Débutées le 30 novembre dernier à Dubaï, la capitale des Emirats arabes unis, les assises de la 28ème session de la Conférence des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) se sont achevées au matin du 13 décembre, après de longues tractations dues aux difficultés de concilier des positions diamétralement opposées. L’accord finalement rendu public par le sultan émirati, Al-Jaber, qui n’était autre que l’hôte et le président de cette 28ème session de la COP, appelle à
transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques.
En d’autres termes, les parties sont invitées à abandonner les énergies fossiles responsables à 80% du réchauffement de la planète. Et à accélérer conséquemment la production des énergies vertes, moins polluantes. C’est la première fois depuis le début de la COP, en 1992 à Rio, qu’un accord final mentionne le nom des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon). Ce qui explique l’enthousiasme suscité de part et d’autre. A commencer par l’hôte de ces négociations, le sultan Al-Jaber, qui a évoqué une décision « historique pour accélérer l’action climatique ». La France par le biais de sa ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a salué « une victoire du multilatéralisme et de la diplomatie climatique ».
Pour la première fois en 30 ans, nous pourrions maintenant approcher le début de la fin des énergies fossiles,
a salué la commissaire européen chargé du Climat, Wopke Hoekstra. Si l’alliance des petits États insulaires (Aosis) a, quant à elle, salué une « amélioration », elle n’a pas dissimulé ses « inquiétudes » quant à une réelle volonté de la part des pays producteurs. Cette organisation de la société civile était en première ligne des réclamations des mesures fortes contre les énergies fossiles. Selon des confrères qui rapportent la « décision historique », même l’émissaire chinois pour le climat, Xie Zhenhua, a eu le sourire aux lèvres, les deux pouces levés, à son arrivée dans la salle pour la clôture de la grand-messe climatique.
Manœuvres et discours ambigu des puissances industrielles productrices de pétrole
Pourtant, la quête du consensus n’a pas été aisée. Les divergences de vue ont été observées dès la fin de la première semaine des négociations. Entre les doléances et plaidoyers des défenseurs de la « justice climatique », d’une part, et, d’autre part, les intérêts des pays producteurs de pétrole, au premier rang desquels l’Arabie Saoudite, qui détient la palme de la première production mondiale en termes de volume de barils et de premier exportateur de l’or noir, il fallait trouver le juste milieu : en l’occurrence les mots justes pour concilier ces intérêts divergents.
Selon plusieurs confrères occidentaux présents à Dubaï, le chef de file de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) a manœuvré en coulisse dans le campus de l’Expo City, décoré d’arbres et de feuillages, où le sultan émirati accueillait ses hôtes venus de tous les continents : environ 70 000 délégués, négociateurs et participants confondus.
Objectif inavoué de la monarchie du Golfe : s’attacher la sympathie des pays en développement en montrant qu’une sortie des énergies combustibles les desservirait et, ce faisant, empêcher un accord final qui soit favorable à la sortie des énergies fossiles notamment le pétrole, première source de recettes budgétaires de ce pays des pétrodollars. Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a travaillé en coulisse avec les autres puissances pétrolières du Golfe (Irak, Koweit) en vue d’obtenir l’adhésion des 191 autres pays et de l’Union européenne sur leur ligne de conduite. De nombreuses délégations ont accusé le pays du prince Salman de placer ainsi ses propres intérêts au-dessus de ceux de la planète.
Comment l’Arabie Saoudite suscite le besoin de consommation du pétrole en Afrique
Une enquête publiée début décembre par le Centre d’études pour le climat (CCR), révèle les manœuvres subtiles de l’Arabie Saoudite pour stimuler artificiellement la demande d’hydrocarbures et capter ces nouveaux marchés sur le continent africain. Pour ce faire, la monarchie du Golfe a mis en place depuis 2020, un programme de durabilité de la demande (OSP) soutenu par le Fonds d’investissement public saoudien et par Saoudi Aramco, première compagnie pétrolière au monde, ou encore par Sabic, géant de la pétrochimie.
