En Afrique, 71% des écrans de cinéma se trouvent en Afrique du Sud, au Nigeria, en Ethiopie, en Egypte et au Maroc. L’information est fournie par le rapport publié en 2021 par l’Unesco sur le cinéma africain. Selon le rapport, l’Afrique compte au total 1653 salles de cinéma. 1184 parmi elles se retrouvent dans 5 pays du continent dont 663 en Afrique du Sud, 237 au Nigeria, 127 en Ethiopie, 80 en Egypte et 77 au Maroc.
Autrement dit, les autres pays africains se partagent 469 écrans. Selon l’Unesco, l’Afrique est de loin le « continent le plus mal desservi » en matière de distribution cinématographique, avec seulement un écran pour 787 402 personnes.
Seuls 19 pays africains sur 54 (35 %) offrent un soutien financier quelconque aux cinéastes, le plus souvent sous la forme de petites subventions ou d’aides,
ajoute le rapport de l’Unesco. Pourtant, la distribution est le principal moyen de générer des revenus pour un film. L’Afrique du Sud et le Nigeria, qui sont les principales places fortes du cinéma africain, sont également les pays abritant le plus d’écrans.
Avoir un circuit de distribution développé dans un pays permet aux maisons de production de générer de l’argent en faisant passer les films dans des salles. Lorsque le circuit de distribution est réduit, les possibilités pour un film de générer des revenus dans un pays sont réduites. Cela décourage parfois les velléités de financement des institutions financières qui souhaitent investir dans le cinéma mais craignent pour le retour sur investissement.
Augmenter le nombre d’écrans disponibles sur le continent permettrait de mieux financer la production dans d’autres pays et de dynamiser le cinéma africain dans sa globalité. Par ailleurs, l’augmentation du nombre d’écrans à l’échelle continentale offrirait aux films africains plus de revenus. Par exemple les Etats-Unis, qui affichent 44 111 écrans de cinéma pour environ 331 millions d’habitants, ont un écran pour 7500 personnes et affichent une industrie du 7e art florissante.
L’Afrique et ses 1,216 milliard d’habitants se contente de 1653 écrans, soit 1 écran pour 787 402 habitants. Cela limite la capacité des films africains à générer des revenus. Avec l’explosion démographique annoncée sur le continent à l’horizon 2050, la construction de salles de cinéma doit faire partie des stratégies prioritaires pour améliorer les revenus générés par son 7e art.
La renaissance des salles de cinéma en Afrique
Les salles de cinéma avaient pour la plupart disparu d’Afrique subsaharienne… Aujourd’hui, elles renaissent pour la plus grande joie des cinéphiles africains, seulement elles prennent la forme de complexes modernes, qui font la part belle aux superproductions d’Hollywood, au détriment… des œuvres africaines, constate l’Unesco.
Sur le continent africain, elles sont nombreuses les salles de cinéma qui ont fermé leurs portes à partir des années 1980, pour devenir des garages automobiles, des supermarchés, des restaurants, des églises… Des centaines de cinéma ont ainsi fermé leurs portes : seuls subsistaient quelques écrans privés et les salles d’organismes culturels internationaux, comme les instituts français.
Mais désormais dans de nombreux pays, des salles modernes rouvrent : une demi-douzaine à Luanda, à Kinshasa avec le CineKin, à N’Djamena avec le Normandie rénové en 2011. A Bobo Dioulasso (Burkina Faso) le Guimbi devait renaître en un véritable centre culturel.
A Dakar, le complexe privé de trois salles Ousmane Sembène (du nom du grand cinéaste mort en 2007) devait également ouvrir, et l’Etat sénégalais finance « quatre projets de rénovation et de numérisation de salles » dans le pays, selon Hugues Diaz, directeur de la Cinématographie au ministère de la Culture.
