En janvier dernier, un appel d’offres international a été émis depuis Nouakchott par le ministère mauritanien de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire. L’appel d’offres porte sur la construction, dans la capitale de ce pays de l’Afrique de l’Ouest, d’une école spécialisée dans la formation aux métiers de mine, de pétrole et de gaz. La mise en œuvre de ce projet d’infrastructure a été confiée au ministère de l’Habitat.
Le projet de décret de création de l’école a été approuvé le 08 janvier 2023, au terme d’un conseil ministériel. Le gouvernement justifie la mise en œuvre de cette infrastructure cruciale par la nécessité de « diversifier l’offre de formation, en introduisant de nouvelles filières dans les secteurs des mines, du pétrole et du gaz, en augmentant la capacité d’accueil du système de formation, en formant et en intégrant la main d’œuvre nationale et en attirant les investissements dans ces domaines vitaux ».
L’appel d’offres lancé depuis le 4 janvier restait ouvert jusqu’au 20 février. Il donne un délai de 18 mois à l’entreprise soumissionnaire, à compter de la date de sa désignation, pour conduire et mener à bien le projet.
Le gouvernement mauritanien veut tirer le meilleur profit des recettes générées par les gisements de gaz naturel découverts à la frontière de ce pays avec son voisin sénégalais. Le projet Great Turtle Field Project (Ahmim) a été soumissionné et adjugé par l’entité britannique British Petroleum (BP) et la société américaine Cosmos Energy. Quelques semaines avant la création de l’école de mines, Nouakchott annonçait que la mise en œuvre de ce projet avait atteint 80%.
Or, au moment où la Mauritanie décide d’exploiter ce précieux gisement de gaz naturel, le pays fait face à un manque criard de ressources humaines locales capables d’exploiter cette ressource naturelle génératrice de revenus. Le projet de construction de l’Ecole d’enseignement technique et de formation professionnelle des mines, du pétrole et du gaz de Nouakchott, dans la capitale politique du pays, est donc envisagé comme un début de solution.
Au terme de leur formation, les diplômés de ladite école vont être intégrés dans les projets miniers et gaziers initiés par le gouvernement mauritanien y compris ceux en cours d’implémentation. Le chantier d’extraction de gaz naturel contenu dans un champ commun entre le Sénégal et la Mauritanie est exploité conjointement par les deux pays ouest-africains, notamment par la société américaine Kosmos et le Britannique British Petroleum (BP).
La Mauritanie vise une production annuelle de 10 millions de tonnes de gaz naturel avant 2030
Trois ans avant la décision des autorités mauritaniennes, le Sénégal a anticipé en décidant de la création de sa propre école de formation en métiers de mine. Les travaux de construction de cette infrastructure stratégique ont débuté depuis 2020 dans la zone de Bango, à Saint-Louis. Pour la mise en œuvre de ce projet, le gouvernement sénégalais a bénéficié du partenariat de la Banque africaine de développement (BAD). L’enveloppe y dédiée est de 4 millions USD soit 2,5 milliards CFA.
L’Ecole Supérieure des Mines, de la Géologie et l’Environnement (ESMGE) relève de l’Université Amadou Mahtar Mbow de Dakar (UAM) et compte parmi les cinq écoles pionnières ouvertes au sein de cette institution universitaire sénégalaise.
Le gouvernement mauritanien et ses partenaires américain et britannique prévoyaient la production de gaz dès le début de 2023. Mais l’irruption de la pandémie de Covid-19, et la crise des prix de l’énergie sur le marché mondial, ont contraint les autorités à revoir l’échéance de la première phase de développement du champ gazier. Elle a finalement été repoussée à la fin de cette année. La capacité annuelle annoncée était de 2,5 millions de tonnes.
La décision d’investir pour la seconde phase du projet de développement du champ gazier devait être rendue au troisième trimestre 2022. La production escomptée devait alors passer de 2,5 millions de tonnes à 6 millions par an.
D’après les projections, la troisième et dernière phase du développement devrait porter la capacité de production à 10 millions de tonnes par an avant 2030. Un objectif que Nouakchott n’est plus sûr d’atteindre au regard des turbulences observées dans ce secteur gazier, dont la santé du marché est souvent tributaire de la demande gourmande de la Chine.
