Au Cameroun, la Caisse des dépôts et consignations (CDEC) est freinée dans son élan de mobilisation d’une partie des ressources qui lui sont dévolues. En cause, la récente décision de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) demandant aux établissements de crédit, aux établissements de microfinance et aux établissements financiers du Cameroun, de surseoir aux transferts à la CDEC des avoirs en déshérence dans leur portefeuille.
La Cobac estime que ces transferts nécessitent au préalable des clarifications sur la nature de ces avoirs et surtout la mise en place, au plan communautaire, d’un cadre règlementaire régissant les modalités de conservation, de gestion et de restitution de ces valeurs.
Forte collusion et connivence entre la Commission bancaire de l’Afrique centrale et les banques récalcitrantes, hurle une source de Invest-Time à la CDEC. Je dirai qu’il s’agit d’une instrumentalisation vicieuse de la Cobac par quelques banques désireuses de continuer de jouir indûment d’une ressource qui doit être transférée à la Caisse des dépôts et consignations en vertu de la loi.
La même source soutient qu’en réalité, les banques font de la résistance :
mais au-delà de recourir insidieusement à la couverture du gendarme du secteur bancaire, la malice en vient à dépasser le périmètre de l’éthique.
Service public des dépôts et consignations et souveraineté des États
Selon les informations de Invest-Time puisées auprès de sources proches de la CDEC, le service public des dépôts et consignations relève de la seule souveraineté des Etats et n’a jamais fait partie des matières transférées à la Communauté, pour que la Cobac en vienne à vouloir y réglementer. La Cobac ne pourra s’intéresser à la CDEC que lorsque celle-ci va effectuer des opérations de banques », apprend-on de nos sources.
A la Cdec, on pense que l’institution est pour le moment en phase de mobilisation des ressources qui lui sont dévolues et certaines ne doivent pas entraver ce processus en instrumentalisant la Cobac :
La preuve, d’où vient-il que ce soit maintenant que la Cobac intervienne ? La Cdec a été créée en 2008 et le décret sur les modalités de transfert a été signé en décembre 2023. C’est au moment où beaucoup de banques se sont manifestées que les banques récalcitrantes recourent à la Cobac pour que celle-ci sorte de sa mission règlementaire. C’est vicieux,
s’insurge une source de Invest-Time. La construction communautaire ne saurait se faire harmonieusement par de tels agissements, clame notre source, avant de trancher :
Les fonds déjà transférés resteront où ils sont parce c’est en vertu de la loi qu’ils ont été transférés. La Cobac n’a pas vocation à entraver des processus nationaux dûment encadrés par la loi. Au prétexte qu’on prépare une réglementation communautaire,
martèle notre source. La décision de la Cobac vis-à-vis des avoirs en déshérence dans les établissements financiers du Cameroun soulève en effet réactions et interrogations diverses. Dont celle de Daniel Claude Abate :
Cette décision intervient alors que le processus de transfert de ces avoirs est déjà engagé et que certains organismes financiers, y compris la BEAC nationale (Banque des Etats de l’Afrique centrale), ont déjà signé des accords ou conventions de transferts des avoirs en leur possession. Comment comprendre ce timing et quid des avoirs déjà effectivement transférés à la CDEC (va-t-elle les conserver ou les retourner aux établissements financiers qui ont exécuté les transferts ?),
s’interroge le président exécutif du Mouvement des entrepreneurs du Cameroun (Mecam), dans une réaction publiée jeudi 11 juillet, sur ses comptes sociaux.
Transferts de valeurs et stabilité financière de la Cémac
Il nuance en admettant qu’il faut réglementer et bien encadrer ces avoirs transférés à la CDEC afin que cette dernière ne gère pas l’argent qu’elle reçoit comme la plupart des entreprises publiques ou que l’Etat central lui-même ne soit pas tenté de venir siphonner les réserves de la CDEC pour financer son train de vie. De même, il ajoute que le SG de la Cobac fait bien d’attirer l’attention des parties prenantes sur les risques que font peser ces transferts de valeurs sur la stabilité financière de la Cémac s’ils ne sont pas bien encadrés. « C’est un rappel qui me paraît extrêmement important et que tous les acteurs doivent avoir ou garder à l’esprit dans cette affaire », note-t-il.
Toutefois, le président exécutif du Mecam rappelle que le risque sur la stabilité financière fut l’un des arguments forts des banques au tout début de cette affaire, pour tenter de freiner voire même empêcher le transfert desdits avoirs après la mise en place de la CDEC.
On peut donc aussi se demander si dans cette affaire les banques ne sont-elles pas plus concernées par leur propre survie que par la nécessité de préserver la stabilité financière de la région. Tout laisse penser en effet qu’il s’agit pour nos banques de sauvegarder ces avoirs dans leurs portefeuilles afin de continuer à « tourner » avec et de renforcer leur propre bilan,
relève Daniel Claude Abate.