Des géants du divertissement à la conquête du marché africain
Appliquant la même recette, Canal Olympia s’est lancé à la conquête de l’Afrique de l’Ouest et centrale. Depuis 2016, cette filiale du groupe mondial de divertissement Vivendi a ouvert six salles au Cameroun, au Sénégal, au Niger, au Burkina Faso et en Guinée. Trois autres en construction au Gabon et au Congo, et le groupe s’est fixé l’objectif d’un réseau de plusieurs dizaines de salles polyvalentes.
Il y a tout un travail pour réhabituer les gens à venir au cinéma, notamment les jeunes qui n’y sont jamais allés.
Mais « les premiers résultats sont encourageants », déclare Corinne Bach, PDG de Canal Olympia. Canal Olympia mise sur une « programmation mixte » de films américains, africains et européens, notamment des productions de Canal+, une autre filiale du groupe. Concerts, spectacles et locations aux entreprises sont aussi proposés pour rentabiliser le réseau.
Le groupe Vivendi peut se frotter les mains. Dix-huit mois après l’inauguration en janvier 2017 à Conakry en Guinée, de la première salle de cinéma du réseau CanalOlympia en Afrique subsaharienne, les résultats sont bien à la hauteur des attentes et des prévisions.
« Et, Ils sont même plus encourageants », se réjouit, chiffres à l’appui, un porte-parole du réseau qui contrôle maintenant huit salles de cinéma dans 7 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale dont le Sénégal, le Burkina Faso et le Cameroun. En 2017, les salles de cinéma du réseau CanalOlympia ont comptabilisé plus de 90 000 entrées. Boosté en début d’année par le blockbuster « Black Panther » des studios Marvel, ce chiffre devait plus que tripler en 2018.
L’évolution de la fréquentation est exponentielle puisqu’au 1er trimestre 2018, nous battions déjà largement ce premier bilan,
affirmait alors le porte-parole qui précise que les territoires les plus porteurs sont le Sénégal, le Cameroun et le Bénin. Avec des prix low cost (1 500 FCFA, 1 000 FCFA pour les enfants et 5 000 FCFA pour les séances spéciales), l’entrée des salles reste à la portée d’un grand nombre.
Vivendi n’est pas le seul géant du divertissement à avoir jeté son dévolu sur le continent. En Côte d’Ivoire par exemple, le réseau Majestic est déjà présent depuis 2015. Pathé-Gaumont, l’un des leaders dans l’exploitation des salles en France (750 salles) envisageait aussi entamer une aventure africaine en commençant par le Maghreb notamment la Tunisie. Il devait ouvrir dès la fin du second semestre 2018, un multiplex de huit écrans à Tunis.
« Alors qu’ils ont beaucoup de moyens, le groupe français va commencer tout doucement par l’Afrique du Nord et ensuite, ils vont faire Dakar, Abidjan. Ils vont tester des multiplex de taille moyenne pour voir ce que cela donne », expliquait Claude Forest, professeur de sociologie et économie du cinéma à l’université de Strasbourg.
Motivés par l’émergence d’une classe moyenne toujours plus consommatrice de contenus, les groupes français mènent une grande offensive sur le marché cinématographique africain et une course pour le contrôle des salles de cinéma.
Ils ont tous fait la même analyse. Il y a plus de jeunes, le pouvoir d’achat s’élève.Les conditions semblent donc réunies économiquement et sociologiquement pour qu’on puisse avoir à nouveau des spectacles cinématographiques,
explique Claude Forest aussi co-auteur du livre Regarder des films en Afrique, sorti en 2017, aux éditions Presses Universitaires du Septentrion.
Conforté par ses bons chiffres, le réseau CanalOlympia prévoit même s’agrandir avec la construction et la rénovation d’une vingtaine de salles. Pourtant, il y a encore cinq ans, on était bien loin d’imaginer un renouveau du cinéma dans les capitales africaines. Une grande partie des salles avaient fermé à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Une industrie cinématographique victime du piratage
Le piratage est un autre problème majeur pour cette industrie et malgré l’absence de données précises, le rapport de l’Unesco estime qu’il fait perdre de 50% à plus de 75 % de revenus à des industries du film et de l’audiovisuel. Le rapport souligne également que seulement 19 pays africains sur 54 (soit 34 %) offrent un soutien financier aux réalisateurs.