Sous le prétexte de financer des projets de développement comme des infrastructures routières ou aéroportuaires, l’Arabie Saoudite a signé un protocole d’accord avec le Sénégal, le Tchad, le Rwanda, l’Ethiopie, et le Nigéria. Au total, ce sont une quarantaine de projets en Afrique qui ont été identifiés dans le cadre de l’OSP, dont l’objectif caché est de favoriser la consommation des produits pétroliers, apprend-on.
En 2023, 16 entreprises saoudiennes, dont Aramco ont octroyé au Kenya une enveloppe de 14 millions de dollars dont une partie devrait financer des « projets durables », selon le président William Ruto. Le royaume envisagerait de pousser son partenariat plus loin en faisant fabriquer par un constructeur automobile, des voitures à moindre coût destinés aux pays africains. Le pays hôte de la COP28 n’est pas épargné par ce feu de critiques. Au-delà de la bonne volonté affichée dès l’ouverture des travaux, le sultan al-Jaber a essuyé de vives critiques consécutives à une vidéo dans laquelle il affirmait qu’
aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5°C
C’est le seuil de pollution fixé depuis la COP de 2015 à Paris. Le sultan émirati s’est vite ravisé en évoquant l’urgence « d’accélérer la substitution à la production de charbon, de pétrole et de gaz ».
La science nous dit qu’il nous reste environ six ans avant d’épuiser la capacité de la planète à faire face à nos émissions de gaz à effet de serre, avant de dépasser la limite de 1,5 degré Celsius,
a-t-il déclaré. Une allusion non voilée à l’un des objectifs clés de l’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015
Dépendante à 60% du charbon pour son électrification, la Chine ne sera pas prête
Le deuxième pays qu’il fallait ménager est à l’évidence la Chine. Durant la première semaine des négociations, l’émissaire de l’Empire du Milieu s’est attelé à convaincre les autres parties de l’inopportunité d’une sortie des énergies combustibles. Pourtant, au terme d’une rencontre avec les Etats-Unis, en novembre, ces deux pays évoquaient la nécessité d’un développement rapide des énergies renouvelables afin « d’accélérer la substitution à la production de charbon, de pétrole et de gaz ». La Chine a fait volte-face en demandant qu’il soit laissé aux pays le temps d’aller à leur rythme. Elle prévoit le pic de ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 et la neutralité carbone en 2060. Le pays dépend à 60% du charbon pour son approvisionnement en électricité. Le pays africain qui a un destin équivalent est l’Afrique du Sud.
Tout ce charbon et ce pétrole, c’est aussi parce que nous produisons beaucoup de produits pour les pays développés et le monde entier. Ça n’est pas que pour les Chinois, mais aussi pour le marché américain, européen et japonais. Et nos émissions de CO2 servent à couvrir les besoins de tous,
a expliqué le climatologue Wenjie Dong.
Un premier accord vivement critiqué et rejeté
Ces discours ambigus montrent que ce n’est que du bout des lèvres que nombre de puissances industrielles allaient vers la conclusion du texte consensuel. De quoi susciter la vive réaction du Secrétaire exécutif de la CCNUCC, qui a dû plaider en faveur d’une « action audacieuse, maintenant ».
Si nous ne signalons pas le déclin final de l’ère des combustibles fossiles telle que nous la connaissons, nous nous félicitons de notre propre déclin final. Et nous choisissons de payer avec la vie des gens. Si cette transition n’est pas juste, nous n’effectuerons pas de transition du tout. Cela signifie la justice au sein des pays et entre eux,
a déclaré Simon Stiell. Résultat des courses, le premier projet de texte lu à Dubaï, lundi 11 décembre, la veille de la date officielle clôture, a suscité un vif tollé de la part de l’Union européenne, des Etats-Unis et des pays de l’Amérique latine, mais aussi des petits pays insulaires. Le projet de texte jugé très faible sur les énergies fossiles, appelait à la
réduction à la fois de la consommation et de la production des énergies fossiles d’une manière juste, ordonnée et équitable, de façon à atteindre zéro net d’ici, avant ou autour de 2050, comme préconisé par la science.
