La France n’est pas un pays producteur de gomme arabique, encore appelée gomme d’acacia. Pourtant, ce pays d’Europe de l’Ouest abrite le siège de Nexira, une société classée parmi les plus importantes, sinon leader mondial dans la transformation de la gomme arabique, et détentrice de 50% de parts de marché mondial.
Le géant du négoce français partage avec la firme Alland et Robert, l’un de ses concurrents, le marché des exportations mondiales de produits dérivés de la transformation de la gomme arabique, notamment la poudre, les flocons et la poudre déshydratée. La France et l’Inde importent les 3/4 de la production mondiale de gomme brute, souvent appelée « l’or du Sahel », qu’ils transforment en poudre. Les deux pays exportent les 2/3 de produits issus de la transformation de la matière première en provenance des régions sahéliennes de l’Afrique. La France exporte les deux tiers de la gomme transformée dans son territoire.
Le textile, qui en est l’une des dérivées, est exporté à travers le monde sans aucune restriction douanière y compris au Tchad, l’un des pays de départ de la matière première avec le Soudan, le Soudan du Sud, le Nigeria, le Cameroun, le Ghana, Sénégal, Mali, l’Ethiopie, la Tanzanie et l’Egypte. Tel est le top dix des producteurs mondiaux de la gomme arabique. Selon l’expert tchadien Kemba Didah Alain, ce paradoxe s’explique par le fait que son pays et bien d’autres ne possèdent pas d’usines pour transformer la matière première en poudre de niveau 1. Pourtant, la valeur marchande de la tonne de gomme arabique brute, si celle-ci était transformée localement, serait de dix fois supérieure au prix actuel, qui est de 2500 dollars la tonne.
Un enjeu mondial pour l’industrie agroalimentaire, pharmaceutique, cosmétique et la construction
Les pays producteurs sont ainsi obligés de brader cette ressource naturelle peu connue et pourtant très sollicitée au regard de ses multiples usages et de ses applications variées. Produit issu de la sève solidifiée d’acacia, la gomme arabique est utilisée tantôt comme liant ou fixatif, tantôt comme émulsifiant dans l’industrie agroalimentaire européenne. 60 à 80% de la production mondiale est utilisée à cette fin, notamment comme ingrédient clé pour les boissons gazeuses et les bonbons, le chewing-gum et les boissons gazeuses comme le soda. La gomme est aussi utilisée dans l’industrie pharmaceutique (fabrication de médicaments) et cosmétique.
En outre, elle intervient dans l’industrie des imprimantes, d’encre, chimiques photosensibles, la pyrotechnie, et dans la construction (céramique, peinture, adhésifs). C’est dire l’importance de ce produit naturel, tel que le souligne une note diplomatique de l’ambassade française au Cameroun datée de juin 2018 et faisant le point sur la production mondiale et tchadienne de gomme arabique. Les tiges et branches d’acacia dont est extrait l’exsudat séché ne poussent que dans les régions arides de l’Afrique subsaharienne et, dans une moindre proportion, en Asie de l’Ouest et de l’Est. Les zones désertiques d’Afrique détiennent 95% de la production mondiale. Le développement de cette culture freine l’avancée du désert et ses feuilles ont la propriété de procurer l’azote au sol.
C’est une filière importante qui permet de favoriser le développement économique, social et la protection environnementale dans des régions fragilisées,
affirmait Mathieu Dondain, directeur général de Nexira.
Le Soudan, le Tchad et le Nigeria totalisent 90% de la production mondiale, estimée à 102 000 T/an en 2016
Débutée depuis le mois d’octobre dernier, la campagne de récolte de la gomme d’acacia se poursuit au Soudan, au Tchad et au Nigeria, trois principaux producteurs mondiaux détenant respectivement 66% (69% selon l’ambassade de France à Yaoundé), 13% et 8,5% de parts mondiales. Entre 2014 et 2016, le Soudan a exporté annuellement en moyenne 74 000 tonnes de gomme arabique. En 2016, la production moyenne mondiale de gomme arabique brute et semi-transformée annuellement se situait autour de 102 000 tonnes, loin des 35 000 tonnes enregistrées dans les années 1990. La gomme transformée, elle, a évolué de 17 000 T à 53 000 T au cours de la même période. Les trois principaux pays producteurs ont réalisé des recettes de l’ordre de 337 millions de dollars, dont 44% de gomme brute et semi-transformée et 56% de gomme traitée.
