La renégociation des accords miniers figure parmi les principales priorités et préoccupations des autorités sénégalaises issues du scrutin du 24 mars 2024. Le 03 avril, au lendemain de son investiture et à l’occasion de la célébration du soixante-quatrième anniversaire de l’indépendance de son pays, le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’avait pas caché sa détermination à réviser les accords d’exploitation des ressources naturelles du Sénégal, et principalement celles du sous sous-sol riche en or, phosphate, fer et zircon.
L’exploitation de nos ressources naturelles, qui appartiennent au peuple, fera l’objet d’une attention particulière de la part de mon gouvernement. Je vais procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises d’extraction (et) à un audit de l’état des finances de ces entreprises,
affirmait sans ambages le président élu.
Maîtrise du cadastre minier, vente au mieux offrant
A l’ouverture des travaux de la septième édition de l’initiative Mining on Top Africa, le 03 juillet, le ministre sénégalais de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, Birame Souleye Diop a réitéré la volonté du gouvernement conduit par Ousmane Sonko de ne pas laisser le pays dépossédé de ses richesses minières, et donc de mettre un terme au pillage systématique de ses ressources naturelles.
Birame Souleye Diop a dénoncé « l’assujettissement » des Etats africains aux puissances qui exploitent les minerais du continent. Le ministre sénégalais a ainsi défendu la souveraineté économique de l’Afrique dans un contexte mondial de course aux minerais et aux métaux précieux, ce alors que l’industrie de l’automobile électrique connaît une croissance sans précédent, favorisée par le développement exponentiel des énergies vertes et non polluantes.
L’un des défis du gouvernement sénégalais est la maîtrise de la carte minière du pays. Plus de 60 ans après l’accession du Sénégal à l’indépendance, ce pays de la côte Ouest-africaine est loin d’avoir une connaissance même approximative de son sous-sol. Ce qui apparaît à la fois comme un paradoxe et une grosse curiosité, comme l’a déploré le ministre Birame Souleye Diop, qui invite également les nations africaines à transformer leurs minerais sur place pour générer de la valeur ajoutée :
Tant qu’on ne prend pas la décision de transformer, on ne fait pas de transfert de compétences. Est-ce que vous savez que la France connaît mieux le cadastre minier du Sénégal que le Sénégal ? Pourtant ils ont les données encore et ils ne les ont pas partagées avec moi. De quelle générosité parle-t-on ? La transformation, ça suppose aussi savoir ce qu’il y a dans son sous-sol,
a-t-il déclaré. Pour les autorités sénégalaises, en effet, plus rien ne devrait se passer comme avant. Le pays de la Teranga n’exclut pas l’option de vendre ses matières premières au mieux offrant et, idéalement, après leur transformation.
Je ne voudrais pas me limiter à l’Europe. Il faut tirer les bénéfices partout dans le monde ! C’est vrai, je suis venu à Paris, mais si mon intérêt est en Arabie Saoudite, j’irai méchamment le chercher là-bas,
a affirmé le ministre sénégalais de l’Energie, du Pétrole et des Mines à Paris, face aux industriels de la filière minière, les Français en tête. Si la démarche de Dakar semble risquée, à en croire l’expert Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, interviewé par Rfi, le rééquilibrage souhaité, via la renégociation des contrats miniers, n’est cependant pas une chose impossible :
A partir du moment où c’est l’Etat qui est souverain sur un certain nombre de ressources naturelles, et [que] c’est lui qui peut aussi causer des problèmes aux entreprises exploitantes, en général les entreprises, après avoir dit ‘‘Non, on ne va pas renégocier’’ viennent à la table des négociations et on renégocie.
La pêche aux Sénégalais d’abord : donner du poisson à la nation
Les revendications des autorités sénégalaises sont d’autant plus légitimes et compréhensibles que le Sénégal a récemment débuté sa production pétrolière offshore, rejoignant officiellement la liste des pays producteurs de cette énergie. Le projet Sangomar, exploité par la compagnie australienne Woodsad Energy, devrait produire environ 100 000 barils par jour, pour ne prendre que cet exemple. Celui de Grand Tortue Ahmeyim est en cours d’installation. L’exploitation de la manne pétrolière devrait hisser la croissance du pays à 9,2% en 2024, selon le FMI. Un niveau jamais égalé jusqu’ici.
