La flambée des prix des engrais ces dernières années réduit considérablement la production agricole africaine, déjà confrontée aux changements climatiques. Depuis 2020, les prix des engrais ont triplé dans les zones rurales, obligeant ainsi les agriculteurs à revoir leurs prévisions à la baisse, selon le site d’information Willagri. En plus, le continent africain est particulièrement touché par l’insécurité alimentaire, accentuée par le conflit ukrainien. En effet, l’Ukraine est l’un des principaux fournisseurs d’engrais du confinent. Une réalité qui représente un véritable handicap pour le décollage économique de l’Afrique. Mais aussi une opportunité pour revoir les pratiques agricoles en place et promouvoir une fertilisation durable, notamment par le biais des engrais verts sur le continent.
Urgence d’adhérer aux engrais verts
L’Afrique peut construire un modèle agricole moins dépendant aux intrants agricoles chimiques. Les agriculteurs doivent donc être soutenus dans leur transition vers une fertilisation raisonnée et verte. Ce, d’autant plus que les politiques en faveur d’une production « aveugle » par le biais d’artifices chimiques conduisent à un appauvrissement des sols, en contradiction avec les objectifs de sécurité alimentaire. En outre, les engrais chimiques sont accusés de tous les maux aujourd’hui : émissions polluantes, ruissellements agricoles, surcoûts, risque sanitaire etc.
L’agriculture biologique promeut des systèmes alimentaires qui augmentent la sécurité alimentaire et améliorent les conditions de vie, mais actuellement, seulement 0,2% des terres agricoles en Afrique sont dédiées à l’agriculture biologique. Cela était dû à une connaissance limitée de la manière dont les produits biologiques sont produits, transformés et commercialisés.
Plus de 3,8 millions d’hectares de terres agricoles biologiques certifiées
Il existe plus de 3,8 millions d’hectares de terres agricoles biologiques certifiées en Afrique, ce qui représente environ 2,8 % des terres agricoles biologiques mondiales. Selon le L’Institut de recherche en agriculture biologique (FIBL) basé en Suisse, les centres biologiques les plus importants se trouvent en Afrique du Nord et de l’Est. Au Kenya, les noix de cajou et les noix de coco dominent la production biologique. En Tunisie, ce sont les olives. L’Éthiopie et la Tanzanie sont de grands producteurs de café, tandis que l’Ouganda abrite le plus grand nombre de producteurs biologiques d’Afrique, la culture de prédilection étant le cacao.
Les cultures biologiques permanentes les plus importantes cultivées en Afrique sont les noix (principalement les noix de cajou), qui étaient cultivées sur une superficie de plus de 291.000 hectares, suivies des olives, le café et le cacao, chacun avec une superficie supérieure à 200.000 hectares en 2020.
L’Afrique subsaharienne abrite 20% des terres agricoles mondiales
Le continent africain a la plus grande population et les plus grandes terres arables. Par exemple, la région de l’Afrique subsaharienne abrite 13 % de la population mondiale et environ 20 % des terres agricoles mondiales. Cependant, la région est confrontée à une grave insécurité alimentaire, principalement due à une production alimentaire insuffisante. Le manque d’accès à la mécanisation dans l’agriculture et l’utilisation limitée d’engrais en raison du moindre pouvoir d’achat des agriculteurs stimulent la demande d’engrais alternatifs rentables, tels que les engrais organiques, dans la région.
Selon le FiBL, la superficie consacrée aux cultures permanentes biologiques s’élève à 374.118 000 hectares en 2021. Les pays ayant les plus grandes superficies de cultures permanentes étaient la Tunisie (principalement olives), qui a déclaré une superficie de près de 269. 000 hectares, suivie par la Sierra Leone, l’Éthiopie (principalement café), le Congo (cacao et café) et le Kenya (principalement noix), avec cette dernière atteignant une superficie de près de 11. 000 hectares. Étant donné que la culture biologique utilise uniquement des engrais organiques biologiques, le développement d’agriculture biologique stimulera le marché africain.
