Créée il y a seulement 13 ans par un décret du Premier ministre camerounais, le Bureau de mise à niveau (BMN) des entreprises camerounaises disparaît désormais, officiellement, du fichier des institutions publiques chargées d’assurer et garantir la performance industrielle de ce pays de l’Afrique centrale.
En effet, c’est en décembre 2011 que le BMN avait démarré ses activités dans le sillage de la conclusion des accords de partenariat économiques (APE) liant le Cameroun et l’Union européene, marquant ainsi le dénouement de vifs débats, sur fond d’incompréhensions entre les partisans de la signature desdits accords et ceux ayant des positions hostiles.
La BMN créée dans un contexte de fragilité industrielle
Les tenants du “non”, au premier rang desquels le conseiller économique des services du Premier ministre camerounais, Thomas Babissakana, mais aussi la directrice de l’Economie d’alors, Chantal Elombat Mbedey, estimaient que le Cameroun n’était pas prêt pour signer un accord dont les clauses lui étaient d’office défavorables. Ils pointaient alors la fragilité d’un tissu industriel quasi embryonnaire, et par conséquent peu enclin à supporter une compétition avec le partenaire européen.
Leurs craintes n’étaient pas totalement infondées, puisque les APE prévoyaient, entre autres, la suppression progressive, sur une période déterminée, de droits de douane sur 80% de produits en provenance de l’Union européenne. Comble de l’ironie, c’est Chantal Elombat, la directrice de l’Economie au ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (Minepat) qui fut nommée à la tête du Bureau nouvellement créé pour assurer la mise à niveau des entreprises manufacturières existant au Cameroun.
Quel bilan pour le BMN et le CTR ?
Treize ans après donc, un décret signé le 10 juillet 2024 par le Chef de l’Etat camerounais, Paul Biya, met fin aux activités du BMN et dissout l’institution. Sont également dissoutes, dans la foulée, la Commission Technique de Réhabilitation (CTR) des entreprises du secteur public et parapublic, de même que la Commission technique de Privatisation et de Liquidation des entreprises du secteur public et parapublic. Aucune explication officielle n’est avancée, pour l’heure, pour justifier l’option de la plus haute autorité du pays. Tout juste apprend-on que :
Les patrimoines de l’ex-Commission Technique de Réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic, de l’ex-Commission Technique de Privatisation et de Liquidation des entreprises du secteur public et parapublic, et de l’ex-Bureau de Mise à Niveau des entreprises camerounaises, sont transférés à la SNI. (Article 27 (1) du décret présidentiel du 10 juillet).
De même, les personnels en service au sein de ces institutions à la date de la signature du décret, seront prioritaires en cas de recrutement du personnel de la SNI, indique l’alinéa 2 suivant. Le bilan des trois institutions demeure pour le moins fortement mitigé à l’heure de leur dissolution. Le secteur de la production industrielle au Cameroun continue de tirer le diable par la queue et est incapable de faire face à la concurrence imposée par les industries subventionnées et plus structurées des pays développés.
Le cas de la Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam), dans le secteur textile, est assez évocateur. L’entreprise publique, jadis l’un des fleurons industriels du pays, est aujourd’hui confrontée à la vétusté de ses équipements. Toutes choses qui, en plus de la longue distance séparant la ville d’implantation de l’usine (Douala, dans le Littoral) de la région de production de la matière première (le Nord), expliquent ses difficultés à honorer ses engagements auprès de ses salariés. Conséquence, le Cameroun est obligé d’importer le pagne de Chine pour satisfaire la demande nationale.
On peut évoquer aussi, le cas de la très énergivore Compagnie camerounaise d’aluminium (Alucam), dont la production et la compétitivité ont largement été compromises, ces dernières années, par le déficit énergétique du pays. Dans le sous-secteur eau et énergie toujours, le Cameroun a créé une Société nationale de transport de l’électricité (Sonatrel), ainsi qu’une Agence d’électrification rurale (AER), mais le problème d’électricité demeure entier.
Le Labogénie, dans le sous-secteur des BTP, est réduit à la survie. Que dire de Campost et de Camair-co, dans les secteurs de la communication et des transports respectivement ? Malgré la mise en oeuvre d’un schéma de restructuration soumis à l’examen du Comité interministériel de Réhabilitation des entreprises et validé par le président de la République, la compagnie aérienne nationale peine à rentabiliser son exploitation et connait une permanente instabilité managériale.
