En Afrique, la banane représente l’un des principaux produits agricoles, avec une production annuelle d’environ 8 millions de tonnes. Les plus grands producteurs de bananes sont la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cameroun. La Côte d’Ivoire est le 1er fournisseur suivi de près par le Cameroun qui affiche depuis peu une dynamique dans ses expéditions.
Ces pays exportent principalement vers l’Union européenne qui est le plus grand marché pour les bananes africaines. Cependant, le continent n’échappe pas lui aussi à un marché en déclin (-5% sur les neuf premiers mois de 2022 par rapport à 2021). Le Cameroun est le seul pays du continent à avoir connu une progression de 14% de ses exportations en 2022 tandis que ses concurrents, la Côte d’Ivoire (-5%), le Ghana (-16%) ont tous deux reculé.
Sur le continent, les principales barrières qui peuvent rendre difficile l’accès des bananes africaines sur le marché européen sont des tarifs douaniers élevés, des normes phytosanitaires strictes et la concurrence des pays à faible coût (Amérique centrale et du Sud).
Enfin, pour les pays en général, les facteurs qui ont affecté le marché de la banane en général en 2022 sont les pénuries de production causées par les conditions météorologiques défavorables (temps anormalement froid), les coûts plus élevés pour les engrais et les coûts de transport mondiaux élevés, mais aussi la propagation de maladies sur les plantations.
Baisse de 22% des exportations en 2020
La banane est le premier fruit commercialisé en termes de volume dans le monde. Si le secteur a connu une expansion rapide des échanges depuis 2017, l’année 2020 a marqué un coup d’arrêt à cette phase d’euphorie. L’Afrique fait partie des principales zones touchées par ce ralentissement. En 2020, les expéditions africaines de bananes vers le reste du monde ont atteint 630 000 tonnes, soit 21,8 % de moins que l’année précédente.
C’est ce qu’indique la FAO dans son rapport sur l’examen du marché mondial du fruit publié le 11 octobre 2020. Cette contreperformance s’explique essentiellement par le mauvais résultat commercial affiché par la Côte d’Ivoire, premier producteur et exportateur africain du fruit. Selon l’organisme onusien, la nation éburnéenne a vu son volume expédié se contracter de 24,4 % à 330 000 tonnes.
Globalement, la FAO indique que la situation de la filière banane africaine s’inscrit dans un contexte de flambée des coûts de production liée aux difficultés induites par la pandémie de coronavirus aussi bien sur le plan de la production que du transport. Ces différents facteurs ont plombé la compétitivité de la banane en provenance du continent et réduit son attractivité par rapport à l’offre latino-américaine.
Par exemple, le prix de vente de la tonne de bananes ivoiriennes a été de 820 dollars US en 2020 sur le marché français, soit 23 % de plus que le tarif proposé par la Colombie. Attirés par cette offre bon marché, les importateurs tricolores ont augmenté leurs achats du fruit depuis le pays sud-américain de 360 % au détriment de la filière ivoirienne dont les envois ont baissé de 14 % à 210 000 tonnes.
En dehors de la Côte d’Ivoire, le Cameroun a aussi connu des déboires sur ses principaux débouchés comme le Royaume-Uni affichant un stock en recul de 37 % à 23 000 tonnes avec un prix de 920 dollars US la tonne. Globalement, selon la FAO, les exportations mondiales de bananes ont été quasiment stables en 2020 à 21,5 millions de tonnes, une situation qui contraste avec l’expansion rapide enregistrée entre 2017 et 2019.
Pour rappel, les principaux fournisseurs mondiaux de banane sont l’Équateur, le Costa Rica et la Colombie alors que les importateurs majeurs sont l’UE, les USA et la Chine.
L’agro écologie comme réponse aux immenses défis de demain
Avec les mesures d’accompagnement de l’UE et le soutien technique du Cirad (Centre de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes), les pays africains ont saisi le tournant de l’agro écologie.