Assurer la sécurité alimentaire
La Banque africaine de développement, par le biais de sa stratégie “Nourrir l’Afrique”, a pour ambition de relever le défi de nourrir les sols afin d’accroitre la productivité agricole en Afrique. Cette stratégie vise à transformer l’agriculture africaine en un secteur globalement compétitif, durable, inclusif et commercialement viable, en créant des richesses, en générant des emplois et en améliorant la qualité de vie des populations africaines. Assurer la sécurité alimentaire d’une population croissante ne peut se faire que si des mesures sont prises pour augmenter la production à grande échelle en Afrique. Pour cela, les agriculteurs ont besoin d’avoir accès aux intrants agricoles essentiels, notamment les semences, les engrais, l’irrigation et les produits de protection des cultures.
À cet égard, la Banque africaine de développement a élaboré le programme Technologies pour la transformation de l’agriculture africaine (TAAT), dont l’objectif est d’accroître la production et la productivité agricoles par le déploiement de technologies appropriées, notamment des variétés de cultures à forte densité nutritionnelle, ainsi que des formations et des campagnes de sensibilisation.
Soutenir la chaîne de valeur des engrais bio et la production à grande échelle
Un soutien important à la chaîne de valeur des engrais bio accélérera le travail de la Banque en vue d’un secteur agricole plus compétitif. Le succès repose sur la capacité des petits exploitants agricoles à accéder aux intrants, ce qui nécessite un financement adéquat, comme le recommande la Déclaration de Malabo sur l’agriculture de 2014, par laquelle les pays membres régionaux « s’engagent à renforcer le financement des investissements, tant publics que privés, dans l’agriculture ».
Alors que le programme TAAT est axé sur la promotion de l’utilisation de semences améliorées, le Mécanisme africain de financement du développement des engrais (MAFDE), hébergé par la Banque, cherche des solutions financières inclusives afin d’aider les acteurs tout au long de la chaîne de valeur des engrais. Le mécanisme vise non seulement à faciliter l’accès à des intrants de qualité, mais aussi à garantir que les agriculteurs disposent des connaissances nécessaires pour les appliquer efficacement. La collaboration entre les départements de la Banque, les pays membres régionaux, le secteur financier et celui des engrais aura un impact significatif sur les efforts déployés pour atteindre la priorité “Nourrir l’Afrique”.
Avec les vastes réserves de ressources minérales et gazières du continent nécessaires à la production de différents engrais, il est utile de concevoir et de soutenir des projets visant à améliorer la capacité de l’Afrique à produire des engrais simples et mélangés. Par exemple, en 2018, la Banque a prêté 100 millions de dollars US à la société nigériane Indorama Eleme Fertilizer & Chemicals Limited pour la production de 1,4 million de tonnes d’urée par an à partir de gaz naturel, ce qui a permis de stimuler la production d’engrais, fondement de la croissance agricole. Dans la même logique, la Banque a approuvé un prêt de 200 millions de dollars US en 2018 pour l’expansion des activités de la compagnie d’engrais marocaine OCP Africa. La production à grande échelle permettra de réaliser des économies d’échelle et par conséquent de rendre les engrais plus abordables dans les pays et au niveau régional.
Un soutien spécifique aux petites et moyennes entreprises (PME) dans la production d’engrais en Afrique est également nécessaire. Celles-ci sont limitées par le manque de financement abordable pour l’achat de matières premières pour les mélanges. L’industrie des mélanges d’engrais doit être développée pour garantir que les engrais mélangés ou composés nécessaires soient produits et rapprochés des agriculteurs. Comme le recommande le quatrième pilier de la stratégie d’industrialisation de la Banque pour 2016-2025, il est essentiel d’investir et de prêter aux PME, ainsi que de fournir une assistance technique pour renforcer les entités axées sur les PME. La disponibilité et l’accessibilité d’engrais abordables entraîneront une augmentation de la production alimentaire et auront donc un impact significatif sur les industries de transformation des aliments.
