Elles sont donc de retour depuis un certain temps sur l’espace commercial camerounais, les huiles raffinées communément appelées « vrac », bon marché, mais ne respectant aucune norme en vigueur. Un phénomène qui inquiète non seulement, la santé des consommateurs, mais également, les industriels du secteur qui subissent les affres de la mévente. Cette situation préoccupe non seulement le gouvernement, mais aussi, l’interprofession, l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc).
Et, c’est le gouvernement qui, à travers le ministère du Commerce, est monté le premier au créneau en lançant une croisade contre ce phénomène. Dans une lettre adressée, le 19 septembre 2023 aux promoteurs des industries de transformation de l’huile de palme, le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, écrit que,
Dans le contexte actuel de manipulation des aliments, synonyme de mise en danger de la vie des consommateurs, des instructions fermes ont été données par la haute hiérarchie, en vue du strict respect par tous les acteurs, des règles en matière de sécurité sanitaire des aliments, de manière globale, et des textes applicables à chaque filière, de manière spécifique ; au risque pour les contrevenants de s’exposer aux mesures répressives prévues par les lois et règlements en vigueur.
En ce qui concerne spécifiquement la filière des huiles raffinées, Luc Magloire Mbarga Atangana met en garde :
Dans le cas spécifique de votre filière, se trouve particulièrement visée la question des huiles vrac, dont la commercialisation, parce que porteuse de risques graves pour la santé des consommateurs, est interdite. J’ai l’honneur d’appeler votre meilleure attention sur cette disposition et de vous inviter à bien vouloir vous y conformer, étant rappelé que les agents assermentés des différents départements ministériels et organismes intéressés seront incessamment déployés sur le terrain auxdites fins.
Egalement, l’Agence des normes et de la qualité (Anor), dans un communiqué de son directeur général, du 26 septembre 2023, portait
à l’attention des promoteurs des industries de transformation de l’huile de palme, qu’ils sont soumis au strict respect des normes homologuées dans ce secteur d’activité, notamment la norme NC 77 pour les huiles végétales portant un nom spécifique, enrichies à la vitamine A.
La filière paie un lourd tribut
Quant à l’interprofession, c’est le Secrétaire général de l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), Jacquis Kemleu Tchapgou, qui était devant la presse, le 05 octobre 2023, pour soutenir l’opération coup de poing lancée par le ministère du Commerce, interdisant la commercialisation des huiles vrac. Pour l’Asroc, le « vrac » est une vraie menace contre toute la filière. Car, selon Jacquis Kemleu Tchapgou,
depuis la non application intégrale de la réglementation en vigueur, les entreprises de la filière commencent à nouveau comme en 2015 et 2018, tant au niveau des huileries (1ère transformation) que des raffineries (2ème transformation) à peiner. Cette situation a poussé certaines d’entre elles à mettre en chômage technique des employés. Le résultat néfaste est déjà la baisse drastique des recettes pour tous et le non-paiement mensuel conséquent de l’acompte sur impôt de 2,2% du chiffre d’affaires et de la TVA. Les lourds investissements financiers réalisés en amont comme en aval à travers les banques en vue d’accroître l’offre en huiles brutes et raffinées, ont fait naître à l’égard des acteurs de la Filière en cause, d’importants engagements financiers auprès de ces institutions financières, engagements financiers que ces derniers n’arrivent plus à honorer du fait de la situation qui prévaut actuellement.
Des soupçons de connivence interne à la filière
Le mal serait donc logé à l’intérieur même de la filière. Comme le laisse entendre, sous anonymat, un fin connaisseur du secteur, dans Investir au Cameroun,
…vous avez l’huile en « vrac » qui provient des grandes raffineries elles-mêmes. Il peut s’agir du surplus de production, lorsque les cuves de stockage des raffineries sont déjà pleines. Ce surplus est alors écoulé sous forme de « vrac ». Il peut aussi s’agir d’un choix délibéré de la raffinerie industrielle d’écouler une partie de sa production sous forme de « vrac ». En effet, avec ce produit, on élimine les coûts de l’emballage et de l’étiquetage, puis la TVA, puisque cette huile n’est généralement pas déclarée, et est écoulée dans des circuits informels. Tout ceci fait de cette huile, un produit très bon marché, qui permet non seulement de faire d’importantes économies sur les coûts de production, mais aussi, d’écouler rapidement ses cargaisons pour avoir du cash. Toutes ces pratiques sont bien évidemment connues des pouvoirs publics, qui, depuis de nombreuses années, font montre de la fameuse tolérance administrative, au nom de la lutte contre la vie chère.
La réglementation foulée au pied
Pour l’Asroc, la vente des huiles végétales non traçables ou « vrac », sur le plan réglementaire, met entre parenthèse, la décision du 27 mars 2009, fixant le prix de référence pour la taxation des huiles végétales importées au Cameroun qui
vise la réduction des importations mal déclarées au regard de la structure du coût de revient des huiles végétales raffinées produites ; la protection et le développement des industries de transformation locale ; la protection et le développement des agro-industries et des plantations villageoises ; l’amélioration de la qualité des recettes douanières.
Egalement, elle viole le Règlement technique NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) relatif aux huiles végétales portant un nom spécifique, enrichies à la vitamine A, qui est la résultante de l’arrêté conjoint du 24 août 2011 rendant d’application obligatoire la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) y afférente, qui a pour objectif : la résolution d’un problème de santé publique, lié aux carences en micronutriments dont ont fait ostentation les populations du Cameroun ; la protection de l’espace commercial camerounais ; la protection des industries locales contre une concurrence déloyale des produits non conformes.