Les petits pas de l’Afrique de l’Ouest depuis 1978
Au sud du Sahara, l’Afrique de l’Ouest a pris de l’avance sur l’Afrique centrale dans le domaine de la formation en métiers de mine et pétrole. C’est en 1978 que la Conférence des Chefs d’Etat de cette sous-région décide de la création de l’Ecole de Mines, de l’Industrie et de la Géologie (EMIG). L’EMIG devenait ainsi l’une des sept institutions de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO).
Mais la dissolution de cette institution sous régionale, en mars 1994, dans la foulée de la dévaluation du Franc CFA, porte un coup dur à l’EMIG. En juillet 1995, elle est rétrocédée au Niger. Placée sous la tutelle du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’Innovation, l’école acquiert un statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel, technique (EPSCT) au titre de la loi du 16 mai 2004.
A sa création, cette école supérieure avait pour objectif de :
former des ingénieurs et techniciens à fort potentiel scientifique et technologique pour les secteurs du pétrole, des mines et de l’électricité dotés de compétences managériales avérées pour répondre aux besoins des entreprises des secteurs concernés.
L’école offre plusieurs débouchés : industries minières et pétrolières ; sociétés d’ingénierie ; laboratoires de pétrochimie ; enseignement ; entreprenariat, Master ; etc. Les contenus de la formation sont également diversifiés et fort alléchants : prospections minières et pétrolières, cartographie numérique, télédétection, géochimie, gitologie et métallogénie, stéréographie, microstructurale, camps de terrains, projets encadrés, travaux pratiques, etc.
Tout près, au Mali, la création, au sein de l’université privée Ahmed Baba, d’une école dédiée à la formation aux métiers de mine a redonné un souffle nouveau à cette filière. La Côte d’Ivoire n’est pas un reste : la Société Nationale d’Opération Pétrolière de la Côte d’Ivoire (Petroci) a créé depuis 2010, dans la zone de Vridi à Abidjan, un Institut du pétrole. Le démarrage des cours pour la 1ère promotion était annoncé pour la fin de la même année.
Cette école est ouverte aux Ivoiriens et aux ressortissants africains, pour permettre la spécialisation des jeunes ingénieurs au terme de leurs études. Les bonnes performances enregistrées dans le secteur pétrolier ivoirien, en 2009 (19 millions de barils contre 16 millions de barils en 2008, soit une hausse de 12.79%), ont convaincu les autorités ivoiriennes de la nécessité de créer cette école.
Ce d’autant plus que l’exploration et l’exploitation pétrolières, ainsi que la main d’œuvre expatriée qualifiée, coûtent très chères aux pays de la sous-région. La création par la Petroci d’une école supérieure visait donc, justement, à réduire ces coûts exorbitants et, à moyen terme, assurer des formations dans les mines, l’énergie, l’environnement et l’eau.
L’autre pays d’Afrique de l’Ouest qui a osé, c’est le Ghana à travers la création de la Ghana Oil Drilling Academy & Consultancy (Godac) pour former des experts dans l’industrie pétrolière ghanéenne. Les diplômés de cette académie sont engagés en priorité sur les derricks du Ghana. Le programme de certification est reconnu internationalement.
Premier pays producteur de pétrole en Afrique, le Nigeria ne prêche pas par l’exemple dans le domaine de la formation. Aussi, ce n’est que mars l’année dernière, au mois de mars, que la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), l’entité publique du secteur pétrolier, a lancé un institut de recherche sur les hydrocarbures.
L’infrastructure est logée au sein de l’université Ahmadu Bello (ABU) de Zaria dans l’Etat de Kaduna. Il vise à soutenir la recherche sur les hydrocarbures au Nigeria.
« La NNPC, en tant que société de production d’énergie axée sur la technologie, est convaincue que de réels succès ne seront possibles que lorsque les entreprises soutiendront les établissements d’enseignement qui, à leur tour, les renforceront grâce à de nouvelles connaissances et à de meilleurs moyens de fournir des services de qualité à l’humanité », justifiait alors le PDG de la NNPC, Mele Kyari.
Un investissement de 1,5 million de dollars a été mobiliser pour financer cet institut de recherche, notamment pour l’équiper en laboratoire de pointe et en équipements de robotique.
