Dans quelle mesure la détermination des puissances occidentales à réinstaller Mohamed Bazoum au pouvoir à Niamey pourrait-elle cacher des enjeux stratégiques autour des matières premières, notamment l’uranium nigérien ?
Au-delà des enjeux énergétiques il y a aussi des enjeux sécuritaires. Le Niger reste l’unique pays aujourd’hui allié de l’Occident dans sa lutte contre les terroristes dans le Sahel ; à cela s’ajoute sa position géographique importante dans le projet de construction d’un gazoduc trans-saharien partant du Nigeria jusqu’à la mer méditerranée passant par le Niger et l’Algérie. Le but principal de ce gazoduc étant de trouver un moyen d’approvisionnement du gaz à l’Europe de l’Ouest pour ainsi réduire significativement sa dépendance au gaz russe.
En ce qui concerne l’uranium, il faut noter que l’uranium en provenance du Niger couvre moins de 10% de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises, et que le Niger ne représente que 4% de la production mondiale d’uranium. Qui n’est pas à négliger, mais la crainte principale de l’Occident est de voir des pays comme l’Iran avoir finalement accès à l’uranium si la France venait à perdre le contrôle sur le Niger et être forcée à quitter ce pays . De ce qui précède nous constatons que la France ne lâchera pas le Niger aussi facilement .
Si la France en particulier et les Occidentaux en général à travers leurs multinationales sont boutés hors du Niger et de certains pays africains comme cela semble se dessiner progressivement, c’est la Russie et la Chine qui vont s’installer sans garantie qu’elles feraient mieux que les premiers. Sur quoi repose l’intérêt de l’Afrique aujourd’hui et comment peut-elle valablement le défendre ?
Tout à fait, l’Afrique est en train de faire un saut dans le vide ; les Africains se laissent emporter par le sentiment anti-français sans avoir eux même au préalable mis une stratégie claire en place sur ce qu’ils voudrons des nouveaux partenaires tels que la Russie et comment comptent-ils faire pour ne pas tomber dans le même piège de la signature des contrats léonins qui ne profiterons pas toujours à l’Afrique comme c’est le cas avec la France en ce moment.
Les Russes n’ont pas découvert l’Afrique hier ; ils sont là depuis les indépendances et ont aussi pillé certains pays africains de leur ressources minières tels que la Guinée Conakry (la bauxite), le Soudan (l’or), le Zimbabwe (l’or et les PGM, [Platinum Group Metals, Ndlr)], le Mozambique, la Tanzanie et le Kenya. Est-ce que ces pays sont aujourd’hui un modèle de développement ? De transformation des ressources minières et de prospérité pour le peuple? Regardez la Centrafrique ; les Russes y sont depuis bientôt 5 ans ; ils ont la mainmise sur la production d’or, de diamant et les projets d’uranium.
Avons-nous vu un changement dans ce pays ? L’Afrique a raison de dénoncer les accords avec la France, mais elle gagnerait plus en renégociant ces accords avec la France que de chercher à chasser les Français de l’Afrique pour faire entrer la Russie qui fera pire que la France.
Des minerais comme le lithium et le cobalt, dont l’Afrique regorge d’importantes réserves, sont aujourd’hui très convoités, notamment pour le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans la transition énergétique – ils sont essentiels à la fabrication des batteries de véhicules électriques. Quelles sont les réformes qui doivent être faites en amont de l’exploitation massive annoncée, afin qu’une bonne partie de la valeur ajoutée y liée reste sur le continent?
L’Afrique doit revoir sa stratégie du développement et de transformations de ses ressources minérales. Sommes-nous obligés de nous embarquer dans l’idée folle de l’Occident de la transition énergétique? En dehors des richesses sur des minerais tels que le cobalt et le lithium, nous avons aussi des richesses en pétrole et gaz ? L’Afrique a encore besoin des énergies fossiles, l’Afrique a besoin d’exploiter son pétrole et son gaz.
Sommes-nous obligés d’exploiter nos métaux stratégiques pour résoudre les problèmes de transition énergétique qui concernent plus particulièrement l’Europe ? Pour votre information, c’est la Chine à ce jour, suivie des Américains et des Russes, qui détiennent les plus grandes réserves de lithium, cobalt et autres; sauf que ces pays préfèrent ne pas exploiter leurs ressources et privilégient plutôt le pillage des ressources minières africaines tandis qu’ils font des leurs des réserves stratégiques pour les générations futures.