Nous ne pouvons pas relever le défi de la concurrence internationale sur les volumes mais sur la qualité,
affirme Jean-François Billot, secrétaire général d’Afruibana, l’Association qui regroupe les producteurs de bananes du Cameroun, de Côte d’Ivoire et du Ghana.
Et il précise :
En termes de pratiques culturales, nous avons une avance importante par rapport à l’Amérique latine. Cela fait déjà une décennie que nous nous sommes engagés dans la transition agro écologique.
L’agro écologie passe par un ensemble de pratiques dont l’usage de plants de couverture des sols, pour les protéger, de plants de service qui apportent l’azote nécessaire à la fertilisation des sols, des fumures minérales et organiques, mais aussi le respect de périodes de jachère et l’utilisation de pièges à phéromones pour lutter contre les insectes ravageurs. Un ensemble de mesures dont l’enjeu est de construire une filière durable, équitable et plus résistante au changement climatique.
Ainsi, actuellement le Cameroun réfléchit à la production d’engrais bio et va lancer une unité de tri des déchets pour faire du compost tout comme en Côte d’Ivoire, où des réflexions sont aussi en cours sur une association élevage-agriculture,
expliquait Joseph Owona-Kono, président d’Afruibana :
Nous devons aller vers une meilleure valorisation de ces pratiques de cultures durables, à travers des labels (Faire trade, bio, Iso 14 000 et 9 000…), mais aussi un meilleur système de reconnaissance de la part des distributeurs et des consommateurs. Nous devons travailler sur une reconnaissance des origines et des pratiques durables,
conclut-il, selon Le Point Afrique.
Bien engagée vers la transition agro écologique de sa filière banane, l’Afrique est en avance par rapport aux géants du marché. Reste à valoriser cet avantage compétitif. Le marché de la banane est en effet entré en zone de turbulence. En 2021, le prix de la caisse de bananes est passé en dessous de la barre des 10 euros, son niveau le plus bas depuis dix ans.
Dans le même temps, les répercussions économiques de la crise du Covid-19 se traduisent à travers une forte hausse des coûts de production et une désorganisation du transport maritime. À ce prix-là, les producteurs perdent de l’argent sur chaque banane vendue, s’alarmaient alors les sociétés productrices, même les plus rentables d’Amérique du Sud.
Comment les crises successives impactent les producteurs
Dans une lettre ouverte publiée récemment, Afruibana alertait sur les conséquences du conflit russo-ukrainien sur le marché européen de la banane.
Tout comme le Covid-19, ce conflit perturbe l’équilibre des marchés et affecte la production. La crise en Ukraine aggrave notre situation, à travers la hausse du prix des intrants et notamment les engrais. À cela s’ajoute la hausse du prix des carburants, du fret maritime, multiplié par 2 ou 3. Tout cela est à prendre en compte. Il nous faut beaucoup de résilience pour rester en vie,
commentait Joseph Owona-Kono à l’occasion du salon Fruit Attraction 2022 qui s’est tenu début octobre à Madrid. Sur les trois pays, la filière procure 30 000 emplois directs, 50 000 emplois indirects et fait vivre un demi-million de personnes.
Le conflit en Ukraine a pratiquement provoqué l’arrêt des approvisionnements en bananes en provenance d’Amérique latine sur les marchés russe et biélorusse et ukrainien. Cela représente 1,8 million de tonnes de bananes par an, soit 28 % de la consommation des marchés européens (les 27 plus le Royaume-Uni), qui ont été réorientés vers le Moyen-Orient, le Maghreb, mais aussi vers l’Union européenne du Sud-Est, notamment la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce, avec une remontée vers la Serbie, voire l’Ukraine, à des prix excessivement bas,
explique Jean-François Billot.
On ne peut pas techniquement qualifier ces pratiques de dumping, en revanche, cela provoque une pression des prix vers le bas,
constate-t-il.
