Depuis le jeudi, 14 mars 2024, l’accès aux services d’internet demeure un luxe pour les populations vivant le long de la côte Ouest-africaine. Il est impossible pour les utilisateurs de réseaux sociaux de publier des contenus et, dans certains pays, d’émettre des appels (audio et vidéo), des Short Message Services (SMS) ou des messages par courrier électronique.
En Côte d’Ivoire, la détresse des internautes a été à ce point préoccupante, voire catastrophique que NetBlocks, une organisation spécialisée dans la cybersécurité et la gouvernance d’internet, l’a qualifiée de « sévère ». A juste titre car, aussi bien les particuliers que les entreprises, abonnés fixe et mobile confondus, ont presque totalement été sevrés d’internet, et donc coupés du reste du monde, a-t-on appris.
Le taux d’accès à internet dans ce pays d’Afrique de l’Ouest demeure très faible (4%), selon NetBlocks. Il ne l’est pas moins au Bénin (14%), au Libéria (17%), ou encore au Ghana (25%) et au Burkina Faso (35%). Et pourtant, ces pays sont le point de départ des perturbations survenues sur les câbles sous-marins de fibre optique, et sont les plus affectés.
Ils le sont un peu plus que le Togo (42%), le Gabon (55%), le Cameroun (58%), le Niger (69%) et le Nigéria (72%), territoires situés dans le Golfe de Guinée, excepté le Niger. Les incidents ayant endommagé les câbles sous-marins de fibre optique dans l’Atlantique ont également touché la Namibie et le Lesotho, en Afrique australe. C’est dire l’ampleur de la panne et des répercussions conséquentes qu’elle pourrait avoir sur le tissu économique de la côte Ouest-africaine durement frappée.
Internet, le télétravail et l’économie des dépenses
Les conséquences sont d’abord d’ordre économique. Les entreprises aujourd’hui, dans leurs secteurs d’activité respectifs, ne peuvent plus se passer d’internet, synonyme d’ouverture sur le monde, d’information permanente sur les activités, innovantes ou non, de leurs concurrents ou leurs partenaires. Ensuite, dans un contexte où la pandémie de la Covid-19 a montré les limites du travail en présentiel et oeuvré à la promotion du télétravail, de plus en plus d’entreprises adoptent aujourd’hui cette seconde modalité pour des échanges avec leurs partenaires ou leurs succursales pour ce qui est des grands groupes.
Les organismes institutionnels ne sont pas en reste. La crise sanitaire mondiale a considérablement oeuvré à la réduction du nombre de conférences et séminaires internationaux nécessitant la présence physique des participants. Aujourd’hui de plus en plus d’échanges d’expertise ou d’expérience se font via des applications comme zoom. Toutes choses qui permettent de réaliser des économies sur les dépenses.
Enfin, le monde de la science, de la recherche universitaire, mais aussi les secteurs de la communication (les médias) ont plus que jamais besoin des services d’internet pour travailler au quotidien. Or télécharger des documents est une gageure depuis que le réseau est perturbé.
On ne saurait oublier d’autres nouveaux métiers, qui ne peuvent s’épanouir sans la disponibilité d’internet. Les influenceurs, les créateurs de contenus font partie de ces catégories. Ils vivent des contenus (audio, vidéos ou textes) qu’ils postent chaque jour sur les réseaux sociaux. Au cours d’une émission diffusée récemment sur une chaîne de radio internationale, une Influenceuse déclarait qu’elle pouvait être rémunérée jusqu’à hauteur de 20 000 euros l’an grâce au nombre de vues que génèrent ses contenus. Ce qui n’est pas négligeable.
C’est dire l’énorme manque à gagner que ces perturbations causent aux opérateurs du secteur des télécoms qui assurent la fourniture de ces services numériques. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, MTN et Orange sont plus affectés que l’opérateur Moov, selon NetBlocks. « Les difficultés d’accès à Internet vont toucher le secteur formel comme le secteur informel », a confié à Jeune Afrique, l’économiste malien Modibo Mao Makalou.
Une légère amélioration
Au cinquième jour de la panne, la situation semble s’améliorer dans certains pays. Dimanche, l’opérateur de téléphonie mobile MTN Cameroon, qui par ailleurs est l’un des fournisseurs des services internet dans ce pays de l’Afrique centrale, rassurait sa clientèle en ces termes :
Chers clients, internet s’améliore progressivement. Les travaux se poursuivent pour une restauration complète. Les autres services restent fonctionnels.
Cependant, dans les faits, l’amélioration ne concerne que les applications telles que WhatsApp ou les messageries électroniques, inaccessibles jusqu’au soir du vendredi. Les autres applications, à l’instar du moteur de recherches Google, demeurent difficiles d’accès, quand les débits ne sont pas trop faibles. Par conséquent, il est toujours difficile de télécharger un document ou d’effectuer quelque recherche que ce soit. Encore une fois, les métiers de recherche en paient le lourd tribut.
Des incidents sur les câbles sous-marins de fibre optique
Vendredi, l’Association des opérateurs de téléphonie mobile évoquait des incidents majeurs ayant endommagé les câbles sous-marins de fibre optique WACS, SAT3 et MainQne assurant la fourniture de l’internet sur la côte Ouest-africaine. Elle ajoutait que des recherches se poursuivaient en vue de déterminer la cause de ces désagréments.
Les équipes techniques sont à pied d’œuvre en vue d’identifier les causes et rétablir la connectivité dans les meilleurs délais,
indiquait alors le communiqué de l’Association des opérateurs de téléphonie mobile.
Un enjeu économique et géostratégique mondial
L’investissement et l’accès à internet, que ce soit via les câbles sous-marins de fibre optique ou par le truchement du satellite, sont devenus un enjeu économique et géostratégique à l’échelle mondial. Selon NetBlocks, 99% du trafic internet mondial est assuré par près de 500 câbles déployés dans les profondeurs marines et océaniques. La longueur totale des câbles sous-marins de fibre optique déployés à ce jour est estimée à 1,3 million de kilomètres. Plus de 50% de ces câbles sont répartis entre Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft. Mais le marché est largement dominé par Alphabet et Meta, cette dernière possédant le plus long réseau de câbles de fibre optique au monde, 2Africa. Le milliardaire américain Elon Musk, pour sa part, s’est lancé dans l’exploration de la fourniture d’internet par satellite. D’où sa course vers la conquête de l’espace.