Pour lui, dans un environnement où les banques sont frileuses ou rechignent à jouer pleinement leur rôle traditionnel pour accompagner le financement de l’économie réelle, « et de nos PMEs en particulier », souligne-t-il,
ces avoirs constituent pour elles une véritable épargne longue, moins chère et gratuite, que dis-je une « manne », à laquelle elles s’accrochent et fructifient depuis tant d’années à leur seul intérêt et profit. Elles ont bien compris que sans ces avoirs, beaucoup d’entre elles vont être obligées d’augmenter leur capital et/ou enfin faire le métier réel de banquier qui est attendu d’eux à leurs risques et périls.
Des enjeux autour de 2,5 milliards de dollars US (1500 milliards de FCFA)
Il faut relativiser cependant la portée de la décision de la Cobac vis-à-vis des avoirs en déshérence dans les établissements financiers du Cameroun et dire qu’elle ne concerne que le système bancaire. Les compagnies d’assurance, les organismes de sécurité sociale et les greffes des tribunaux ne sont pas directement concernés par la décision de la Cobac.
En rappel, la loi du 14 avril 2008 régit les dépôts et consignations au Cameroun, ainsi que du décret du Premier ministre du 1er décembre 2023. Créée en 2008, mais opérationnelle seulement en janvier 2023, soit 15 ans plus tard, la CDEC a pour mission de recevoir, de conserver et de gérer certaines sommes et certains avoirs publics ou privés, conformément aux lois et règlements en vigueur. Le délai fixé pour le transfert de ces fonds à la Caisse des dépôts et consignations a expiré depuis le 31 mai 2024.
Certaines sources avancent le chiffre de 20% des dépôts actuels, qui échapperont au contrôle des banques, soit environ 2,5 milliards de dollars US (1500 milliards de FCFA), les dépôts bancaires se chiffrant à plus de 13 milliards de dollars US (7723 milliards de FCFA) à fin décembre 2023, selon les données de la Cobac.
Quid des Caisses de dépôts et consignations existant au Gabon (2010) et au Congo (2014) ?
Dans la sous-région Afrique centrale, des Caisses des dépôts et consignations fonctionnent déjà au Gabon et au Congo Brazzaville. Au Congo, la Caisse des dépôts et des consignations a été créée par une loi en date du 6 janvier 2014. Elle est placée sous la surveillance du parlement. Elle gère des activités concurrentielles et intervient en qualité d’investisseur institutionnel. L‘article 29 de la loi du Congo du 6 janvier 2014 stipule que
Tout avoir sans maitre, détenu par des banques privées et les compagnies d’assurance est immédiatement transféré à la caisse des dépôts et des consignations. » L’article 35 ajoute que « pour le seul contrôle des activités bancaires et financières, la commission de surveillance peut recourir au contrôle de la commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac).
Les dispositions transitoires et finales de la loi congolaise indiquent à l’article 37 que
les fonds et valeurs actuellement en dépôt ou en consignation au trésor public ou dans les établissements bancaires et autres établissements financiers ou de crédit, en raison d’une disposition législative ou réglementaire antérieure, doivent être reversés à la Caisse des dépôts et des consignations.
Au Gabon, la Caisse des dépôts et consignations est créée sous la forme d’un établissement public à caractère industriel et commercial par ordonnance du 12 août 2010. Ses domaines de spécialisation sont les services bancaires, les dépôts et consignations, la promotion immobilière, l’investissement et financements, les collectivités locales et l’énergie et développement durable. La Caisse des dépôts et consignations du Gabon a pour mission de soutenir les politiques publiques en finançant les besoins structurants et les priorités nationales, notamment la mission première de mobilisation de l’épargne et sa sécurisation. Et aussi de transformer les dépôts en emplois productifs, en exerçant les métiers d’investisseur et de prêteur de long terme.
Enfin, selon la Banque africaine de développement, les Caisses de dépôts et consignations jouent un rôle unique dans la communauté de l’investissement financier à long terme du fait de leur mode opératoire, qui consiste à gérer l’épargne réglementée qui leur est confiée par les États pour la transformer en investissements dans des secteurs d’intérêt public comme les infrastructures, les entreprises ou le logement. À cet effet, elles jouent un rôle important d’investisseur institutionnel sur le marché financier domestique dont elles deviennent, de fait, un animateur important. Au-delà de leur rôle d’investisseurs de long terme dans des secteurs d’intérêt général, les Caisses de dépôts et consignations peuvent catalyser les capitaux privés en co-financement de leurs activités.
Curiosité
Au Cameroun, il est indéniable que la Caisse des dépôts et consignations n’est pas très bien vue par le puissant lobby bancaire qui a su mobiliser, pour sa cause, le gendarme du secteur des banques dans la sous-région Afrique centrale. Reste que la Cobac joue sa crédibilité au regard de l’existence de Caisses des dépôts et consignations au Gabon et au Congo depuis 14 ans pour la plus ancienne. Pourquoi n’avoir donc pas édicté une réglementation Communautaire depuis lors ? Comment comprendre que le besoin d’une réglementation Communautaire régissant les modalités de conservation, de gestion et de restitution de ces valeurs soit le prétexte pour suspendre les transferts de fonds des banques vers la CDEC au Cameroun seulement ? Il y a là, comme une curiosité, comme une incohérence, qui appellent des clarifications.