Les bonnes perspectives dans l’industrie de la volaille nous viennent d’Afrique du Sud. En 2023, RCL Foods, l’un des leaders de l’agroalimentaire de ce pays de l’Afrique australe, envisage d’investir 620 millions de rands soit 34 millions de dollars pour rénover et réhabiliter son usine de transformation de volailles (Rainbow Chicken Processing Plant) ainsi que son couvoir basé à Hammarsdale dans la ville de Durban.
Des responsables du géant de l’agroalimentaire ont fait cette annonce le 13 avril dernier au Sandton Convention Centre à Johannesburg lors de la 5ème Conférence sur l’investissement en Afrique du Sud. RCL Foods compte parmi les trois leaders du marché de l’industrie de viande de poulet en Afrique du Sud, aux côtés d’autres mastodontes tels que Country Bird Holdings et Astral Food.
Grâce à ces nouveaux investissements, son usine de volaille devrait accroître son potentiel d’exploitation et augmenter sa capacité de 60% sur une période d’un an, à en croire la direction de l’entreprise citée par l’agence Ecofin.
Une partie du financement sera fournie par les éleveurs affiliés à l’entreprise qui souhaitent augmenter le volume de leurs livraisons de volaille à l’usine. Pour le moment, la capacité moyenne annuelle d’abattage de produits de volaille à RCL Foods, qui est premier producteur africain de viande de volaille, est estimée à plus de 250 millions de têtes de poulets de chair.
Le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise au cours du premier semestre de l’exercice 2023 est de 20,2 milliards de rands (1,1 milliard de dollars US) soit une croissance de 17,6%. Les experts prévoient pour cette année une production de viande de volaille en Afrique du Sud estimée à 1,6 million de tonnes, en hausse comparativement aux prévisions de 2022 qui étaient de 1,5 million de tonnes, d’après les prévisions contenues dans un rapport du Département américain de l’agriculture (USDA).
L’Association sud-africaine de la volaille (SAPA dans son acronyme anglais) joue un rôle de premier plan dans le développement de ce secteur d’activité en Afrique du Sud. Depuis 2019, le groupement a injecté 1,2 milliard de rands dans l’extension de ses installations commerciales, permettant ainsi d’augmenter la production hebdomadaire de 1 million de poulets.
Grâce à ces fonds et à ceux annoncés par RCL Foods, la nation arc-en-ciel pourrait ainsi enregistrer en 2023 une croissance de 2% de sa production de viande de poulet, marquant dès lors la rupture avec la stagnation connue au cours des deux années précédentes. La résurgence de la grippe aviaire avait en effet conduit à l’abattage de 4 millions d’oiseaux depuis avril 2021 au pays de Nelson Mandela.
La maîtrise de ce facteur et le retour progressif à la normale a favorisé de nouveaux investissements dans le secteur avicole, qui est le premier contributeur au PIB du secteur agricole. C’est ce qui justifie l’embellie observée.
L’Afrique du Sud contrôle une grande part du marché africain des aliments pour volaille et est de loin leader dans la production de volaille. L’industrie de la volaille sud-africaine représente 19,8% de la production agricole totale et 40% du total des produits animaux. Elle est valorisée à près de 3 milliards de dollars. Cependant, huit des plus gros producteurs commerciaux concentrent à seuls 70 % de l’offre de volaille et le secteur de la volaille fournit 20 % de la valeur de la production agricole soit 15 milliards de dollars. L’Egypte, le Maroc, le Nigeria et l’Algérie suivent les pas de la nation arc-en-ciel.
Egypte : la crise de fourrage entraine la baisse de la production locale de ce grand producteur et oblige le gouvernement à importer 100 000 tonnes de poulet du Brésil en février 2023
En Egypte aussi, la volaille constitue l’une des principales industries du secteur agricole et contribue à 10% de la valeur ajoutée agricole. Des études affirment que la consommation de volaille par habitant est d’environ 15 kg dans ce pays dont la production annuelle, fin 2021, se situait à 1,4 milliard de tête, soit 4 millions de têtes de poulet par jour, selon le ministre de l’Agriculture Al Sayed El-Qusseir, qui se félicitait de ce bon remarquable de son pays.
Un an plus tôt, la compagnie agroalimentaire Cairo 3A annonçait vouloir investir sur trois années 7 milliards de Livres Egyptiennes (450 millions de dollars US) dans la construction d’une unité de production de volaille intégrée verticalement dans l’oasis d’Al-Bahariya. Ce projet va permettre le déploiement de la compagnie sur l’ensemble des maillons de la chaîne notamment les écloseries et la fabrication d’aliments.
Le déploiement connaîtra deux phases : une première enveloppe de 2,5 milliards de livres pour produire 60 millions de poulets de chair par an, et la seconde phase une enveloppe d’un montant de 4,5 milliards de livres devant permettre de porter à terme, le volume total de poulets chair à 200 millions par an.