Le retard de l’Afrique centrale
Bien qu’étant depuis les années 60 l’un des principaux bassins de production du pétrole en Afrique, cette sous-région accuse un énorme retard en matière de formation. Ce n’est qu’en janvier 2022 que le ministre des Hydrocarbures de la République du Congo, Bruno Itoua, a annoncé, lors d’une interview accordée au journal La Tribune d’Afrique, la création ultérieure, à Pointe-Noire, d’un Institut africain du pétrole à vocation sous-régionale, devant former des techniciens et ingénieurs de pétrole dans ce pays.
Nous travaillons sur des termes de référence, le processus de mise en œuvre. Nous allons d’abord faire du training en ligne, ensuite du training in situ,
a indiqué le ministre Itoua, sans préciser une date pour le démarrage des travaux ou des cours.
Le ministre des Hydrocarbures ajoutait :
Si nous voulons bénéficier de ces ressources naturelles, nous devons être capables de les négocier au mieux. Nous devons être capables d’assurer la transformation et la migration des expertises vers un secteur local dynamique.
Fort paradoxalement, le pays du président Sassou Nguesso a assuré tout au long de la même année (2022) la présidence de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). La mise en œuvre du projet devrait se faire en partenariat avec l’Ecole nationale supérieure du pétrole et des moteurs en France (IFP School). Comme l’a souligné le ministre congolais,
La collaboration avec IFP nous permettra d’envoyer nos étudiants ingénieurs en France pour des formations diplômantes. Nous passerons ensuite aux formations diplômantes à Pointe-Noire, puis aux trainings présentiels. Telle est l’idée sur laquelle nous travaillons avec deux ou trois partenaires.
Afrique centrale : la bonne démarcation du Cameroun
Bien qu’exploitant la manne pétrolière depuis des lustres – 1957 plus précisément –, ce n’est qu’en 2014 que le Gabon a concrétisé ses ambitions dans le domaine de la formation en ingénierie pétrolière par l’inauguration de son premier institut. Toutes choses que déplorait, en 2015, l’expert Mays Mouissi, interviewé par l’hebdomadaire congolais TerrAfrique.
Non sans suggérer quelques pistes de solutions :
Les gouvernements africains pourraient conditionner l’attribution des grands contrats miniers et pétroliers à la signature d’une clause exigeant des compagnies qu’elles construisent des établissements spécialisés pour former leurs futurs collaborateurs. Ainsi pourrait s’opérer un transfert de compétence et à moyen terme ces établissements pourraient devenir des pépinières de recherche et de développement, porteuses d’une innovation inspirée des demandes locales dont le Continent manque si cruellement,
l’expert interviewé en novembre 2015.
Si la première école minière camerounaise a été créée le 19 janvier 1993, il a fallu attendre la signature de l’arrêté du 27 avril 2011 du ministre de l’Enseignement supérieur pour qu’elle ouvre ses portes dans la ville de Meiganga, région de l’Adamaoua. L’Ecole de Géologie et d’Exploitation Minière (EGEM), est un établissement intégré à l’université de Maroua.
D’autres institutions de formation minière ont vu le jour dans ce pays de l’Afrique équatoriale, à l’instar de l’Institut des Mines et des Industries Pétrolières (IMIP), créée le 13 septembre 2013 pour former des cadres de haut niveau dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation minières.
Ou encore l’Ecole supérieure des technologies et mines de Bansoa, créée par l’homme d’affaires camerounais Dieudonné Bougne, PDG de la société pétrolière BOCOM, après une un avis favorable du ministre de l’Enseignement supérieur daté de 2019.
La ville minière de Batouri, à l’Est Cameroun, quant à elle, abrite l’Ecole Supérieure de Transformation des Mines et des Ressources Energétiques (ESTM), l’une des quatre grandes écoles de l’université de Bertoua, créée par décret présidentiel du 6 janvier 2022.
Mais, contrairement au Congo, ou encore au Cameroun, la République démocratique du Congo est le pays de l’Afrique centrale qui a pris une longue avance sur les autres. L’Institut du pétrole et du gaz (IPG), un établissement privé congolais, a été créé depuis décembre 1999 sur les cendres de l’Institut Zaïrois du Pétrole (IZP) et de l’Institut Supérieur du Pétrole et des Mines (ISPM), qui, eux, existaient au temps de feu l’ancien président Mobutu.
