La Namibie est un pays désertique très ensoleillé. Ce pays de l’Afrique australe compte mettre à contribution cet atout pour produire et exporter l’hydrogène vert et l’ammoniac décarboné aux pays européens, dont le besoin en gaz s’est amplifié à la suite de la suspension par la Russie de l’approvisionnement de l’Europe en gaz. Une mesure de représailles contre le vieux continent, qui est à l’origine d’une batterie de sanctions économiques visant la Russie, dans le contexte de la guerre que celle-ci mène depuis 2022 contre l’Ukraine.
C’est dans ce contexte que l’Autorité portuaire namibienne (Namport) et le Port d’Anvers-Bruges ont signé, le 02 mai dernier, un accord en vue de la construction, en territoire namibien, des installations de stockage et d’exportation de l’hydrogène vert et de l’ammoniac décarboné destiné à l’Europe. Pour un investissement de 267 millions USD. Les travaux sont annoncés pour trois à cinq ans.
D’après les termes dudit accord, la Namibie va ravitailler en hydrogène vert les navires transitant par le port namibien de Walvis Bay. Par la suite, l’hydrogène sera mélangé à l’azote naturel contenu dans l’air, puis transformé en ammoniac pouvant être utilisé comme carburant pour les grands navires ou servir à fabriquer les engrais agricoles. Les produits exportés vont transiter par le port d’Anvers-Bruges, en Belgique, avant d’être redistribués sur le vieux continent, où ils seront utilisés pour la décarbonation des industries lourdes en Europe, et notamment celles installées dans les places portuaires très avares en gaz, a-t-on appris.
La Namibie peut servir de centre de production des molécules vertes et Anvers de porte d’entrée pour desservir le marché européen,
indique le communiqué signé conjointement par Namport et son partenaire belge. Une filiale de l’armateur italo-suisse Méditerranéen Shopping Corporation (MSC) S.A aurait d’ores et déjà manifesté l’intérêt pour l’exploitation des installations et engagé des pourparlers avec les parties belge et namibienne.
Si l’Union européenne projette de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène d’ici 2030, il a également besoin de 10 millions de tonnes supplémentaires que seul le continent africain peut lui fournir au regard de son potentiel solaire et éolien, affirmait, deux ans plus tôt, le secrétaire général de l’association professionnelle européenne Hydrogen Europe à l’occasion du salon de Rotterdam. D’où l’inéluctable recours au « partenariat UE-Afrique en matière d’hydrogène ».
La Namibie veut exporter l’électricité dès 2030
En visite en Namibie du 29 avril au 3 mai dernier, le roi Philippe de Belgique s’est rendu sur le site d’un autre projet d’infrastructure énergétique lancé en septembre 2023. La première phase de ce complexe industriel de production de l’hydrogène vert et d’ammoniac décarboné, situé au port de Walvis Bay, est exécutée par une coentreprise nommée Cleanergy, composée de la Compagnie maritime belge (CMB), une propriété de la famille belge Saverys, en association avec le conglomérat namibien Ohlthaver and List. La production journalière de 400 kilogrammes d’hydrogène (une capacité extensible), grâce à une station solaire située à quelques encablures du port, va débuter au quatrième trimestre de 2024. Le coût de l’investissement est évalué à 3,5 milliards USD.
Lors d’une campagne européenne débutée le 8 mai 2022 à Paris, le conseiller économique de la présidence namibienne, James Mnyupe avait dévoilé l’ambition de son pays de « devenir incubateur d’une industrie du fuel de synthèse » Il s’était ensuite rendu à Rotterdam au salon World Hydrogen, le 9 mai de la même année, pour « proposer leur soleil si extraordinaire », selon l’AFP.