Seulement, le pays a fait face, dès octobre 2022, à une grave pénurie de dollars, consécutive à la dévaluation et à l’inflation. La situation a conduit la Banque centrale de ce pays à rationaliser les importations, causant ainsi une baisse des fourrages et de nombreuses pertes chez des producteurs de poulet, obligés, pour certains, d’anticiper l’abattage de leurs poussins quand ils ne les offraient pas sous la forme de dons.
Or, selon le vice-président de l’Union des éleveurs de poulets, Tharwat Al-Zeini, cité par l’AFP, « L’Egypte ne produit que 40% de ses besoins en fourrage ; nous dépendons lourdement de l’importation », ajoutait-il.
Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (Capmas), les prix des viandes et du poulet ont augmenté de 20,6% rien qu’en janvier 2023. Le ministre égyptien de l’Approvisionnement, Ali Al-Mosselhi expliquait qu’en raison de ces facteurs, la production locale de volaille a chuté de 40 % au cours de la « période récente ».
Pour remédier à l’inflation et accroitre l’offre sur le marché du poulet, le gouvernement égyptien, en coopération avec la Banque centrale, a dû importer 100 000 tonnes de poulet congelé en provenance du Brésil, augmentant ainsi l’offre et faisant chuter les prix.
Avant la crise, l’industrie de la volaille avait atteint l’autosuffisance, couvrant 95% de la consommation,
indiquait il y a quelques mois le vice-président de l’Union des éleveurs de poulets, Tharwat Al-Zeini, cité par l’AFP. Il assurait dans le même temps que la production allait bientôt retrouver les niveaux normaux annuels de 1,5 million de tonnes, après le déficit comblé grâce aux importations. Par ailleurs, du 26 janvier au 9 février, les autorités ont mobilisé 96 millions de dollars pour l’achat de 199 000 tonnes de maïs et de soja, ingrédients nécessaires à la production de la fourrure.
Une offre domestique incapable de satisfaire la demande (3,6 millions de tonnes en 2020) : l’Afrique subsaharienne, toujours dépendante des importations, a acheté 1,2 million de poulets en 2011
Si la demande en produits de volaille est de plus en plus croissante en Afrique, au regard de la croissance démographique et de l’accélération de l’urbanisation, force est de constater que la production domestique du continent peine à satisfaire le marché.
En 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, la production africaine de viande de volaille avoisinait seulement 3,6 millions de tonnes. Plus du tiers a été assurée par l’Afrique du Sud, où le marché rapporte 3 milliards de dollar, selon Rabonbank.
Cette faible production s’explique aussi bien par le système traditionnel africain quasi rudimentaire, notamment l’absence d’une véritable industrialisation, que par des goulots d’étranglement tels que le coût élevé de l’alimentation animale notamment le maïs jaune sur les marchés locaux. Ils représentent 60 à 70% des coûts totaux de production.
Un sac de maïs jaune de 50 kg coûte localement 57 dollars, contre 15 dollars pour le sac importé, selon l’USDA. Les experts pointent également du doigt le problème d’approvisionnement électrique et de maitrise sanitaire des produits et de la chaine de froid.
Confrontés aux difficultés financières, les producteurs africains investissent que très peu dans ces chaines de valeur, y compris dans les services vétérinaires. D’où leur faible compétitivité face aux productions industrielles importée.
Dans un tel contexte, les producteurs africains ne peuvent pas faire face à la concurrence des mastodontes occidentaux plus structurés. Ce qui justifie la faillite précoce des microentreprises locales, comme l’explique Alhoussseinie Diabaté, chercheur à la Faculté de droit privé de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako, interviewé par RFI :
Une étude que nous avons menée en 2017 sur le marché de la volaille au Mali montre que les jeunes entrepreneurs qui se lancent sur ce marché ferment boutique au bout d’un an d’opérations, en raison de la concurrence internationale. Concrètement pour rentabiliser, un entrepreneur qui sort sa première production doit écouler le kilogramme de poulet de chair à 1 250 FCFA. Au même moment, les poulets de chair importés sont commercialisés à 1200 FCFA par kilogramme.
L’étude intitulée « Croissance agricole en Afrique de l’Ouest (AGWA) », publiée en 2015 indique quant à elle que le système artisanal fournit 70% de la volaille locale consommée dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest.
Cette production semi-commerciale est destinée à la consommation et ce n’est que l’excédent qui est écoulé sur le marché. L’augmentation de l’offre est généralement déterminée par les saisons (Noël et Nouvel an)
La nécessité d’importer pour satisfaire la consommation locale
En 2020, la valeur de la viande de volaille consommée sur le continent est estimée à 15 milliards de dollars et le marché de la volaille capte 15% de la croissance mondiale de l’industrie, selon un rapport publié en 2017 par le groupe bancaire néerlandais Rabobank.