Malgré tout, le temps du rebond ?
Cependant, depuis le début de l’année, la situation s’améliore pour les producteurs. « Le pouvoir de marché a glissé vers l’amont, tout le monde cherche de la banane. Ce qui apporte un rééquilibrage intéressant », évoque Denis Loeillet, économiste au Cirad. Les bananes dollars, originaires d’Amérique du Sud, plus compétitives en termes de prix, s’orientent davantage vers les marchés nord-américains du fait de la hausse du coût du fret et de la moindre disponibilité des bateaux, ce qui réduit la pression à la baisse sur les prix sur le marché européen. « Sur le marché du spot, on a atteint les 15,60 euros la caisse, et on évolue depuis le début de l’année entre 14 à 15 euros, sur le marché européen », explique Denis Loeillet qui tempère, dans la foulée. « Cependant, il faut savoir que les prix en Europe sont fixés contractuellement une fois par an, et portent sur la grande majorité de la production importée. » Les prix pour 2023 se discutent en ce moment. « Cette remontée des prix entre 1,5 à 2 euros de plus (pour une caisse de 18,5 kg), c’est pas mal. Cela devrait permettre de couvrir les hausses de coût de production, bien qu’on parte de loin et potentiellement une marge nette pour investir dans l’amélioration du système de production et des salaires », poursuit-il.
Du côté des producteurs africains, Jean-François Billot souligne que « ce rebond arrive avec un décalage entre la hausse des coûts et la répercussion sur les prix », tandis que Joseph Owona-Kono observe que « certaines cultures nécessitant beaucoup d’engrais comme le maïs ont été abandonnées, les coûts étant devenus insupportables. Nous sommes plus gros et nous résistons mieux, notamment grâce à des achats groupés ».
Hausse des exportations au Cameroun en 2022
Au Cameroun, la filière banane a brillé sur le marché européen sur les 9 premiers mois de l’année écoulée. Selon les données douanières de l’UE rapportées par Fruitrop, la première économie d’Afrique centrale a expédié 163 023 tonnes du fruit tropical vers le marché communautaire sur ladite période, soit 14 % de plus qu’un an plus tôt. Cette progression signe aussi la plus forte hausse d’une année sur l’autre pour une origine africaine sur ladite période, alors que son principal concurrent, à savoir la Côte d’Ivoire a vu une baisse de 5 % à 227 769 tonnes et que le Ghana a enregistré un recul encore plus important (-16 % à 50 304 tonnes). Avec cette performance, le Cameroun a permis aux exportations africaines de progresser légèrement à 441 036 tonnes entre janvier et septembre dernier contre 439 635 tonnes un an plus tôt.
Plus largement, il faut noter que les importations de bananes de l’UE ont été globalement en berne avec une baisse de près de 200 000 tonnes à 4 759 821 tonnes. De même, les réceptions de banane en provenance d’Amérique latine ont chuté en raison de problèmes climatiques et de la hausse des coûts des intrants qui ont pesé sur l’offre des pays fournisseurs.
Pour rappel, le Cameroun a exporté en 2021, 198 634 tonnes de bananes, selon les données de l’Association bananière du Cameroun (Assobacam).
La montée en puissance de la Côte d’Ivoire
L’Afrique reste une toute petite région d’exportation de bananes desserts, avec une production annuelle de 600 000 tonnes environ pour les trois pays (Côte d’Ivoire, Cameroun, Ghana) comparé à l’Amérique du Sud qui affiche une production de 16 millions de tonnes et occupe le premier rang mondial.
En revanche, compte tenu de sa proximité géographique et des avantages accordés aux pays ACP, même s’ils ont fondu, l’Afrique exporte ses bananes quasi exclusivement vers l’Europe. Parmi les gros consommateurs de bananes, l’Amérique du Nord (USA et Canada) importe 5 millions de tonnes et la zone européenne (y compris le Royaume-Uni) 6,7 millions de tonnes. Pour un ordre d’idée, les 3 pays africains représentent 9 à 10 % du marché européen.
