs quand il s’agit d’investir en Afrique, car, « à la moindre occasion ils plient bagages et retournent chez eux ».
Mais, que ceux-ci « viennent toujours avec des business model très avantageux pour l’Afrique ». « Le Japon est un pays à qui l’Afrique devrait véritablement ouvrir les portes. Il faut l’encourager à s’impliquer de plus en plus d’une manière durable dans des projets d’innovation et de transformation sur le continent.
Les Japonais ne laissent jamais derrières eux la misère ; ils sont dans une philosophie d’investissement gagnant-gagnant +(plus) pour les Africains. De toutes les façons, je les ai toujours trouvés comme des partenaires sérieux qui pourront réellement accompagner l’Afrique dans son développement et sa modernisation ».
En tout cas, face à l’explosion de la demande en matières premières critiques et à l’impératif de se départir de la dépendance chinoise pour les approvisionnements destinés à son industrie de la haute technologie dans un contexte de démultiplication des incertitudes, le Japon dispose de plusieurs atouts pour conquérir des parts de marché en Afrique.