Le Tchad est deuxième producteur mondial de la gomme dure encore appelée « acacia Sénégal » et premier dans le classement des pays producteurs de la gomme friable plus connue sous le nom de « acacia seyal ». Cette dernière variété, bien que de moindre qualité, est produite en quantité abondante et représente entre 69% et 93% de la production totale : de 9,993 t en 2010, la production de gomme friable est passée à 42,656 t en 2017. La gomme est obtenue moyennant des incisions sur l’écorce de l’acacia, un procédé similaire à celui de l’hévéa. Cependant, les producteurs doivent attendre plusieurs semaines pour obtenir la gomme issue du séchage de l’exsudat recueilli selon le procédé décrit plus haut.
Si les récoltes se déroulent sans heurt au pays de feu le président Idriss Deby Itno, tel n’est pas le cas chez son voisin soudanais, où deux factions de l’armée se battent depuis un peu plus de cent jours pour le contrôle du territoire national et notamment de la capitale Khartoum. Or cette guerre intestine et fratricide n’est pas sans effets perturbateurs sur le marché de la précieuse ressource, à en croire des experts.
Si les sites de collecte et de séchage ne sont pas particulièrement pris pour cible par les belligérants, la principale difficulté réside dans l’acheminement de la gomme depuis les bassins de production jusqu’au Port Soudan, d’où elle est exportée vers les pays preneurs. La ville de Wad Madani, qui est aussi la capitale de l’Etat d’Al Jazirah, est située sur l’axe routier reliant Port Soudan aux zones de production du pays. Or, cet Etat tout comme celui du Nil blanc, sont l’épicentre de combats sanglants opposant les loyalistes du général-président Abdel Fattah Al Burhan aux Forces de Soutien rapide (FSR) du général Hemiti. Ces deux Etats sont finalement tombés sous le contrôle des rebelles du FSR.
L’Association internationale de promotion de la gomme est une organisation professionnelle regroupant producteurs, transformateurs et négociants de ce produit. Au début de la guerre, elle a donné des assurances quant à la disponibilité de stocks de sécurité pour approvisionner une industrie qui est demandeuse, minimisant ainsi l’impact de ces conflits sur la filière, soulignant le fait que les industriels possédaient des stocks pouvant couvrir trois à six mois. Pourtant, la réalité observée dès la cinquième semaine de guerre en est tout autre. Elle a vite révélé le malaise des acteurs de ce secteur de la production soudaine. Selon un expert du service agricole N’kalo,
exportateurs et grossistes ont réimplanté leurs activités hors de Khartoum et d’Omdurman.
La baisse des exportations soudanaises perturbe les importations mondiales et profite au Tchad
Parmi les difficultés relevées par les experts, il y a la pénurie, suivie de la flambée des prix de carburants à la pompe. Ce facteur plombe les activités de transport et d’acheminement de la récolte soudanaise. Les négociants seraient de plus en plus rares. Ceux d’entre eux qui n’ont pas quitté le Soudan, n’arrivent plus à exporter et préfèrent ne pas en acheter non plus. A cela il faut ajouter la réticence des conducteurs de camions à se rendre dans les zones de production. Dans la zone de Gedaref, frontalière de l’Ethiopie, les producteurs ont de plus en plus de la peine à trouver preneurs et préfèrent brader leur récolte. Ce qui fait peser le risque d’interruption des récoltes, qui pourrait avoir pour conséquence l’abattage des acacias et leur utilisation à d’autres fins. Il pourrait en découler un chaos environnemental sans précédent.
