L’État camerounais envisage le rachat des 51% des parts détenues par le fonds d’investissement britannique Actis dans la capitalisation de l’entreprise Energy of Cameroon (Eneo), l’entreprise privée en charge de la production et de la distribution de l’électricité au Cameroun.
Les négociations relatives à ces opérations de rachat semblent fort bien avancées, si l’on en juge par l’esprit et la lettre d’une correspondance du président administrateur général de la Cameroon Power Holdings (CPH), datée du 27 juillet dernier, et adressée au ministre camerounais de l’Eau et de l’Energie (Minee), Gaston Eloundou Essomba.
Ladite correspondance, dont nous avons obtenu une copie, fournit plus de précisions sur l’état d’avancement de la procédure de la renationalisation du secteur de l’électricité camerounais, même si aucune information ne filtre pour l’heure sur le montant de l’acquisition, probablement encore en négociations.
En revanche, l’on en sait un peu plus sur le calendrier des opérations. Le document qui a fuité sur les réseaux sociaux, alors que les négociations demeurent entourées de discrétion, du moins pour le moment, indique jusqu’à la date butoir de la clôture définitive de la transaction.
Ce sera au plus tard fin novembre 2023. Ce dateline prend en compte « tout paiement ultérieur à ACTIS ».
Un premier versement sera effectué à ACTIS sur la base d’un prix minimum (Prix Plancher) de la Cible ; ACTIS fournira l’accès à la Data Room et au modèle financier avant le lundi 31 juillet à KPMG France et à certaines personnes désignées au sein de l’État ; ACTIS, l’Etat et le Conseiller d’Etat se mettront d’accord sur le Prix Plancher avant le 15 août 2023 ; ACTIS recevra le virement du Prix Plancher avant le 14 septembre 2023 qui est le délai de 90 jours précisé dans le courrier du 08 juin à l’Etat ; Un second paiement (paiement complémentaire) à ACTIS qui sera calculé par le Conseiller de l’Etat après une due diligence de l’Actif ; Le paiement complémentaire est à finaliser avant le 15 novembre 2023,
détaille le document.
Telle est l’approche proposée par l’Etat du Cameroun en vue de la finalisation d’un éventuel accord relatif au rachat des actions d’Actis, d’après David Alderton, le signataire de ladite correspondance. Cette approche se déroule en deux étapes, selon la suggestion des parties,
ce qui signifie qu’une première partie du prix serait payée conformément au calendrier proposé dans notre correspondance du 16 juin 2023, soit au plus tard le 15 septembre 2023, et une seconde tranche de prix serait déterminée après réalisation de la due diligence par votre conseil KPMG France,
écrit le président administrateur général de Cameroon Power Holdings, une société anonyme unipersonnelle constituée en filiale auprès du groupe Actis, avec un capital de 10 millions de F CFA, et dont le siège est situé à Yaoundé.
CNPS et SNH : qui pour reprendre les parts d’Actis ?
L’intention de l’Etat camerounais de renationaliser la filière de l’électricité, et donc de contrôler les 100% du capital social d’Eneo était déjà connue depuis le mois de mars. Un article paru dans Africa Business évoquait alors la manifestation d’intérêt de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Un intérêt exprimé depuis le 13 novembre 2022 par l’actuel directeur général de cet organisme étatique, Alain Noël Olivier Mekulu Mvondo Akame, qui l’avait fait savoir au fonds britannique Actis, d’après le journal.
Par ailleurs, la Société nationale des hydrocarbures (SNH), une autre entité publique, était citée comme faisant partie du groupement intéressé par la reprise d’Eneo. Tandis que le cabinet Financia Capital se positionnait sur le volet financier aux côtés d’Actis et se proposait d’accompagner le fonds d’investissement dans la restructuration du deal.
En décembre 2021, la société avait déjà piloté le montage de l’opération qui avait permis à l’énergéticien de lever sur le marché monétaire une enveloppe globale de 118 milliards de francs CFA destinée à l’apurement de sa dette et au payement de ses fournisseurs.
Cette opération de rachat est actuellement étudiée au sein du gouvernement avec le ministre de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba, et son homologue des Finances, Louis Paul Motaze, en première ligne. Elle aura pour enjeu plus large de constituer un écosystème pérenne du secteur en préparation de l’entrée en exploitation du barrage de Nachtigal (420 MW), construit par EDF, mais aussi de restructurer le secteur à long terme,
écrivait Africa Business.
Restructurer pour en finir avec les délestages
Il faut cependant rappeler que la volonté de l’Etat de restructurer le secteur de l’énergie et plus précisément de l’électricité, ne date pas d’aujourd’hui.
La Société nationale d’électricité (Sonel) avait été mise sur pied depuis les années 70. Seulement, la mauvaise gestion de la société publique au cours de la décennie 90, couplée à la crise économique ayant frappé de plein fouet les économies du continent au milieu des années 80, avait contraint les pouvoirs publics camerounais à privatiser le secteur.
AES Sonel vit alors le jour en 2001 sous l’impulsion du groupe américain AES, alors acquéreur des actifs de la Sonel. Ensuite, le 7 novembre 2013, l’américain AES vendait ses actifs (56%) au fonds d’investissement britannique Actis pour un montant de 220 millions de dollars (environ 110 milliards de francs CFA).
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Les délestages se sont multipliés en dépit des multiples plans d’investissements souvent annoncés tambour battant par l’entité britannique, dans le but de relever la société Eneo et d’assurer une meilleure fourniture de l’électricité aux Camerounais. Actis accusait l’Etat de ne pas honorer sa part d’engagements financiers.
De son côté, l’Etat a toujours reproché à l’entité britannique le non-respect de ses obligations contractuelles. La création de la Société nationale de transport d’électricité (Sonatrel) pour assurer le segment du transport de cette énergie et alléger les charges d’Eneo, n’a pas été la solution miracle escomptée. Les goulots d’étranglement persistent.
La conséquence de tout ce qui précède est évidente : c’est depuis 2019 qu’Actis manifeste sa volonté de se débarrasser de ce gouffre à sou appelé Eneo, et donc de revendre ses parts. C’est donc tout logiquement que l’Etat du Cameroun, qui demeure pour le moment le deuxième actionnaire majoritaire d’Eneo (44% de parts), derrière Actis et loin devant les salariés de l’entreprise (5%), compte reprendre le contrôle total de la société passée sous le contrôle d’Actis début 2014, pour une enveloppe finale de 202 millions de dollars. L’enjeu est d’en finir avec les coupures récurrentes d’électricité. L’Etat va-t-il réussir là où les opérateurs privés ont échoué ?