Dr Youmssi, plusieurs minerais de fer font l’objet des projections d’exploitation en Afrique centrale, le cas du gisement de la Lobé au Cameroun de Mbalam-Nebeba entre le Cameroun et le Congo et de Baniaka au Gabon. Selon vous qui pourra entrer en production le premier pour pouvoir satisfaire les industries de transformation de l’acier en besoin de matières premières ?
L’Afrique subsaharienne regorge un potentiel énorme en minerais de fer qui en temps normal pourrait faire de l’Afrique l’un des continents le plus riche et avec des plus grandes réserves de minerais de fer ; Cependant ce potentiel nécessite des travaux de prospection, de recherche et d’exploration pour la confirmation de ses réserves. Parmi les pays en Afrique subsaharienne avec un potentiel non négligeable du minerai de fer nous avons : la Guinée Conakry, le Liberia, la Sierra Leone, la Mauritanie, le Gabon, le Congo Brazzaville, le Cameroun, la RDC, Madagascar et l’Afrique du Sud. L’Afrique centrale (pays CEMAC) dispose à ce jour d’un potentiel en minerais de fer qui s’élève à près de 15milliards de tonnes avec une teneur qui oscille entre 36-65% Sur des gisements de fer connus ci-après :
- Gabon : Belinga, Melingui, Mont Mbilan, Lobi Lobi, Boka Boka , Batoula et Baniaka
- Cameroun : Mballam, Nkout, Ngoa, Lobe
- Congo Brazzaville : Avima, Nabeba, Badondo
La majorité de ces projets de fer se retrouvent dans une structure géo- tectonique unique au monde qui est “le Complexe de Ntem” qui s’étend dans trois pays à savoir le Cameroun, le Congo et le Gabon. Le fer fait partie des minerais que nous appelons “bulk minerals”. Donc son exploitation doit se faire en quantité et nécessite pour sa mise en production des infrastructures telles que, le chemin de fer, un port en eau profonde et une centrale électrique ; Ce que nos pays n’ont généralement pas en place, du coup il revient à l’opérateur d’effectuer sa mise en place ; ce qui bien évidemment alourdi les coûts d’investissement.
C’est l’une des raisons qui pousse le Cameroun et le Congo à s’associer pour le développement et la mise en production du fer de Mbalam au Cameroun et du fer de Nabeba au Congo en utilisant les mêmes infrastructures ; un chemin de fer et un port en eau profonde unique dans la cité balnéaire Kribi au sud du Cameroun.
Pour ce qui est du projet de fer Lobé à Kribi Sinosteel a décidé de construire un pipeline de 80km, un terminal minéralier et une centrale électrique ; ce qui veut dire que ce projet utilise ses propres infrastructures. Pour terminer sur le plan timing on ne saurait dire lequel des gisements sera mis en production en premier car tout dépend des opérateurs des projets, du financement et de bien d’autres aléas.
Qu’est ce qui pourrait expliquer la conquête des minerais de fer en Afrique centrale ?
Ce que vous appelez la conquête des minerais de fer en Afrique centrale n’est rien d’autre que le bradage de notre sous-sol aux Chinois par des élites. Un pays sérieux ne peut pas signer un deal sur des gisements dont il a une connaissance approximative sur son potentiel ; prenons le cas du projet de fer de Lobe.
En tant que géologue, et pour avoir évalué ce projet en 2010 avec le groupe brésilien Vale nous avions à l’époque déterminé qu’en dehors du minerai de fer il y avait la présence des métaux précieux tel que de l’or et des métaux de base. Nous avions constaté dans les rapports délivrés par Sinosteel à l’État camerounais n’ont déclaré que le minerais de fer d’une teneur de 40% qu’il faudra encore enrichir.
Et là aussi ils oublient encore de déclarer la partie du gisement qui est déjà enrichie grâce aux effets naturels qu’on appelle le DSO (Direct Shipping Ore). On se demande bien où est passé le DSO du gisement de fer de Lobe ? Où sont passés les minerais connexes du gisement ? Pourquoi le silence des experts du ministère ? Nous avons le même scénario au Gabon où le projet de fer de Belinga a été bradé aux australiens de Fortescue au mépris des dispositions du code minier.
J’exhorte donc les pays Africains à nationaliser la prospection, la recherche et l’exploration car à quoi servent finalement les compagnies nationales minières dans nos pays ? Le cas de la Sonamines au Cameroun ou de la SEM au Gabon. Ces sociétés nationales ont-elles été créées pour la collecte et la commercialisation de l’or ou pour sous-traiter l’exploitation de l’or en petite mines aux Chinois et se contenter de la rente minière qu’elles reçoivent des Chinois ? La réponse est non. Une société nationale minière est mise sur pied pour exécuter la vision politique minière d’un pays surtout la connaissance de son sous-sol.
D’après vous, quel comportement les États africains devraient adopter pour profiter pleinement de ces ressources minières de fer ?
Comme je l’ai souligné, il faut prendre le contrôle de la connaissance de ses ressources minières ou de minerais de fer ; c’est-à-dire que les États doivent pouvoir faire des études de prospection, de recherche et d’exploration par eux-mêmes. Les compagnies minières nationales doivent pour cela être outillées techniquement et financièrement.
Une fois que les gisements de fer sont mis en évidence par les États et le modèle économique et financier ayant démontré la faisabilité du ou des projets, il se dégage deux options : soit nous les développons nous-même en attribuant le permis d’exploitation à la compagnie nationale minière ; Quitte à elle de trouver les partenaires techniques et financiers pour développer, soit on lance un appel d’offre international avec des termes de références déjà bien définis.
L’un des points clés des termes et référence sera « le pas de porte » à verser à l’État par le gagnant de l’appel d’offres. Le pas de porte n’est rien d’autre que la valeur à la tonne du minerai de fer du gisement qui est attribué avant son exploitation (une décote est appliquée). La clé de participation de la JV qui développera le projet devra accorder 15% (free carry) des parts à l’État et 10% à la société nationale. On note aussi une obligation de transformer en partie ou dans sa totalité le minerais sur place, la limitation du nombre d’ingénieurs étrangers dans les projets et le transfert de compétences aux ingénieurs locaux de telle manière que sur 5 ans la mine pourrait continuer des opérations avec un minimum des étrangers (1% de l’effectif total). Il faut également mettre sur pied un fonds de développement communautaire qui permettra à la localité de continuer à vivre après épuisement des ressources.
Propos recueillis par Leonel Douniya