Quelques mois plus tôt, en novembre 2021, la Namibie avait lancé le processus de sélection de ses partenaires en concluant un partenariat stratégique avec un autre consortium constitué de Nicholas Holdings, un fonds d’investissement international, et du groupe énergétique allemand Enertrag. L’entité envisage de produire 5000 mégawatts d’énergie solaire dès 2026 à Tsau Khaeb. En juin 2023, la Namibie a signé avec le consortium franco-allemand Hyphen Hydrogen Energy, un accord prévoyant la construction d’une méga usine de production d’hydrogène, pour un investissement de 10 milliards de dollars.
La Namibie aspire à l’autosuffisance en matière d’énergie décarbonée. Ses premières exportations devraient être effectives dès 2030. Pour le moment, le pays importe 60 à 70% de son électricité, dont une importante quantité provient de l’Afrique du Sud. Si la sollicitation de partenaires occidentaux est perçue par certains esprits critiques comme une manifestation du néocolonialisme, le conseiller Mnyupe parle plutôt du « premier pas de l’émancipation ».
« C’est significatif d’une émancipation économique pour l’Afrique entière », déclarait-t-il il y a deux ans, avant d’ajouter que son pays travaillera « avec tous ceux qui sont alignés sur la vision d’industrialiser la Namibie ».
L’Egypte des grandes ambitions : 5,8 millions de tonnes d’hydrogène vert par an
C’est depuis 2021 que l’Egypte s’attèle aussi à traduire dans les faits son ambition de marquer un pas de géant dans le développement des énergies décarbonées et notamment de l’hydrogène vert. Sauf que, contrairement aux autres, le pays du président Al-Sissi met de gros moyens. La COP-27 a été à ce point un moment décisif. En marge de ce rendez-vous mondial sur le climat, que l’Egypte a accueilli dans sa station balnéaire de Sharm-El-Cheik, en novembre 2022, le pays a conclu 23 mémorandums d’entente et 09 accords-cadres en vue de la mise en œuvre de projets de production de l’hydrogène vert.
Début décembre 2022, ces mémorandums ont été mués en protocoles d’accord (07 au total) conclus avec des groupes énergétiques locaux (Gila Al Tawakol Electric et Gama Construction) et des partenaires étrangers, à l’instar de United Energy Group (Chine), SK Ecoplant (Corée du Sud), AmmPower (Canada), Smart Energy (Suisse) et Pash Global (Royaume-Uni). Leur coût est évalué à 41 milliards de dollars. 12 milliards USD seront investis au cours de la phase pilote et environ 29 milliards de dollars pendant les autres phases étalées sur dix ans, selon les termes des accords paraphés en présence du Premier ministre d’alors, Mostafa Madbouly.
A travers ces accords, le pays des pharaons veut se positionner comme un hub de production des énergies décarbonés dans le bassin méditerranéen avec un mix énergétique constitué à 42% des énergies renouvelables à l’horizon 2035, d’après le ministère égyptien de la Planification et du Développement économique. Le pays mise sur une capacité de 5,8 millions de tonnes d’hydrogène vert par an et veut détenir 8% du marché global de cette source énergétique à carbone neutre. L’hydrogène devra ajouter 10 à 18 milliards de dollars au PIB de l’Egypte d’ici à 2050 et créer près de 100 000 nouveaux emplois, selon les prévisions du Centre des informations et de soutien de prise de la décision, un organe affilié au Conseil des ministre du pays.
Pour y arriver, l’Egypte a amorcé depuis juillet 2021 l’élaboration d’une stratégie nationale de développement de l’hydrogène vert avec le concours de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En août 2023, 11 projets d’une capacité totale de 10,3 gigawatts étaient recensés comme étant en cours d’exécution. L’autre atout du pays est sa proximité avec les grands marchés mondiaux (Europe, Moyen-Orient et Asie), comme le souligne Dr Ahmed Sultan, spécialiste du pétrole et de l’énergie, cité par frenchahram.org.