Mais il n’a plus fait aucune mention au mot de « sortie » des énergies fossiles, ce qui était perçu comme une ligne rouge pour nombre de pays et observateurs. S’agissant du charbon, le document rejeté appelait à « réduire rapidement le charbon sans captage de carbone » ainsi qu’à des « limites sur les permis accordés pour de nouvelles centrales au charbon » sans captage de carbone. Le nucléaire, les technologies de captage et de stockage du carbone, exigées par les pays producteurs de pétrole et de gaz pour continuer à pomper des hydrocarbures,
afin d’améliorer les efforts pour substituer les énergies fossiles sans captage dans les systèmes énergétiques,
y étaient également mentionnés. En somme, le texte évoquait l’objectif de triplement des énergies renouvelables au niveau mondial et de doublement du rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030. Ce qui laissait voir l’absence d’une volonté de se démarquer des objectifs de Glasgow (2021).
200 millions de dollars promis par Dubaï et Berlin pour les pertes et préjudices
Dès la première journée de la COP28, les Emirats arabes unis ont donné du sourire aux lèvres des résidents de pays victimes en annonçant la mise à disponibilité prochaine d’un fonds pour les pertes et les préjudices. Ils ont été réclamés au fil des éditions de la COP par les pays en développement, qui sont en première ligne de front de la lutte contre le réchauffement climatique.
Les Emirats arabes unis à eux seuls, ont promis aux pays pauvres une enveloppe de 100 millions de dollars. L’Allemagne a annoncé qu’elle débloquerait le même montant. Les Etats-Unis et le Japon, quant à eux, n’ont donné aucune précision s’agissant du montant de leur cagnotte. C’est lors de la COP27 à Charm el-Cheik en Egypte que les pays développés avaient décidé de soutenir la création de ce fonds destiné à indemniser les pays vulnérables qui subissent les pertes et préjudices causés par le changement climatique.
Les « petits pas » de la décarbonation
Le Secrétaire Exécutif du CCNUCC Simon Stiell a déploré, à l’ouverture de la COP, les « petits pas » de la planète face à une crise aussi grave.
Nous faisons de petits pas et beaucoup trop lentement pour élaborer les meilleures réponses aux impacts climatiques complexes auxquels nous sommes confrontés,
a-t-il déclaré à Dubaï. Car, au-delà des promesses faites, jusqu’ici – depuis Rio 1992 –, les gestes ne suivent pas. Les 100 milliards promis annuellement aux pays pauvres depuis 2015, pour le financement climat en faveur des pays victimes de la pollution, n’ont jamais été débloqués. Ils constituent une dette remboursable. Pendant ce temps, le réchauffement de la planète avance à un rythme effréné. D’où la mise en garde sur les conséquences néfastes de ces tergiversations, justifiées la plupart du temps par la primeur des intérêts économiques :
Cela (2022) a été l’année la plus chaude jamais connue par l’humanité. Tant de records terrifiants ont été battus », a souligné, pour le déplorer, le Secrétaire Exécutif du CCNUCC. « Nous payons avec la vie et les moyens de subsistance des gens,
a-t-il ajouté. L’Afrique, et plus encore les pays insulaires subissent plus que toutes les autres régions du monde, les effets du changement climatique. C’est ce qui justifie la présence du président de l’Union des Comores à la plénière d’ouverture de la COP28 à Dubaï. Il a indiqué que les territoires insulaires à l’instar de son propre pays, enregistrent plus de préjudices, et déploré les promesses non tenues. La sècheresse, les inondations, la montée des eaux et l’érosion des côtes sont quelques manifestations du changement climatique parmi tant d’autres.