L’étude identifie également des difficultés qui affectent cette industrie de façon récurrente, notamment la liberté d’expression : dans 47 pays, les professionnels de ce secteur font état de restrictions sur les questions qu’ils peuvent traiter dans leurs créations. L’enseignement, la formation et l’accès à internet ont également une incidence sur les industries cinématographique et audiovisuelle africaines.
Mme Azoulay, directrice générale de l’Unesco appelle à renforcer la coopération internationale pour permettre aux cinéastes de tous les pays de s’exprimer et de développer des industries culturelles et créatives viables et compétitives.
Un potentiel encore inexploité
Selon l’Unesco qui a publié la première cartographie complète des industries cinématographiques et audiovisuelles de l’Afrique en 2021, année internationale de l’économie créative pour le développement durable des Nations Unies, ces industries représentent un potentiel de création de plus de 20 millions d’emplois et de contribution de 20 milliards de dollars au PIB combiné du continent.
Selon le rapport, ce potentiel reste largement inexploité malgré la croissance significative de la production sur le continent, le Nigeria, par exemple, produisant quelque 2 500 films par an. De nombreux aspects des industries cinématographiques et audiovisuelles africaines restent informels, renseigne l’Unesco, puisque seuls 44 % des pays disposent d’une commission cinématographique et 55 % d’une politique cinématographique.
On estime que le piratage détourne de 50 à plus de 75 % des revenus des industries cinématographiques et audiovisuelles. Parmi les autres défis à relever figurent l’éducation et la formation, la connectivité à l’Internet, l’égalité des genres, la liberté d’expression et la préservation des archives.
Le cinéma africain : une industrie en plein essor
La généralisation des nouvelles technologies, le coût abordable des équipements numériques et la montée en puissance des plateformes en ligne permettent aujourd’hui à une nouvelle génération de cinéastes africains d’émerger.
Paru le 5 octobre 2021, le rapport de l’Unesco intitulé L’industrie du film en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance, reflète la vitalité du cinéma africain grâce aux technologies numériques. Avec ses quelque 2 500 films par an, « Nollywood » ‒ surnom donné à l’industrie cinématographique nigériane ‒ est emblématique de cette croissance.
Une industrie locale de production et de distribution a vu le jour, générant son propre modèle économique. Mais, c’est la révolution numérique, entamée il y a une vingtaine d’années et accélérée par la pandémie de Covid-19, qui a vraiment changé la donne. Pourtant, le potentiel économique des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel reste largement inexploité sur la quasi-totalité du continent.
Cette industrie reste en effet structurellement sous-financée, sous-développée et sous-évaluée. Selon la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), elle ne génère que 5 milliards de dollars de recettes annuelles, sur un chiffre d’affaires potentiel estimé à 20 milliards.
Des défis persistent également dans des domaines comme l’égalité des sexes et la liberté d’expression. Selon l’étude de l’Unesco, 87 % évoquent des contraintes explicites ou une autocensure sur ce qui peut être montré ou abordé à l’écran.
Quid des films africains?
Dans la plupart des pays africains cependant, ce sont les blockbusters américains qui tiennent le haut de l’affiche, rentabilité oblige, et “faute de soutien des pouvoirs publics”, note Jean-Marc Bejani.
La réalisatrice franco-gabonaise Samatha Biffot regrette le manque de films africains dans les salles: « Il faut que les salles projettent nos œuvres, parce que la plupart des films africains ne sont visibles qu’en festival ou à l’étranger ».
Pour Ardiouma Soma, le délégué général du Fespaco, le festival de cinéma panafricain de Ouagadougou, les professionnels du cinéma et les gouvernements doivent « travailler en synergie » pour « développer la production africaine » et « proposer des œuvres, aussi bien du cinéma d’auteur que grand public ». « Le public africain aime les films africains, il y a une opportunité à saisir avec les nouvelles salles », conclut-il.