Au Bénin, Bio Phyto Collines gagne du terrain
Au Bénin, Gildas Zodome doctorant de 33 ans à l’Université d’Abomey-Calavi de Cotonou (UAC) a décidé de mettre sur pied sa propre activité de production de pesticides et d’engrais bio, après avoir constaté la récurrence de pathologies parmi les agriculteurs ayant recours à des intrants de synthèse. Les intrants qui étaient régulièrement utilisés présentaient de multiples inconvénients : « Diarrhées, évanouissements, intoxication. Le phénomène est très connu », détaille Gildas Zodome, qui décrit ainsi les effets secondaires sur les consommateurs des aliments cultivés avec des engrais chimiques. Il lui a fallu deux ans pour aboutir aux premiers prototypes, conçus à partir d’un mélange de plantes aromatiques (eucalyptus, graines du margousier – également dénommé neem – oranger, hyptis…), et inspirés par les méthodes de contrôle des ravageurs et de fertilisation utilisées par ses aïeux. Une dizaine d’essences réparties différemment selon les recettes dont il garde jalousement le secret, d’autant qu’il les a faites breveter. Il a donc mis sur pied son entreprise Bio Phyto Collines.
Testés sur plusieurs exploitations agricoles, auprès de paysans et auprès des chercheurs de l’Institut national des recherches agricoles du Bénin (INRAB), seuls les pesticides et les engrais les plus performants sont désormais distribués. Trois références que l’entrepreneur-agronome fait rayonner hors de ses frontières, comme au Burkina, où la société a bénéficié de l’assistance de l’incubateur d’entreprises la Fabrique, au Niger, à Madagascar etc. Ses produits représentent une bonne affaire pour les exploitants, assure-t-il. À commencer par le prix : 16,35 dollars US (10 000 francs CFA) le sac de 50 kilos.
Les engrais chimiques sont plutôt à 27, 79 dollars US (17 000 francs CFA) le sac au Bénin, voire 19,62 dollars US (12 000 Fcfa) s’ils sont subventionnés,
explique-t-il. Pour les pesticides, les prix se calent sur la concurrence, à 8,17 dollars US (5 000 francs Cfa) le litre. Et les rendements suivent, d’après Gildas Zodome.
Sur un hectare en riziculture, nous avons mesuré une production moyenne de 4 tonnes de riz avec nos produits, contre 3 tonnes avec des intrants chimiques, et une marge économique supplémentaire de 50 000 francs CFA,
assure-t-il. Bio Phyto Collines compte désormais une dizaine de salariés permanents à Allada, la ville de naissance du fondateur, où elle dispose d’un hectare de culture de plantes aromatiques, le reste étant acquis à l’extérieur auprès de fournisseurs. Avec 400 tonnes d’engrais produites chaque année et 15 000 litres de bio-pesticides, la société atteint un chiffre d’affaires de 163.000 dollars US (100 millions de francs CFA).
Les avancées de l’IRAD au Cameroun
Au Cameroun, l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD) a développé des processus et prototypes, en termes de semences améliorées de base. Ce, dans l’objectif de la multiplication à grande échelle et le transfert vers les multiplicateurs qui vont atteindre les petits producteurs, pour permettre d’aller à l’échelle et réduire les importations. Du volet engrais, la recherche a déjà développé des engrais naturels qui permettent de substituer des engrais chimiques pour avoir des produits Made In Cameroon ayant moins de résidus, ayant des substances naturelles et sains. Toute chose qui permet, non seulement de lutter contre la famine mais aussi d’avoir une santé de fer.
Selon la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM), l’autonomie de l’Afrique pour les engrais naturels est une question de politique industrielle continentale. Le champ d’action de ces politiques est large et devrait être soutenu par des incitations règlementaires et des aides financières pour des investissements aussi bien dans l’acquisition des compétences que dans les filières. Pour Jean-Luc François, membre du conseil scientifique de la Fondation FARM, « On ne peut donc que souhaiter qu’au regard des enjeux continentaux et planétaires qui se jouent dans la transformation des agricultures en Afrique, les pays se dotent de stratégies nationales « fertilité et santé des sols » ambitieuses et complètes. »
Soulignons que la taille du marché africain des engrais biologiques est estimée à 287,13 millions USD en 2024 et devrait atteindre 419,95 millions de dollars d’ici 2029, avec une croissance de 7,90 % au cours de la période de prévision (2024-2029) selon une étude menée par mordorintelligence. Tandis que la taille du marché africain des produits agrochimiques est largement supérieure, et estimée à 7,70 milliards USD en 2024.