55% de besoins en ingénieurs pour combler le déficit de la main d’œuvre locale et réduire les coûts de la main d’œuvre expatriée très onéreuse
L’IPG a vu le jour grâce aux ambitions du corps académique et administratif de ces deux institutions disparues, et à leur souci d’assurer la continuité de ces œuvres. Bien qu’étant privé, ce nouveau cadre de formation est reconnu comme une institution d’utilité publique. Sa mission est de former les cadres devant mener à bien des activités scientifiques susceptibles de promouvoir un secteur minier congolais très prisé, dont les volumes impressionnants de ressources minières (le pays est qualifié de calamité géologique) nourrissent des appétits des puissances mondiales depuis les années 60 et sont générateurs de conflits dans la sous-région.
Sur l’échelle continentale, l’Algérie est l’un des pionniers dans la mise en œuvre de la formation des cadres et autres ingénieurs du secteur des mines et du pétrole. L’Institut algérien du pétrole (IAP) est une grande école algérienne très ancienne qui s’est spécialisée dans les métiers de l’industrie du pétrole et des hydrocarbures en général. Son siège est à Boumerdès et les enseignements sont dispensés sur quatre sites à savoir : Boumerdès, Arzew, Skikda et Hassi Messaoud.
L’Ecole des Mines d’El Abed (EMEA) est une institution publique algérienne, à caractère national, créée le 5 avril 2004 et placée sous la tutelle du ministère des Mines. Elle se trouve à 94 km au sud-ouest de la ville de Tlemcen et à 60 km au sud de Maghnia. Elle est précédée par l’Institut Algérien des Mines (IAM), créée depuis 1965 pour former des cadres techniques nationaux en mesure d’exercer dans l’industrie pétrolière du pays, dans le contexte de ce que les dirigeants nationalistes d’alors appelaient « la phase de récupération des richesses nationales ».
Au demeurant, la course vers la création des écoles en Afrique intervient dans un contexte où le profil d’ingénieur est en tête de ceux les plus recherchés sur le continent, soit 55%, selon le rapport 2019 du Global Energy Talent Index. Cette forte demande s’explique par la pénurie criarde de la main d’œuvre locale, contraignant les décideurs du continent à souvent recourir aux cadres expatriés grassement rémunérés. A cela il faut ajouter le coût exorbitant de la formation dans les pays développés.
La Russie à la rescousse de l’Afrique
C’est dans ce même contexte que la Russie se propose d’aider des pays africains dans la formation des cadres supérieurs du secteur minier et pétrolier. Une lettre d’intention a été signée, à cet effet, le 26 juillet dernier entre l’université des mines de Saint-Pétersbourg et un groupe de neuf pays africains à savoir : l’Angola, le Ghana, la Zambie, le Zimbabwe, l’Égypte, la Namibie, le Nigeria, le Mali et l’Afrique du Sud.
Le communiqué rendu public par les parties prenantes à cet accord mentionne que le Centre international de compétences en éducation minière de l’université de Saint-Pétersbourg servira de cadre à la formation d’ingénieurs africains et apportera son expertise en vue du développement des systèmes d’enseignement supérieur technique de ses partenaires africains.
Comme principal facteur de motivation, ils (les neuf pays africains, Ndlr) ont cité le manque évident de personnel, qui ne permet pas une extraction efficace et un traitement en profondeur des minerais riches dans le sous-sol du continent. A cet égard, les gisements locaux de ressources naturelles sont exploités principalement par des sociétés transnationales occidentales, qui tirent l’essentiel de la rente de ce type d’activité, ainsi que de la transformation technologique des matières premières,
diagnostique le communiqué pour justifier le bien-fondé de l’initiative russe, qui vient ainsi à la rescousse de l’Afrique et se positionne en sapeur-pompier.
L’accord vise le développement de nouveaux programmes de formation minière et la promotion de la mobilité estudiantine vers les universités russes. Il est salutaire dans un environnement où l’industrie des mines africaine attire de plus en plus de pays industrialisés, la Chine en tête, avec en prime une offre diversifiée en termes d’opportunités d’investissements.