Si le chiffre global de 600 000 tonnes par an reste relativement stable, en revanche, la Côte d’Ivoire a nettement pris l’ascendant avec une production de plus de 400 000 tonnes par an.
Ainsi les moindres performances du Cameroun depuis la crise anglophone sont compensées par la montée en puissance progressive de la Côte d’Ivoire depuis son retour à la stabilité en 2012. La banane représente environ 8 % du PIB agricole et 2 à 3 % du PIB en Côte d’Ivoire. Le pays, devenu le 4e fournisseur du marché européen, exporte aussi vers les pays frontaliers, et occupe désormais la 9e place mondiale.
Le secteur bananier est concentré autour de sept opérateurs, mais à lui seul le groupe SCB (Société d’étude et de développement de la culture bananière), filiale de la Compagnie fruitière, dispose de près de la moitié des plantations du pays. Il intègre la production mais aussi la logistique, le mûrissage et la commercialisation en aval. Il exporte à lui seul près des deux tiers de la production du pays,
détaille le Cirad dans une fiche consacrée à la banane en Côte d’Ivoire.
Environ 80 % des exportations ivoiriennes sont destinées à l’Union européenne, marché historique où son statut d’ACP lui permet de bénéficier depuis 2008 d’un droit de douane nul sans limitation de volumes. Le reste des exports est principalement orienté vers la sous-région ouest-africaine.
Les écarts de triage sont destinés principalement au marché local, qui est de plus en plus demandeur mais aussi de plus en plus exigeant. Une nouvelle mûrisserie localisée à Abidjan (Koumassi) permet d’améliorer la qualité de la banane vendue localement,
détaille la fiche.
Âpres batailles entre la banane dollar et la banane ACP
Le commerce de la banane n’a rien d’un long fleuve tranquille.
En 1993 éclate « la guerre de la banane », lorsque l’Union européenne met en place l’Organisation commune du marché de la banane (OMCB) et accorde un régime douanier préférentiel aux pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Les bananes des ACP sont alors exportées sur le marché européen sans droits de douane, ni contrainte de volume, contrairement à leurs concurrentes, les bananes dollars, en provenance des pays d’Amérique latine et centrale.
Commence alors l’un des plus longs conflits commerciaux entre l’Union européenne et les pays d’Amérique du Sud, soutenus par les États-Unis. Il prend fin en 2009, avec un accord signé devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet accord va bouleverser l’accès des pays ACP au marché européen, avec la perte progressive de leur avantage préférentiel et la baisse graduelle des droits de douane imposés à la banane dollar.
Ainsi, les bananes des pays d’Amérique du Sud, déjà majoritaires en Europe, vont gagner des parts de marché à la faveur de prix très compétitifs liés à la taille de leurs exploitations et à une forte productivité. Les droits de douane à l’entrée sur le marché européen ont fondu de près de 200 euros la tonne à 75 euros la tonne par rapport à la banane ACP.
Pour soutenir les filières bananes des pays ACP face à ces bouleversements, l’UE a lancé les Mesures d’accompagnement de la banane (MAB), mises en œuvre à partir de 2013. La Côte d’Ivoire a par exemple bénéficié d’un financement d’environ 45 millions d’euros sur sept ans et demi pour améliorer la compétitivité de sa filière, notamment par le renforcement de l’appareil de production, mais aussi l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et la diversification des débouchés.
Si des progrès ont été accomplis grâce aux mesures d’accompagnement européennes, les producteurs africains continuent à présenter un écart de compétitivité avec leurs concurrents latino-américains, notamment en raison de la taille et de la productivité exceptionnelle des exploitations d’outre-Atlantique,
commente Afruibana dans son livre blanc, « La banane au cœur du développement rural africain ».