En 2021, le Comité consultatif international du coton (ICAC) affirmait qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que l’Afrique de l’Ouest mette en place une véritable industrie de transformation du coton, dont elle est pourtant l’un des principaux bassins de production sur le continent. A l’époque, ce discours est élaboré dans un contexte où, selon la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD), 95% de la production régionale sont exportés à l’état brut. Ce alors même que, depuis 2003, l’Union économique et monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) s’était fixé pour objectif de transformer 25% du coton en zone Cedeao à l’horizon 2020. Un challenge qui n’a jamais été atteint.
Le Burkina Faso a déjoué ce pronostic du groupe inter gouvernemental en confirmant, le 27 mars dernier au sortir d’un conseil des ministres, le lancement d’un vaste chantier de construction d’un complexe industriel textile en vue de transformer son or blanc. Deux jours plus tard, le 29 mars, le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré a procédé à la pose de la première pierre à Sourgou, dans la province du Boulkiemdé, région du Centre-Ouest.
Cette ville va abriter, sur une superficie de 42 hectares, l’une des usines du complexe Iro-TexBurkina. La seconde sera construite sur une superficie de 50 hectares dans la localité de Boromo. Pour un investissement total de 272 millions USD (165 milliards de francs CFA) dans lequel le gouvernement est engagé aux côtés du Fonds burkinabè de développement économique et social (FBDES) et de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB).
Il s’agit d’un complexe industriel textile devant transformer chaque année 20 000 tonnes de coton, générer plus de 4 000 emplois directs et 15 000 emplois indirects, selon la Direction de la communication de la présidence du Burkina-Faso. L’objectif étant de donner de la valeur ajoutée au deuxième produit d’exportation du pays après l’or.
La construction de ce complexe industriel textile a pour but de développer la chaîne de valeur du coton burkinabè par la fourniture de produits textiles, notamment les fils, les tissus, les vêtements, les produits médicalisés,
indique le communiqué publié à l’issue dudit conseil ministériel. La ville de Koudougou, située elle aussi dans le Centre-Ouest, est le fleuron historique de l’industrialisation de la filière textile burkinabè. Ce n’est donc pas le fait du hasard si cette région a été choisie pour abriter le méga projet industriel. C’est en effet dans cette ville que l’ancien président du Burkina-Faso, Roch Marc Christian Kabore avait inauguré, le 30 juin 2020, dans les locaux de la Société des fibres textiles (Sofitex), et en marge de l’ouverture de la 2ème édition du Salon international du coton et du textile (SICOT), la toute première société d’égrenage de coton biologique en Afrique de l’Ouest et du Centre.
Une filière bio qui ne représente que 2% de la production burkinabè en 2020, soit moins de 12 000 tonnes sur les 607 000 tonnes produites la même année.
L’objectif assigné à la Société d’égrenage de coton biologique (Secobio) est la transformation journalière de 130 t de coton graines en fibres soit 17 500 t par campagne cotonnière, et de contribuer à l’autonomisation des femmes, qui représentent 58% des employés dans ce sous-secteur. Le coton constitue une source de revenus pour 3,5 millions de Burkinabè, dont 65% des revenus des ménages ruraux.
Le Burkina et ses partenaires ont investi 12 millions USD (environ 11 millions d’euros) dans le projet Secobio. Un capital réparti entre l’Union nationale des producteurs (51,2%) et la Sofitex (49,8%). En mars 2020, la société Faso Coton avait lancé les travaux de construction de sa 2ème usine d’égrenage, ayant une capacité de plus de 35 000 tonnes de coton par saison, pour un investissement de 7,2 millions USD (4,5 milliards de F CFA.) Le début de la production était envisagé pour avril 2021.
