C’est depuis 2013 en effet que la Société nationale des hydrocarbures (SNH), la firme allemande Ferrostaal et la société EurOil Limited avaient signé un préaccord commercial portant sur l’approvisionnement en gaz naturel d’une usine de production d’engrais chimique à Limbe. Mais, aucune suite n’avait plus été donnée à ce projet colossal resté en berne jusque-là. En cause, la difficulté pour les parties de boucler les négociations qui depuis lors piétinaient.
Il a fallu attendre la récente session parlementaire de juin pour que l’opinion nationale soit édifiée sur ces obstacles. Le volume des dépenses d’investissement prévues pour ce projet est évalué à un peu plus de 2 milliards de dollars US (environ 1 250 milliards de Fcfa). Le projet d’infrastructure en gestation devrait, sur le plan social, créer près de 500 emplois directs et indirects. L’usine sera approvisionnée en gaz à hauteur de 70 millions de pieds cube standard par jour, a-t-on appris.
832 millions de dollars US à investir par Global Vision et son partenaire américain
Le second projet inscrit dans l’agenda du gouvernement camerounais, concerne le champ gazier de Logbaba, à Douala, la capitale économique et deuxième ville du pays après Yaoundé. Ce site gazier est exploité depuis janvier 2007 par la société Rodéo Development Limited, rebaptisée Gaz du Cameroun (GDC) en 2013.
Selon le ministre de l’Industrie par intérim, Fuh Calistus Gentry, interrogé à l’Assemblée nationale le 30 juin 2023, la filiale locale du consortium britannique Victoria Oil & Gas (VOG) a d’ores et déjà donné son accord pour approvisionner l’usine d’engrais chimique en gaz. Cependant, l’étude de faisabilité ne démarrera qu’en 2024, sur financements de l’Etat, a –t-il ajouté.
Fuh Calistus Gentry n’en a pas dit plus, tout comme il n’a pas été assez disert s’agissant du projet Ferrostaal censé voir le jour sur le site gazier d’Itindi à Limbe.
Les négociations butent sur le prix du gaz proposé, qui rend le projet non rentable. Le dossier se trouve à la Société nationale des hydrocarbures (SNH),
a-t-on appris.
En revanche, l’on en sait un peu plus sur les intentions d’une autre société, privée celle-là. Global Vision, puisqu’il s’agit d’elle, envisage, avec le concours d’un de ses partenaires américains, la construction d’une usine de production des engrais chimiques à partir du gaz naturel sur le site Itindi à Limbe, et d’une usine de production des engrais à partir des déchets organiques à Ongot, dans l’arrondissement de Yaoundé 7.
Le montant des investissements est de 832 millions de dollars US (environ 500 milliards de Fcfa) et l’enjeu de cette opportunité est « la production de 230 000 tonnes d’ammoniac et 400 000 tonnes d’urée par an ». Le ministre intérimaire de l’Industrie a affirmé à l’Assemblée nationale que les études de faisabilité de ce projet sont en cours, de même que les négociations en vue de la signature d’un Memorandum of Understanding (MoU).
Les dépenses d’importation des engrais en provenance de Russie ont progressé de 43,4%
Ces projets s’inscrivent dans le cadre de la politique d’import-substitution conçue depuis quelques années par le gouvernement camerounais. L’enjeu recherché est de mettre à la disposition des agriculteurs des fertilisants en quantité suffisante, et de limiter les importations dans la mesure du possible.
Une politique qui va en droite ligne des préconisations de l’Union africaine dans le cadre de la promotion, d’ici à 2050, de l’autosuffisance alimentaire sur ce continent densément peuplé mais confronté à la pénurie des ressources pour nourrir sa population.
En effet, comme bon nombre d’autres pays sous-développés et plus particulièrement ceux de l’Afrique subsaharienne, le Cameroun a compris la nécessité d’assurer et de consolider son indépendance alimentaire. L’atteinte de cet objectif passe par la diminution considérable des volumes de dépenses allouées aux importations du blé et de toutes autres formes de céréales, mais surtout des engrais.
La guerre que se livrent la Russie et son voisin ukrainien depuis un an et demi a favorisé cette prise de conscience. Ce conflit, autant que la pandémie du Covid-19, a eu d’énormes répercussions sur les importations des pays africains. Le secteur le plus affecté est celui des engrais et des céréales, notamment le blé nécessaire à la fabrication du pain.
Les difficultés d’approvisionnement des Etats en Afrique subsaharienne ont généré une inflation sans précédent sur les marchés. Elles ont affecté considérablement la production agricole et détérioré la balance commerciale des pays concernés.
Au Cameroun par exemple, l’Institut national de la statistique (INS) estime qu’à cause de la guerre russo-ukrainienne, les engrais représentent 17% des importations du pays en provenance de Russie, et que les dépenses y afférentes ont connu une progression de 43,4% (en glissement annuel).
23 millions de dollars US pour subventionner la production alimentaire locale
D’après le rapport sur le commerce extérieur du Cameroun entre janvier et septembre 2022, publié par cette institution publique, la Russie demeure le premier fournisseur de ces intrants agricoles au Cameroun, avec 43% des parts de marché, contre seulement 11% pour la Chine.
Les engrais ont ainsi rejoint la liste des trois produits d’importation pour lesquels l’Etat camerounais mobilise de gros volumes de dépenses, derrière les carburants et lubrifiants et le poisson de mer congelé. Au Cameroun, au cours de la période impactée par la crise russo-ukrainienne, précédée par celle de la pandémie du Covid-19, les dépenses pour les importations ont atteint 23% des dépenses de l’Etat en 2021, atteignant 1,3 milliard de dollars US (environ 826,8 milliards de F CFA).
Les prix d’importations du riz et du blé ont augmenté respectivement de 10% et 15%. Le pays a dépensé 669 millions de dollars US (401,8 milliards Fcfa) pour l’importation des céréales ; 304 millions de dollars US (182,7 milliards Fcfa) pour le blé et le méteil, et 346 millions de dollars US (208 milliards Fcfa) pour le riz.
La prise en conscience de l’urgence d’accélérer les projets de construction des usines d’engrais survient dans un contexte où l’Afrique dépense chaque année 64,5 milliards de dollars pour importer les denrées alimentaires, et nourrir près d’1,216 milliard de bouches (statistiques de 2016).
Pendant la période Covid, l’inflation des cours des matières premières et des intrants à l’import, sur le marché camerounais, a atteint la barre de 400% (le taux minimal étant de 30%), entrainant de ce fait une « hausse généralisée et inédite » et suscitant de vives critiques du Groupement inter patronal du Cameroun vis-à-vis du gouvernement.
Des acteurs locaux de la filière, à l’instar de Fimex International, ou encore de Solévo, dont les actifs ont été repris récemment par un opérateur économique privé du terroir, ne pouvaient à eux seuls contenir cette poussée inflationniste.
Pour soutenir en 2023 l’envolée croissante des prix des engrais et éviter une chute conséquente de la production agricole, consécutives à la situation en Ukraine et en Russie, le gouvernement camerounais a annoncé des subventions de l’ordre de 23 millions de dollars US (environ 14 milliards de FCFA) au profit de ce secteur d’activité.
Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Gabriel Mbaïrobe a rendu publique cette information le 11 avril 2023, lors de la cérémonie de lancement de la campagne agricole 2023 à Nanga-Eboko, dans la région du Centre. Mais ces mesures demeurent inefficaces, car elles ne résolvent pas le problème sur la durée.