Mais, au-delà de la maitrise de ses ressources minières, c’est la souveraineté économique du Sénégal qui constitue globalement le cheval de bataille de l’actuel gouvernement. Le président Diomaye Faye l’a exprimé de vive voix lors de son adresse à la nation le 03 avril. L’un des domaines où il veut voir s’affirmer cette souveraineté, est celui de la pêche.
Le 6 mai 2024, en effet, quelques semaines après sa prestation de serment, le nouveau locataire du Palais de la République ordonnait au ministère sénégalais des Pêches, la publication d’une liste de 151 navires de pêche autorisés à opérer dans les eaux sénégalaises. A l’observation, sur les 151 bateaux répertoriés, 132 sont sénégalais et seulement 19 étrangers. Leurs licences leur ont été décernées par les anciennes autorités sous la présidence de Macky Sall, et sont valables du 1er janvier au 31 décembre 2024.
Souveraineté monétaire : sortir du franc CFA
Si la sortie du francs CFA et l’établissement d’une nouvelle monnaie nationale ont alimenté la campagne du candidat de l’ex-Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), cette ambition n’a été évoquée que du bout des lèvres dans le discours présidentiel du 03 avril.
La question a toutefois été évoquée subtilement dans ce discours qui a mis l’accent sur le renforcement régional à travers des institutions comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou l’Union économique et monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). C’est dans cette perspective que les questions monétaires vont être posées, discutées et réglées,
analysait il y a trois mois Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal, cité par notre confrère France 24. En effet, la réalisation des objectifs de la zone de libre-échange continentale africaine apparaît aux yeux du président Diomaye Faye comme le cadre par excellence dans lequel devrait s’exprimer « l’idéal panafricaniste » prôné par le dirigeant sénégalais, qui, en outre, en a appelé de tous ses voeux l’avènement d’« une gouvernance mondiale plus juste et plus inclusive ».
Vie chère et sous-emploi des jeunes
L’autre arène dans laquelle est attendu le gouvernement du tandem Diomaye Faye et Ousmane Sonko, c’est la lutte contre la vie chère.
Les Sénégalais sont braves, mais ils sont fatigués et attendent de nous des solutions contre la vie chère. La question du coût de la vie me préoccupe particulièrement et retient toute mon attention. Dans les jours à venir, des mesures fortes seront prises dans ce sens, après les concertations que j’entreprendrai avec les acteurs concernés,
affirmait le 03 avril le Président Faye, cofondateur du Pastef et ancien inspecteur des impôts devenu chef de l’Etat. Les réformes envisagées dans cette perspective devraient à terme améliorer le panier de la ménagère sénégalaise. Mais la tache semble bien plus ardue, comme l’a démontré la récente tentative de résistance des meuniers et la réticence de certains industriels et commerçants sénégalais face aux mesures préconisées par le chef de l’Etat. Lors d’un conseil des ministres, Bassirou Diomaye Faye a instruit à son gouvernement d’avoir un contrôle absolu sur les prix des denrées de grande consommation.
Le chef de l’Etat a demandé
de mettre en branle une politique cohérente de maitrise des prix des produits de grande consommation avec le recours, à court terme, à l’option des appels d’offres en ce qui concerne les approvisionnements du pays en produits alimentaires essentiels et hydrocarbures principalement.
Il a ainsi pris de court les commerçants habitués à importer des vivres (riz, sucre, huiles, etc.) sur la base d’une simple déclaration d’importation de produits alimentaires (Dipa). Désormais le gouvernement va lancer des appels d’offres en vue des importations des denrées alimentaires de première nécessité. Il lui revient en outre d’en fixer les prix à l’arrivée sur le territoire sénégalais et auprès des consommateurs, et de veiller à leur stricte application. Une stratégie en droite ligne de « la modernisation du commerce de proximité avec les boutiques et magasins de référence » et qui vise à tordre le cou aux pratiques spéculatives des détaillants.
Dans la même veine, le Premier ministre Ousmane Sonko prépare une loi sur la souveraineté économique visant à protéger les entreprises des secteurs stratégiques et à « donner au Gouvernement un droit de regard plus soutenu sur les modifications pouvant intervenir dans le capital ». L’objectif à terme est d’avoir une mainmise de l’Etat sur le répertoire des entreprises industrielles du pays ainsi que les emplois réels annoncés et les bilans sociaux révélés. La finalité étant de « mieux cibler ses interventions pour la promotion d’un secteur privé national fort, encadré et soutenu ».