Certes, la consommation de volaille au sud du Sahara a progressé plus rapidement que celle de toutes les autres viandes. Mais le volume par habitant demeure faible (2,3 kg par an contre une moyenne mondiale estimé à 14 kg. On estima par exemple à 0,5 kg la quantité de protéine issue de poulet consommée par un Ethiopien, contre 2 kg en Côte d’Ivoire, et 40 kg par an en Afrique du Sud.
Dans le contexte de la mondialisation, cette hausse de la demande, couplée aux lacunes de l’industrie de production locale, font les bonnes affaires des autres régions du monde.
Ainsi, le continent qui n’a pas d’autre choix, pour le moment, que d’importer pour satisfaire ses consommateurs, est demeuré un débouché de choix pour les régions exportatrices, notamment l’Europe et l’Amérique, dont les marchés intérieurs connaissent de plus en plus la saturation.
L’explosion des importations qui en découle suit la même courbe depuis les années 2000 : de 250 000 tonnes en 2000 à environ 1,2 million de tonnes en 2011, selon le Département américain de l’Agriculture (USDA). En 2014, l’Afrique subsaharienne était le 3ème plus grand importateur de la volaille américaine, selon l’USDA.
En 2020, les importations étrangères (Brésil, USA et Union européenne) alimentent 80% du marché du continent. En 2018, l’Angola a consacré jusqu’à 184 millions de dollars pour les achats, devenu le 5ème plus grand importateur de la volaille américaine.
Le Brésil domine le marché sud-africain avec 61,5 % des importations en 2018. Ces données sont rapportées par l’Association sud-africaine de la volaille (SAPA). En 2021, l’Afrique du Sud a absorbé plus de 280 000 tonnes de viande de poulet en provenance du Brésil soit environ 70 % du total de ses achats sur le marché international selon les données de Trade Data Monitor (TDM).
Quid des exportations de la volaille de l’UE vers l’Afrique ? Elles ont évolué de 27% en 2003 pour plafonner à 50% en 2020, d’après nos confrères de RFI.
La situation n’est pas près de revenir à la normale. Selon les projections de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Fonds mondial pour l’alimentation (FAO), plus de la moitié de la viande de volaille consommée en Afrique subsaharienne, d’ici 2025, sera importée.
Des mesures pour éviter limiter l’impact des importations sur le marché africain
Face à ces goulots d’étranglement, de nombreux pays ont adopté des mesures pour relancer la filière avicole locale. En août 2023, l’administration fiscale sud-africaine (SARS) a réinstauré, pour une durée de 4 ans supplémentaires, des droits antidumping sur la volaille non désossée importée de cinq pays : l’Espagne, le Brésil, la Pologne, l’Irlande et le Danemark.
Cette mesure s’appliquait depuis décembre 2021, mais Pretoria l’avait suspendue en août 2022 pour une durée de 12 mois pour permettre aux consommateurs au faible pouvoir d’achat de se procurer le poulet importé à un prix abordable. La suspension desdits droits avait préjudicié aux producteurs locaux.
Quatre autres pays étaient déjà frappés par des droits antidumping sur la volaille, notamment les USA (62 %), l’Allemagne (73,3 %), les Pays-Bas (22,81 %) et le Royaume-Uni (30,9 %). L’Afrique du Sud consomme annuellement 1,9 million de tonnes de viande de poulet dont 80 % est produit localement.
L’annonce intervient à un moment critique parce que l’industrie fait face à plusieurs vents contraires comme les délestages. Si les droits de douane n’étaient pas rétablis, cela aurait été dévastateur. L’Afrique du Sud est l’un des producteurs les plus compétitifs de volaille sur la planète, mais personne ne peut faire la concurrence à des marchandises qui font l’objet de dumping,
justifiait récemment le directeur général de l’Association sud-africaine de la volaille (SAPA), Isaak Breitenbach.
A la suite de la grippe aviaire de 2005-2006, le Sénégal et le Burkina Faso ont interdit les importations pour éviter les contaminations. Des contrôles phytosanitaires ont été préconisés pour protéger les producteurs nationaux et familiaux semi-commerciaux.
Pour atténuer les effets des subventions à l’exportation accordées aux acteurs de la filière dans les pays d’origine, la Côte d’Ivoire, elle, impose depuis 2009 un prélèvement compensatoire de 1000 FCFA sur chaque kilogramme de volaille importé.
Le Nigeria interdit des importations de volailles congelées depuis 2002. Par ailleurs, en Afrique de l’Ouest, le droit de douane imposé sur les importations de volailles congelées a été revu à la hausse, passant de 25% à 35%.
De nombreux experts estiment que le continent n’a point d’autre choix que de restructurer sa filière avicole et notamment celle de la volaille, au regard des challenges à venir notamment la croissance de l’offre sur le continent.