D’octobre 2023 au mois dernier (janvier 2024), les exportations du Soudan vers ses quatre principaux acheteurs (France, Inde, États-Unis, Allemagne), ont connu une baisse sans précédent. Elles se sont situées en-deçà des niveaux enregistrés en 2022. Non sans impact sur les importations françaises, qui ont baissé de 36% sur les dix premiers mois de l’année 2023 selon N’Kalo, qui précise que, globalement, les niveaux des exportations soudanaises se rapprochent de celles des années 2019, 2020 et 2021. Du coup, le risque tant redouté du regain de la demande et d’accroissement de la pression sur les producteurs d’autres pays (Tchad, Sénégal, Mali, etc.), est désormais réalité. Les Tchadiens par exemple s’en frottent les mains. En 2023, les exportateurs de ce pays de la Cemac ont réussi à capter des parts de marché en Inde, tandis que ceux du Mali et du Sénégal ont vendu plus de gomme arabique aux États-Unis.
Avec des recettes de 20 millions d’euros en 2016, la gomme est le troisième produit d’exportation du Tchad
La gomme arabique dure est le troisième produit d’exportation du Tchad, après le pétrole, l’élevage et le coton. La surface cultivée est d’environ 700 000 hectares. En 2015, ce produit naturel représentait 7% du Produit intérieur brut (PIB) tchadien. La filière gommifère occupe quelque 500 000 personnes, qui en tirent des sources de revenu complémentaires. Les régions productrices de gomme arabique au Tchad sont le Batha, le Sila, le Chari Baguirmi, le Hadjer-Lamis, le Guéra et le Salamat. D’autres potentiels existent dans le Kanem et l’Ouaddaï. Si le potentiel de la production tchadienne de gomme dure (kitir) est estimé 230 000 T, seules environ 5000 T sont exportées par le pays sous la forme brute. Le reste de la production est vendu à l’état semi-transformée dans des circuits informels impliquant des pays voisins. Les exportations du pays génèrent des recettes de 20 millions d’euros.
Entre 1992 et 2016, le volume des exportations du pays a plus que quintuplé. Elles sont passées de 2 451 tonnes à 13 682 tonnes, avec un pic de 17 810 tonnes enregistré en 2006. Le volume des exportations de 2016 correspond à des recettes de 20 millions d’euros. Un potentiel de production qui couvrirait deux à trois fois la production mondiale actuelle, à en croire des experts. En 2013, le pays sahélien avait exporté 30 000 tonnes soit 13% de la production mondiale. Dans les années 2000, le pays fournissait près du tiers du marché mondial. Mais la mauvaise organisation de la filière tchadienne et le manque d’équipements ne favorisent pas une optimisation du rendement, alors qu’au Nigeria, la production a été rudement affectée par plus d’une décennie de guerre contre la secte islamique Boko Haram.
Des recettes prévisionnelles mondiales de 1 054,14 millions USD en 2023
De 2 475 t en 2015, les exportations maliennes ont atteint 7 037, 25 t en 2018 pour se situer à 9000 tonnes exportées en 2019, pour atteindre le pic de 11 033 t en 2022. La production de ce pays ouest-africain a été multipliée par quatre depuis 2013. En séjour à Paris, en avril 2020 à l’occasion d’un forum, le ministre de l’Agriculture de ce pays sahélien avait tendu la main à la diaspora malienne, invitant ses compatriotes à apporter leur contribution à la culture et au développement de cette plante.
Le ministre affirmait alors que 100 000 hectares de terre étaient mis à la disposition des citoyens maliens résidant à l’étranger et souhaitant saisir l’opportunité. La production de gomme arabique au Cameroun demeure pour le moment très faible. Le pays a produit 1000 tonnes en 2010, dont 400 à 600 tonnes ont été écoulées de manière informelle auprès des acheteurs nigérians, et 300 à 400 tonnes vendues à un négociant. Un rapport de Market Biz publié en avril 2018, évaluait le marché mondial de gomme arabique à 698,49 millions de dollars au cours de la même année, et prévoyait une croissance de 7,1% sur les cinq années suivantes pour atteindre 1 054,14 millions USD en 2023.