Quid de l’éducation et de l’emploi des jeunes dans un pays dont plus de 75% de la population a moins de 35 ans, où, par ailleurs la vie coûte plus chère et où le taux d’inflation est l’un des plus élevés en Afrique de l’Ouest atteignant 9,7% en 2022 ?
J’en ferai une priorité élevée des politiques publiques, en concertation avec le secteur privé. Nous devons à cet effet revisiter les mécanismes existants, les améliorer et les rationaliser afin qu’ils répondent mieux aux besoins d’emploi et autres activités génératrices de revenus pour les jeunes,
a affirmé Diomaye Faye début avril.
Réforme institutionnelle, gouvernance économique
Le président Diomaye Faye a placé son mandat sous le signe de la rupture systémique et du retour à l’orthodoxie républicaine. L’atteinte de ces objectifs de transparence passe par la réforme institutionnelle, la rationalisation des dépenses publiques et, plus globalement, la promotion de la gouvernance dans la gestion des affaires publiques. En somme, « une politique hardie de bonne gouvernance économique », selon les termes du chef de l’Etat sénégalais.
Pour traduire ses ambitions dans les actes, le président de la République a ordonné, le 17 avril dernier, la publication du rapport de la Cour des comptes, de l’Inspection générale d’Etat (IGE) et de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) pour les cinq dernières années de la présidence de Macky Sall (de 2019 à 2023).
Or, selon le journal Sud Quotidien, le rapport financier de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption a déjà fait l’objet d’une publication pour le compte des exercices 2019, 2020 et 2021, et il ne restait plus qu’à initier l’enquête que ces documents ont recommandée contre certaines hautes personnalités épinglées dans lesdits rapports financiers. Ce qui fait dire au journal que les annonces du président sénégalais relèvent de simples « effets déclaratoires », voire de la « propagande d’Etat »
Dans le cadre de ce programme de lutte « sans merci contre la corruption » et de promotion d’une « démocratie renforcée », le chef de l’Etat sénégalais a mis fin aux fonctions du secrétaire général du Pastef, le parti politique dont il était le numéro deux au moment de sa dissolution par le président Macky Sall et de son emprisonnement avec Ousmane Sonko. Par ailleurs, il a interdit toute forme de folklorisation des cérémonies de passation de service entre les ministres entrant et sortant, ainsi que le cumul de fonctions pour ses ministres. Enfin, Bassirou Diomaye Faye a enjoint tous les anciens ministres de restituer les logements et voitures de fonction.
Réforme judiciaire, maturité électorale à 18 ans
La période ayant précédé l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal a été marquée par moult turbulences sociopolitiques. Le chef de l’Etat sortant, Macky Sall était alors soupçonné de manœuvres pré-électoralistes visant à s’offrir un troisième mandat à la tête de son pays.
Au sortir de cet épisode sanglant, Diomaye Faye a décidé de jouer la carte de la démocratie non sans saluer la « vitalité » de la démocratie sénégalaise, qui venait une fois de plus de faire preuve de maturité, en dépit des morts d’hommes enregistrés lors des mouvements organisés par la société civile pour contrer les les ambitions anti démocratiques de son prédécesseur Macky Sall. L’une des mesures a été de revoir l’âge requis pour la maturité électorale.
Le président a aussi assuré que chaque citoyen de 18 ans sera automatiquement inscrit sur les listes électorales car ils sont actuellement sous-représentés alors qu’ils ont aussi leur mot à dire. Cela permettra d’inciter les citoyens en âge de voter [de] à pouvoir le faire,
analyse Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé en sciences politiques, cité par notre confrère France 24. Mais comment promouvoir la transparence sans un système judiciaire crédible auquel se reconnaîtraient tous les citoyens ? C’est dans le but d’être cohérent avec ses engagements que l’actuel chef de l’Etat sénégalais a décidé de « protéger les lanceurs d’alerte ». Mais va-t-il céder aux sirènes de certains acteurs de la société civile sénégalaise, qui déjà exigent la levée de l’immunité de l’ex-président Macky Sall, afin que celui-ci réponde des « répressions criminelles » qui lui sont reprochées ? Seul l’avenir nous le dira.