Le Secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh s’est envolé ce mercredi sur instruction du chef de l’Etat Paul Biya, pour une mission officielle à N’Djamena, au Tchad. C’est que le 20 avril dernier, le Tchad a rappelé son nouvel ambassadeur à Yaoundé, Djidda Moussa Outman, pour consultation. Ce rappel a donné lieu à une crise diplomatique ouverte entre les deux pays partageant une frontière commune en Afrique centrale.
La crise fait suite à l’acquisition par le Cameroun, via la Société nationale des hydrocarbures (SNH), de 10% des actifs détenus par Savannah Midstream Investment Limited (Smil), la filiale du Groupe britannique Savannah Energy, au sein de la Cameroon Oil Transportation Company (Cotco), la société en charge de la cogestion avec Totco du pipeline Tchad-Cameroun depuis vingt ans. Une acquisition pour un coût de 44,9 millions de dollars, soit environ 26 milliards de F CFA, selon des sources largement relayées, mais dénoncée de vive voix par les autorités tchadiennes comme relevant des « agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad posés par les représentants du Cameroun dans les conseils d’administration de Cotco et Totco [Tchad Oïl Transportation Company] ».
Surtout qu’en plus, le gouvernement camerounais n’a pas daigné donner une réponse, notamment sa non-objection, dans le dossier de l’acquisition par l’Etat tchadien des actifs de l’entreprise étatique malaisienne Petronas, alors que ce pays voisin avait saisi Yaoundé et déposé un dossier à cette fin auprès des services de concurrence de la Cemac. Le rachat des actifs de la filiale locale de Savannah par la SNH fait croître les actifs du Cameroun dans la Cotco de 5,1% à 15,1%, tandis que ceux de la Smil dégringolent, passant de 41% à 31%. Or le Tchad est détenteur de 24% du capital de la société Cotco, actifs répartis entre la Société des hydrocarbures du Tchad (22%) et l’Etat tchadien (2%).
C’est donc tout logiquement qu’il a tenté, en vain, d’empêcher la tenue d’une session du conseil d’administration et de l’assemblée générale de cette société, prévue le 25 avril 2023. Le Tchad a initié cette opposition le temps pour les autorités de ce pays de lever les zones d’ombre entourant la transaction passée entre le Cameroun et la Smil. Une transaction qui donne une légitimité au rachat querellé par la junior britannique Savannah Energy, le 09 décembre 2022, des 40% des part d’ExxonMobil dans Cotco.
N’Djamena justifie son hostilité et sa protestation de ce rachat par le statut juridique flou de certaines entités impliquées dans ces actes commerciaux conclus le 19 avril par Adolphe Moudiki et Andrew Knott, respectivement administrateur directeur général de la SNH, et CEO de Savannah. Or l’entité qui fait problème, à N’Djamena, c’est Savannah Energy.
En décembre, le Tchad a expulsé de son territoire certains ouvriers de cette entreprise, non sans demander à Yaoundé d’en faire autant, et d’empêcher l’admission de Savannah Energy à Cotco. N’Djamena aurait ensuite détenu le directeur général adjoint local de la firme pendant un mois suite à une décision d’une juridiction de la capitale. C’est qu’avant l’actuel feuilleton diplomatique entre le Tchad et son voisin camerounais, N’Djamena a dénoncé comme étant « illicite », le rachat, en décembre 2022, à hauteur de 250 milliards de F CFA, des actifs du géant américain ExxonMobil au sein de l’ex-société Esso Exploration and Production Chad Inc (Esso Tchad) par l’entité britannique, taxée de « nébuleuse » par les autorités tchadiennes.
Le pétrole rapporte environ deux milliards de dollars au Tchad chaque année
Des actifs correspondant aux parts d’ExxonMobil sur les gisements de Doba. Par la suite, le pays de Moussa Fakir Mahamat a, par un décret présidentiel du 23 mars 2023, procédé à la nationalisation de toute la filière pétrolière tchadienne, et notamment les actifs et les droits de toute nature découlant aussi bien des conventions, que des permis de recherche, l’autorisation d’exploitation, etc. Le Tchad a ainsi repris sous son contrôle les champs pétrolifères de Doba mais aussi ceux de Komé, au sud du pays, co exploités ces 40 dernières années par la Malaisienne Petronas, détentrice de 30% des actifs, aux côtés de l’Etat tchadien et de l’ex-Esso Tchad, qui détenaient respectivement 30% et 40%. Un choix pour lequel Yaoundé ne l’a pas soutenu comme souhaité, mais, bien au contraire, a entériné, le 12 décembre, l’entrée des administrateurs de Savannah Energy dans le conseil d’administration de Cotco pour remplacer ceux d’ExxonMobil.
Derrière la crise qui couve, se cachent des enjeux énormes et des opportunités inestimables d’investissements, aussi bien pour le Tchad que pour le Cameroun. Les deux pays ont en commun un pipeline d’une longueur de 1081 kilomètres, dont quelque 900 km passent sur le territoire camerounais et sont gérés par Cotco. Cet oléoduc permet au Tchad d’acheminer son pétrole brut depuis les champs pétrolifères du sud du pays (Komé, Miendoum, Bolobo et Doba) jusqu’au port de Kribi au Cameroun, en vue de leur exportation.
Les gisements pétroliers de Doba à eux seuls ont une capacité de 30 000 barils de brut produits chaque jour, dans un pays dont les réserves brutes sont évaluées à 142,3 millions de barils au 1er octobre 2022. Les ressources pétrolières rapportent environ deux milliards de dollars par an et permettent à la République du Tchad d’accroître le budget de l’État de l’ordre de 40 à 50%. La manne pétrolière constitue 75% de revenus des exportations de ce pays et représentait 37% de ses recettes en 2019.
En dix ans, le Cameroun a vendu le pétrole pour 4693 milliards de F CFA
Quid de Cotco, l’entité en charge de la gestion du linéaire camerounais de l’oléoduc Doba-Kribi ? Son actif global, au 31 décembre 2021, se chiffrait à 406 milliards de francs CFA, pour un bénéfice de 20 milliards hors impôts. Près de 2000 entreprises camerounaises ont bénéficié de contrats de prestation de service dans le cadre de la mise en œuvre de cette infrastructure.
Elles ont opéré dans divers domaines de compétence : travaux topographiques, transport routier de tuyaux, défrichage de l’emprise foncière du projet, contrôle non destructif de soudure, réalisation de pépinières d’essences forestières, etc. Pour des retombées financières d’environ 270 milliards. L’accroissement de volumes du brut tchadien exporté depuis le port de Kribi, en 2022, soit 42 millions de barils, a permis au Cameroun de prélever 31,46 milliards de F CFA au titre des droits de transit.