Promouvoir une industrie de transformation des matières premières extractives sur place nécessite des moyens colossaux dont la plupart des pays sur le continent ne disposent. Quelles perspectives s’ouvrent à l’Afrique dans ces conditions ?
C’est ce qu’on nous fait croire. L’homme d’affaires nigérian Akiko Dangote vient d’offrir à son pays l’une des plus grandes raffineries ultra-modernes de l’Afrique sur fonds propres. Tout projet qui a fait l’objet d’une étude de faisabilité et qui est bancable trouve le financement ; l’industrie de transformation ne coûte pas plus cher que l’industrie d’extraction. Je pense que le problème est ailleurs et non au niveau des coûts. Nous sommes encore restés longtemps dans l’ancien business model qui faisait de l’Afrique le fournisseur des matières premières.
L’Afrique aujourd’hui a du mal à imposer un autre modèle qui consiste à faire une transformation partielle ou totale de nos minerais bruts sur le continent. Pourquoi ne pas commencer par le modèle du contrat de partage de la production que nous appliquons dans le secteur pétrolier ? Commençons d’abord par transformer notre part de production avant d’exiger au partenaire d’en faire de même.
Nous avons des institutions financières africaines, des fonds souverains des pays africains qui ont du free cash pour financer des projets rentables qui nécessitent des moyens colossaux. L’Afrique doit juste se mettre au travail et non se contenter de jouir juste de la rente pétrolière et minière.
Le salut ne pourrait-il pas aussi venir d’un système de joint-venture, comme celui envisagé entre le Cameroun et la Guinée sur certains blocs pétroliers transfrontaliers, ou encore celui en projet entre la RDC et la Zambie pour développer des chaînes de valeurs dans le secteur des batteries électriques ?
Le projet d’exploitation commun des champs gaziers de Yolanda et de Yoyo, situés au Cameroun et en Guinée équatoriale a été exclusivement dicté par le caractère unique du gisement et aussi par le fait que le détenteur des titres d’exploitation sur les deux champs gazier est le même, à savoir Chevron.
De ce fait, il ne pouvait avoir autre solution que de combiner les deux projets pour en faire un seul. Le projet entre la RDC et la Zambie pour la construction d’une usine de fabrication de batteries électriques, lui, est parrainé par l’Union européenne. D’ailleurs, c’est un projet que j’ai critiqué.
L’Union européenne est dans le besoin des batteries électriques pour satisfaire son marché ; elle vient en Afrique et au lieu de monter l’usine dans le pays qui produit le lithium et le cobalt, c’est-à-dire, la République démocratique du Congo (RDC), préfère installer l’usine en Zambie où elle juge que le climat des affaires est plus favorable. Elle fait ainsi de la RDC un pays exportateur de son minerais brut pour approvisionner son usine installée en Zambie qui produira des batteries électriques exclusivement pour le marché européen. Je ne trouve pas ça sérieux.
Le 08 août, le Japon et la Namibie ont signé un accord relatif au développement de chaînes de valeurs de minerais critiques indispensables à la fabrication de technologies phares de la transition énergétique et d’appareils électroniques. Les contrats de cette nature sont déjà dominés par la Chine, qui est moins portée sur l’exploitation locale. Est-ce qu’il y a une fenêtre d’opportunités qui s’ouvre pour l’Afrique avec l’arrivée d’acteurs de second plan sur ce marché ?
Les Japonais ont toujours eu une approche conservatrice quand il s’agit d’investir en Afrique; ils ont été toujours moins agressifs sur le continent africain, car, à la moindre occasion ils plient bagages et retournent chez eux. Et pourtant, ils viennent toujours avec des business model très avantageux pour l’Afrique. Le Japon est un pays à qui l’Afrique devrait véritablement ouvrir les portes.
Il faut l’encourager à s’impliquer de plus en plus d’une manière durable dans des projets d’innovation et de transformation sur le continent. Les Japonais ne laissent jamais derrières eux la misère ; ils sont dans une philosophie d’investissement et gagnant-gagnant +(plus) pour les Africains. De toutes les façons, je les ai toujours trouvé comme des partenaires sérieux qui pourront réellement accompagner l’Afrique dans son développement et sa modernisation.
Malheureusement, les Japonais ont des exigences qui ne plaisent pas toujours à certains dictateurs africains, car, ils ont le regard sur le respect des droits de l’homme et la bonne gouvernance dans les pays où ils opèrent.