Avec 3 000 km de côtes sur la mer Rouge et la Méditerranée, d’énormes potentiels d’énergie renouvelable, de vastes zones désertiques, la proximité des principaux marchés de consommation en Europe et une volonté politique qui accorde un intérêt particulier à ce dossier, l’Egypte possède tout le potentiel pour devenir l’un des principaux producteurs de l’hydrogène vert pour l’Europe et le monde.
Et il ne se trompe pas puisque l’Egypte occupe pour le moment le premier rang des pays du continent en termes de capacités réelles ou potentielles, dans un classement où l’on retrouve aussi l’Afrique du Sud, le Maroc, la Mauritanie, la Namibie et le Kenya. Comme le laissent transparaître ces propos explicatifs du Dr Sultan :
L’Egypte a adopté des mesures sérieuses pour implanter l’industrie de l’hydrogène vert. C’est ainsi que le nombre de projets de production qui devraient être lancés dans la zone économique du Canal de Suez est passé à environ 15 projets. 23 accords-cadres ont été signés, dont 9 sont en cours d’application, d’un coût total de 85 milliards de dollars. Ces projets, mis en place par des entreprises internationales spécialisées dans les énergies renouvelables, visent à établir des complexes industriels pour la production de l’hydrogène et de l’ammoniac vert dans la zone industrielle d’Al-Aïn Al-Sokhna au sein de la zone économique du Canal de Suez. En plus, le gouvernement a approuvé de nouvelles incitations pour encourager les investissements verts, qui s’appliqueront aux projets actuels et futurs d’hydrogène vert.
Le carburant du futur pourrait générer 4,2 millions d’emplois à l’horizon 2050
L’hydrogène vert est présenté comme le « carburant du futur ». Le développement de cette ressource verte pourrait accroitre le PIB des six pays énumérés plus haut comme disposant d’un fort potentiel des énergies renouvelables. Il pourrait par ailleurs générer 4,2 millions d’emplois d’ici 2050. Selon les prévisions mondiales, cette source écologique couvrira 24% des besoins énergétiques de la planète en 2050. Les ambitions du Maroc devraient permettre à cet autre pays maghrébin de satisfaire plus de 4% de la demande mondiale d’ici 2030. On comprend tout l’intérêt que nourrissent les grandes puissances mondiales pour cette énergie. A commencer par la Chine, qui, elle aussi, a tendu la main à la Namibie, selon le conseiller économique James Mnyupe cité plus haut.
Le 05 septembre 2023, lors du sommet africain pour le climat, à Naïrobi, dans la capitale kenyane, les Emirats arabes unis avaient promis de mobiliser 4,5 milliards USD (4,1 milliards d’euros) d’ici 2030 pour soutenir le développement des énergies vertes en Afrique. L’ambition est de porter la capacité totale du continent à 15 gigawatts (GW).
Nous allons déployer 4,5 milliards de dollars (…) pour lancer un pipeline de projets rentables d’énergie propre sur ce continent très important,
avait déclaré le Sultan Al Jaber, par ailleurs dirigeant de Masdar, une société d’énergies renouvelables émiratie, retenue pour faire partie du consortium de sociétés devant développer les 15 GW annoncés. Le sultan déclarait en outre vouloir « catalyser au moins 12,5 milliards de dollars (11,6 milliards d’euros) supplémentaires provenant de sources multilatérales, publiques et privées ». En 2022, la capacité du continent africain en matière d’énergies renouvelables était estimée à 56%, selon l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA).
Par ailleurs, le continent africain abrite 40% des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine (nécessaires pour les batteries et l’hydrogène), et son potentiel d’énergies solaires est estimé à 60%. Or l’Afrique capte à peine 3% des investissements mondiaux annuels dans le domaine dans la transition énergétique. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que, pour maintenir le niveau de réchauffement climatique en-dessous de 2%, 2000 milliards de dollars doivent être investis chaque année pendant dix années d’affilée dans le continent africain. On est loin de cet idéal.