Il y a cinq ans, un mystérieux incendie d’une ampleur sans précédent ravageait des usines de la Société nationale de raffinage (Sonara) basée à Limbé, dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. C’était dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2019. Les flammes avaient consumé quatre unités sur les 13 que compte l’unique raffinerie camerounaise. Ce sinistre avait remis au goût du jour le débat sur la sécurisation de certains investissements étatiques au Cameroun. Pour le cas d’une société aussi stratégique que la Sonara, qui à l’époque ne disposait pas d’un système de prévention incendie de pointe, il y avait des bonnes raisons de s’interroger sur la négligence alors pointée comme étant la cause principale de ce sinistre.
Pénurie des produits pétroliers
Pour anticiper sur la pénurie de produits pétroliers qui se profilait à l’horizon, du fait de l’arrêt de la production, le chef de l’Etat avait instruit la libéralisation des importations de carburants en fonction de quotas autorisés pour chacun des traders opérant dans le secteur pétrolier aval. Puis, en avril 2022, le président Paul Biya annonçait d’autres trains de mesures : il instruisait notamment une restructuration des prix de carburants dans le but de collecter de l’argent nécessaire à la reconstruction des unités endommagées. Une ligne de prélèvement d’un montant de 0,07 USD (47,88F CFA), fut ainsi instituée pour chaque litre de carburant consommé à la pompe en vue de soutenir ce projet de réhabilitation-reconstruction. Sauf que l’argent collecté dans le cadre de ce fonds de soutien est placé dans un compte séquestre ouvert dans les livres de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (Beac).
Lors de son passage devant les députés de l’Assemblée nationale, en novembre 2023, le ministre de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba, interpelé sur ce sujet par des élus de la nation, avait déclaré qu’au 29 septembre 2023, soit quatre ans après la survenue du sinistre, 447,8 millions USD (270 milliards de F.CFA) avaient déjà été collectés et déposés à la banque centrale. Soit seulement 34% des 1,2 milliard USD (780 milliards de F.CFA) à mobiliser au bout de dix ans – plutôt que 414,6 millions USD (250 milliards de F.CFA) tel que l’annonçait précédemment le même ministre à l’issue d’une évaluation dévoilée en janvier 2021.
C’est fin 2021, justement, que le Premier ministre, Joseph Dion Nguté, face aux députés pour présenter le programme économique, financier, social et culturel du gouvernement pour l’année 2022, rassurait les Camerounais au sujet de la reconstruction de l’entreprise sinistrée.
Dans le domaine des produits pétroliers et du gaz, nous prévoyons de démarrer les travaux de réhabilitation de la Sonara (…),
déclarait le chef du gouvernement, le 26 novembre 2021 à l’Assemblée nationale.
Initialement intéressés par le financement du projet, des investisseurs russes avaient désisté par la suite.
Une entreprise lourdement endettée
Que s’est-il passé entre-temps ? La réponse est à rechercher dans la situation financière de la société de raffinage. En effet, à fin décembre 2019, tout juste sept mois après le sinistre, les dettes cumulées de la Sonara vis-à-vis de ses créanciers, à savoir, les traders et les banquiers, se chiffraient à 1,19 milliard USD (717,8 milliards de F.CFA). Trop lourd pour une société qui aspirait alors à la réhabilitation de ses équipements de production endommagés par les flammes.
La dette contractée auprès de neuf banquiers par la société à capitaux majoritairement publics, à elle seule s’élevait à 433,5 millions USD (261,4 milliards F.CFA), tandis que neuf traders réclamaient 615,4 millions USD (371,1 milliards F.CFA). Mais l’amortissement amorcé depuis 2020 par la Sonara a ramené le montant dû aux traders à 452,7 millions USD (272,8 milliards de F.CFA), fin 2021, dont 256,7 millions USD (154,8 milliards F.CFA) pour le Suisse Vitol, principal fournisseur. Soit un total cumulé de 1,048 milliard USD (632,5 milliards de F.CFA).
Le 15 octobre 2021, le gouvernement camerounais avait négocié et obtenu auprès des neuf banques locales, la signature d’une convention de restructuration de sa dette de 433,5 millions USD (261,4 milliards F.CFA) auprès de ces banques. La même démarche avait été engagée pour convaincre les sept traders réclamant leurs créances, à accepter le principe d’un rééchelonnement de la dette pour une durée de dix ans, en contrepartie du paiement des intérêts annuels de 5,5% hors taxes.
Il faut souligner que l’option du gouvernement camerounais d’investir des montants colossaux (1,2 milliard USD soit 780 milliards de FCFA) pour réhabiliter la société, a essuyé de vives critiques de la part de certains experts dans des questions énergétiques, à l’instar de Dr Bareja Youmssi, qui préconisait alors un inventaire général ainsi que la construction d’une nouvelle raffinerie qui coûterait un peu moins que le montant nécessaire pour la réparation des dégâts causés par l’incendie.
Il y a des dossiers comme ça pour lesquels il faut faire un inventaire général. Tout le monde sait que l’appareil de production de la Sonara est en piteux état depuis plus d’une quinzaine d’années. Il y a eu des budgets qui ont été mobilisés, il y a même eu l’argent qui a été sorti par le président de la République pour mettre dans la réhabilitation de la Sonara mais ça a pris des voies compliquées. Tout le monde sait l’intérêt que Total avait dans la réhabilitation de la Sonara. Et de grandes firmes qui ne voulaient pas que cet appareil de production soit réhabilité. (…) Il y a même les choix qui sont faits à la base. Pourquoi ne pas construire une nouvelle raffinerie et mettre l’argent qui en réalité équivaut à la construction d’une nouvelle raffinerie, dans la réhabilitation d’un vieil appareil qui est en lambeaux ? Donc il y a des questions de fond qu’il faut pouvoir adresser,
affirmait l’ingénieur pétrolier lors d’un débat télévisé.
414 689 USD pour équiper la Sonara d’un système de prévention de l’incendie
Finalement, tout porte à croire que le gouvernement a opté en faveur des mesures provisoires. Le 23 avril 2024, la Sonara a publié un appel d’offre en vue de l’équipement de cette entreprise publique en dispositif de détection et d’extinction automatique de début de feu sur le bloc 14 où sont stockés les produits pétroliers destinés à la commercialisation.
L’appel d’offres contenu dans une annonce officielle signée du directeur général de la société étatique, Harouna Bako, en fonction depuis février dernier. Elle est ouverte à toute entreprise de droit camerounais disposant de compétences et de l’expertise requises en la matière. Le budget prévu pour l’achat et l’installation de ce dispositif automatique est arrêté à la somme de 414 689 USD (250 millions de F.CFA), et la durée de l’exécution des travaux est de quatre mois. Le bloc 14 n’est autre qu’une infrastructure de stockage d’un volume de 72 500 mètres cubes. Il est à l’origine destiné au stockage du pétrole brut, mais a été reconverti en cuve pour stocker les carburants commerciaux.