Outre le relèvement de son capital à 163 410, 2 millions USD (100 milliards de F CFA), le Port Autonome d’Abidjan a engagé ces dernières années de grands chantiers en vue de sa modernisation. On peut énumérer, entre autres, la construction d’un second terminal à conteneurs, la poursuite des travaux de construction du terminal céréalier. Les résultats escomptés sont-ils effectifs et à la hauteur des attentes ?
Je prends la mise en exploitation du terminal céréalier. On a commencé à exploiter cette infrastructure il y a moins d’un an, en mars 2023 on a mis le premier bateau. C’est trop tôt pour faire un bilan, mais effectivement on a un gain parce qu’on arrive à recevoir des bateaux plus lourds, des bateaux de 50 000 tonnes et plus là où avant on recevait des bateaux de 20 000 – 30 000 tonnes. Donc c’est un gain en termes d’économie d’échelle pour le port d’Abidjan et on ne doute même pas de l’impact positif que cette infrastructure-là, que ce terminal spécialisé en céréales va apporter au dynamisme du port. Et n’oublions pas qu’avec ce terminal-là, Abidjan devient une plateforme forte pour tout ce qui est gestion des céréales, un terminal pour tout ce qui est nourriture. Donc c’est vraiment dans une vision de perspective que le directeur général du Port Autonome d’Abidjan s’est lancé dans ces travaux-là.
Outre le terminal céréalier, nous avons le deuxième terminal à conteneurs qui va nous faire passer de 1 million de TU à 2,5 millions. Le canal a été redimensionné, agrandi et approfondi, tout cela dans la perspective de maintenir la position d’Abidjan comme un hub dans la sous-région et de soutenir la croissance locale et aussi la croissance des pays de la sous-région. N’oublions pas que nous avons des économies qui sont très imbriquées et donc quand on fait des investissements à Abidjan, on pense toujours sous-région, on pense toujours CEDEAO parce que nous sommes le moteur de l’UMEOA et nous comptons le rester.
Entre-temps il y a eu des coups d’Etat dans trois pays initialement pris en compte dans ce plan de modernisation. Des putschs suivis de sanctions contre ces pays que sont le Mali, le Bukina Faso et le Niger. La « mise à l’écart » de ces pays n’a-t-elle pas impacté les rendements du Port Autonome d’Abidjan ?
Manifestement non. C’est vrai que, juste après les changements politiques dans ces pays, il y a eu des mesures de restriction au niveau de la CEDEAO qui rapidement ont été levées. Ce qu’il faut dire c’est que ce sont les mêmes populations qu’on a de part et d’autre, et nos politiques le comprennent, et ces restrictions ont été levées progressivement. Les besoins de ces pays-là restent tels et Abidjan veut être une solution pour ces pays-là dans leurs échanges avec l’extérieur. Nous travaillons à ce que les relations entre la Côte d’Ivoire et les pays sans littoral puissent s’améliorer. Au-delà même des changements politiques, nous sommes des frères et nous le resterons.
En d’autres termes, les trafics et les échanges se poursuivent normalement…
Oui. On reçoit des navires avec des cargaisons pour les pays de l’hinterland à savoir le Mali, le Burkina et à un moment donné le Niger, puisque le port du Niger maintenant c’est Cotonou mais on a quand même un trafic résiduel pour le Niger et dans les deux sens : que ce soit à l’import ou à l’export, on a des marchandises pour le Burkina et le Mali. Et, comme je le disais tantôt, on travaille à ce que ce trafic-là augmente. Mais la force du port d’Abidjan c’est le marché intérieur, c’est l’économie ivoirienne qui supporte le flux des marchandises du port d’Abidjan. Mais on a toujours une lucarne sur nos pays frères qui sont sans littoral.
Le conflit entre Israël et le Hamas a pour effet les perturbations de trafics maritimes au niveau de la mer Méditerranée. Le port d’Abidjan ressent-il l’impact de ces perturbations ?
Je dirais non parce que l’onde de ce que vous venez de décrire n’arrive pas au port d’Abidjan, pour la simple et bonne raison que les routes des navires qui escalent au port d’Abidjan ne passent pas forcément par ces contrées-là. Alors, le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire c’est l’Europe et donc c’est en ligne directe que les bateaux descendent de l’Europe vers le golfe de Guinée sans passer par la Méditerranée. Et on a un partenaire dont le flux de navires grandit : c’est la Chine qui, elle non plus, ne passe pas par la Méditerranée. Tout comme les Amériques dont les bateaux viennent sans passer par la Méditerranée. Donc on n’a vraiment pas l’impact relativement à la situation qui se passe dans la Méditerranée, due au conflit entre l’Ukraine et la Russie ou bien même au niveau d’Israël. Il n’y a pas d’impact significatif.
La Zlecaf est entrée en vigueur l’année dernière. La coopération entre le port d’Abidjan et les autres plateformes portuaires est-elle effective en termes de mise en place de la zone de libre échange ?
La meilleure réponse à cette question c’est la tenue de ce séminaire. Vous voyez, ici nous sommes membres de l’AGPAOC, l’amicale des Associations de gestion des ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. C’est un démembrement de la Zlecaf. On était il y a quelques mois à Lagos où le thème c’était « Comment les ports peuvent contribuer au dynamisme de la Zlecaf ? » Donc on est bien en plein dans le thème que vous venez d’évoquer. Il faudrait que les ports dans cette dynamique de mutualisation de nos forces, de nos ressources mais aussi de nos menaces, puissions apporter une réponse à tout ce qui se met en place au niveau de la Zlecaf. Et donc comme je le disais, la Zlecaf c’est l’Afrique, mais il y a les autres. Nous, au niveau de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, on réfléchit ensemble. Au niveau de l’Afrique de l’Est aussi ils auront un dispositif pour réfléchir. L’Afrique australe, l’Afrique du Nord, et donc tout le monde concourt vraiment à ce que la Zlecaf puisse être mise en place depuis cette dynamique. Et donc c’est le sens de ces réunions qui sont organisées sous le couvert de l’AGPAOC (MOCA en anglais) avec le support, le concours de nos partenaires au développement que sont l’Union européenne, et autres. C’est vraiment une bonne réponse en termes d’intégration.
Le port de Kribi, au Cameroun par exemple a déjà accueilli son premier navire dans le cadre de cette dynamique Zlecaf. Est-ce le cas pour le port d’Abidjan ?
Je n’ai pas souvenance qu’un navire soit venu avec l’étiquette Zlecaf. Mais, la Zlecaf, peut-être au niveau douanier, sinon c’est quelque chose qu’on pratique tous les jours. C’est juste une étiquette qu’il faut mettre. Donc c’est le cabotage qu’il faut pouvoir développer. C’est l’une des recommandations fortes des assises de Lagos. C’est-à-dire qu’il ne faudrait plus qu’un navire prenne de la marchandise au Cameroun pour l’envoyer au Gabon ou en Côte d’Ivoire, mais il faut créer des champions africains dans le domaine maritime. Aujourd’hui les gros majors dans le domaine maritime sont des compagnies externes à l’Afrique. Donc ce sont les Asiatiques, les Américains et les Européens. Il faudrait que nos politiques puissent accompagner les investisseurs pour qu’au niveau africain on ait des compagnies, même de moyenne dimension, mais qui puissent faire le commerce intra africain, et c’est ça la Zlecaf.
Propos recueillis par Théodore Tchopa