Une mise en demeure a été servie aux deux filiales françaises de la société américaine de high-tech Apple par des avocats commis par l’Etat de la République démocratique du Congo (RDC). La mise en demeure, qui tient lieu de sommation, prélude à l’ouverture d’une éventuelle procédure judiciaire, a également été servie à la maison mère d’Apple fin avril 2024 par les avocats William Bourdon et son associé Vincent Brengarth, tous du barreau de Paris, et Robert Amsterdam du barreau de Londres.
L’Etat congolais, via les hommes de loi, met en demeure la multinationale d’y répondre « sous trois semaines », à défaut de quoi l’Etat congolais se réserverait le droit de recourir à d’autres voies. « Toutes les options judiciaires sont maintenant sur la table », précise la mise en demeure que l’AFP a parcourue. La RDC accuse le fabricant des iPhones et des ordinateurs Mac d’utiliser pour ses équipements des minerais en provenance de mines « exploitées illégalement » sur son sol, et précisément à l’est de ce pays, où opèrent en toute impunité des organisations armées soupçonnées de connivence avec le régime de Kigali au Rwanda.
Après leur extraction illégale, ces minerais sont importés par contrebande au Rwanda, où ils sont intégrés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales,
dénoncent les avocats dans la mise en demeure. Et d’ajouter :
Ces minerais litigieux proviendraient en grande partie de mines congolaises au sein desquelles de nombreux droits humains sont violés.
Les avocats agissant au nom de l’Etat congolais dénoncent « l’extraordinaire gravité de la situation dans l’est de la RDC, qui est source de très graves dommages à la population locale et à l’Etat congolais ».
Des efforts de transparence et de vigilance jugés insuffisants
La responsabilité d’Apple, et au-delà des grands fabricants de high-tech, quand ils utilisent des minerais du sang, est restée depuis longtemps une boîte noire,
déclaraient jeudi dernier maître Bourdon et son confrère du barreau londonien. La mise en demeure juge « notoirement insuffisants » les « engagements et précautions pris » par la multinationale américaine « soit d’initiative, soit en application de la loi s’agissant de l’utilisation des minerais achetés au Rwanda ». Les précautions évoquées ici concernent notamment le code de conduite d’Apple, que les fournisseurs de la major sont tenus de respecter en faisant preuve de vigilance. En plus de cette mesure, des audits externes sont réalisés sur les activités de ces fournisseurs.
Or, tant ces fournisseurs que les entreprises d’audit apparaissent s’appuyer sur la certification ITSCI [Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain], dont les dysfonctionnements graves et nombreux ont été démontrés,
écrivent les avocats. Ce programme commun de l’industrie pour la traçabilité et le devoir de diligence, mis en place en 2010, et qui est le principal mécanisme de surveillance de la transparence dans le secteur extractif des 3T en RDC, a été indexé dans le rapport de l’ONG britannique Global Witness. En avril 2022, le programme était accusé de blanchiment de minerais liés à des conflits, au travail des enfants ou issus de trafic et de contrebande en RDC. L’Ong britannique jugeait ce mécanisme « défaillant » dans une certaine zone minière de l’est de la RDC, et révélait que « 90% des minerais ayant intégré le programme au cours du premier trimestre 2021 ne provenaient pas de mines validées ». Selon un rapport publié en 2015 par l’Ong The Enough Project,
ces sites de minerais apparaissent souvent contrôlés par des groupes armés qui contraignent, par la violence et la terreur, des civils à y travailler et à transporter ces minerais. Des enfants sont également forcés à travailler dans ces mines.
Le coup de poing de l’Etat congolais intervient à un moment où le gouvernement de ce pays extrêmement riche (d’où son étiquette de catastrophe géologique)
entend moraliser le secteur de l’extraction des minerais rares, surtout quand ils sont extraits au prix de la commission des crimes les plus graves et parfois au bénéfice de ceux qui les commettent.
Or, parmi ces minerais rares, figurent les fameux « 3TG » (étain, tantale et tungstène), utilisés principalement dans les équipements électroniques, et très sollicités par des grandes firmes du secteur comme Apple, Tesla, Samsung, Nokia, Intel ou encore Motorola. Dans son rapport annuel de 2023, Apple se défendait de tous soupçons de pratiques irrégulières en affirmant n’avoir
trouvé aucune base raisonnable pour conclure que l’une des fonderies ou raffineries de 3TG (étain, tungstène, tantale, or) déterminées comme faisant partie de [sa] chaîne d’approvisionnement au 31 décembre 2023 [avait] directement ou indirectement financé ou bénéficié à des groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe.
Le feuilleton qui vient de s’ouvrir promet des rebondissements.