Au titre de l’exercice 2020, l’activité portuaire a été caractérisé par l’amélioration des indicateurs financiers et des performances portuaires, à l’exception du Chantier naval et industriel du Cameroun, qui continue à accumuler des déficits en raison de la vétusté de son outil de production et de sa perte de compétitivité,
nous apprend un volumineux rapport publié en 2022 par le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire.
Le rapport présente la situation des entreprises publiques et la CTR à fin décembre 2020. Dans la foulée, le rapport ci-dessus évoqué nous renseigne que les ressources propres de l’Autorité portuaire nationale (APN) ont connu une amélioration depuis 2018. L’on apprend également que le Port autonome de Kribi, opérationnel depuis 2017, a accueilli 1000 navires en 2020. Mais globalement, le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire, parle d’un « étau de dysfonctionnements et pesanteurs récurrents » qui resserre, ces quatre dernières années, l’économie camerounaise « en proie à des difficultés additionnelles, entachant son éclosion réelle pourtant en quête perpétuelle de croissance ». Le gouvernement fait ce constat dans l’introduction du Rapport sur la situation des entreprises publiques et la CTR, pour le compte de l’exercice en 2020.
La SNI, 61 ans après
Créée le 19 juin 1963, c’est la troisième fois, en 61 ans d’existence, que les textes et statuts de la Société nationale d’investissement sont réorganisés. Les dernières modifications remontent à 1985 et à 1990 respectivement. Au terme du décret n° 2024/291 du 10 juillet 2024, qui transforme en profondeur cet établissement financier étatique, l’Etat demeure l’actionnaire unique de cette société à capitaux publics, dont les ressources sont des deniers publics.
La SNI recherche, en complément de sa dotation initiale en capital social, les ressources en vue du financement de projets. Elle est, par ailleurs, habilitée à octroyer dans le respect des dispositions législatives et règlementaires et dans les conditions définies par son règlement intérieur des prêts, avals et/ou contre-garanties à ses filiales ou à d’autres entreprises publiques, notamment pour les projets industriels ; appuyer les stratégies et politiques de l’Etat camerounais en matière socioéconomique et industrielle, en rapport avec les investissements, notamment en apportant son concours à la concrétisation de projets initiés par les opérateurs privés ; mobiliser des financements en vue de la mise à niveau, de la réhabilitation et/ou de la restructuration des entreprises,
précise les statuts de la SNI approuvés ce même 10 juillet par le chef de l’Etat camerounais. C’est dire que les missions des trois institutions dissoutes sont désormais dévolues à la SNI.
Investir dans les secteurs industriel, agricole, minier, etc.
La société est chargée notamment de mobiliser et orienter les financements en vue de favoriser l’investissement productif notamment dans les secteurs industriel, agricole, minier, financier, commercial et des services. A travers ses filiales, la SNI pourra, par exemple, financer les investissements, mener des opérations de capital-risque et de capital-développement, exercer des activités d’intermédiation en bourse et de gestion d’actifs, réaliser des études et l’appui-conseil, effectuer le suivi des entreprises publiques.
D’une manière générale, la SNI est chargée des opérations de nature à favoriser directement ou indirectement l’extension ou le développement de la Société, et de toutes opérations financières, commerciales, industrielles, mobilières et immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à son objet social,
précise l’article 4 du texte nouveau.
Le capital passe de 36,5 millions USD (22 milliards de FCFA) à 332,7 millions USD (200 milliards F CFA) en hausse de plus de 100%
Le capital social de la SNI connait une hausse spectaculaire. Il passe de 36,5 millions de dollars (22 milliards de francs CFA) à 332,7 millions USD (200 milliards de francs CFA). La société est placée sous la tutelle technique du ministère de l’Economie et sous la tutelle financière du ministère des Finances, deux départements ministériels auxquels elle est tenue de faire parvenir ses rapports d’activité et de sa gestion (la vie de la société). Outre le fonctionnement courant, cette provision couvre les services réalisés et/ou à réaliser par la SNI pour le compte de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées, mais aussi les apports en capitaux de la SNI dans la mise en place des filiales.
L’investissement des actifs financiers de l’Etat et de ses démembrements se fait notamment au travers de fonds dédiés gérés par la SNI,
nous apprend l’article 10, alinéa 1 du décret du 10 juillet 2024.