L’intérêt de la Turquie, de l’Inde et de la Chine pour le textile burkinabè
En 2018, la filière cotonnière burkinabè fut au centre d’une panoplie de manifestations d’intérêt, que ce soit de la part du groupe indien JAIN SHAWLS, intéressé par la réouverture de l’ex-usine Faso FANI à Koudougou, ou de l’allemand Greenville LNG Eddy Van Den Broke disposé à accompagner ce projet en fourniture en gaz naturel liquéfié. On peut aussi évoquer l’entité suisse IMC Corporation S.A., en lice pour la réalisation d’un pôle industriel textile à Bobo devant employer 20 000 à 23 000 personnes, et le Chinois Orient International (Holding) Co Ltd, qui désire être impliqué dans le projet de l’implantation d’un parc industriel textile à Bobo-Dioulasso. Ces deux derniers groupes ont signé avec l’Etat burkinabè un mémorandum d’entente qui, aux dernières nouvelles, était encore en étude, selon le ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat du Burkina-Faso.
La même année, Ayka Addis Textile and Investment, la filiale éthiopienne de la société turque Ayka Textile and Investment, installée en banlieue d’Addis-Abeba depuis 2005, manifestait un intérêt plus accru pour la filière textile burkinabè dont elle était jusque-là l’un des acheteurs. Au sortir d’une audience avec le Premier ministre burkinabè d’alors, le directeur général d’Ayka Addis Textile annonçait un gros investissement de 343 millions d’euros (225 milliards de francs CFA) destiné à la construction d’un complexe d’usines intégrées de transformation de coton burkinabè dans trois localités du pays, dont Ouagadougou.
Un coton dont la production nationale, au terme de la campagne 2017/2018, affichait une contre-performance de 13%, s’établissant à 613 000 tonnes contre 750 000 tonnes de coton graine récolté à la clôture de la campagne 2016-2017 (soit plus 25%) et 645 000 tonnes pour le Mali (+26%). La saison 2018/2019 ne s’en était pas portée mieux, affichant 436 000 tonnes, en dégringolade de 30% par rapport aux prévisions initiales qui étaient de 800 000 tonnes.
Le capital était réparti entre l’entité turque (55%) et l’État du Burkina Faso (45%), bénéficiaire de l’appui financier de partenaires tels la Bad, Afreximbank, BOAD Burkina, Ecobank, Coris Bank International, ou encore Lilium Capital. Le projet comportait la construction de sept unités (filature, tissage, tricotage, teinture, recyclage de fils et tissus, confection de vêtements, station d’épuration et de recyclage des eaux usées), ainsi qu’une micro centrale thermique de 25 MW pour alimenter les machines. Le début des travaux était annoncé pour 2020.
A Alem Gena, à 20 km de la capitale éthiopienne, la société turque Ayka Textile and Investment, créée en 1988, avait investi, en 2005, jusqu’à 250 millions USD (200 millions d’euros) dans la construction d’un complexe industriel intégré, faisant de ce pays de la corne africaine un laboratoire de la transformation du coton sur le continent.
Des produits vestimentaires made in Burkina
Les autorités burkinabè ne font pas dans la dentelle. Le 7 février 2024, le conseil des ministres avait approuvé un autre projet de création d’une société d’économie mixte à participation majoritaire de l’Etat, qui aura pour activité la fabrication des produits textiles et de vêtements militaires, civils et professionnels.
La création de cette société d’économie mixte vise la mise en place d’un projet textile motivé par le souci de répondre à la demande de plus en plus croissante de produits textiles,
précisait le communiqué final sanctionnant les travaux. Le coût de l’investissement est de 24,6 millions USD soit 15 milliards de francs CFA. Le cahier de charges dévolu à la future entreprise comprend la transformation de 2160 tonnes de coton fibre en fil, ainsi que la production de 270 tonnes de tricot et de 3,70 millions de mètres de tissu par an.
Mais le plus urgent est la constitution du capital social de la nouvelle entité à hauteur de 16,4 millions USD (10 milliards de FCFA), dont 5 millions USD (3 milliards de FCFA) à mobiliser par la Sofitex, détentrice du capital majoritaire (30%). 2ème producteur ouest africain après le Bénin (700 000 t), le pays des hommes intègres transforme moins de 5% de fibres de coton (à peine 1% selon d’autres sources) grâce à la société Filature du Sahel (Filsah), dont les capacités sont cependant limitées à 4 500 tonnes de coton transformé annuellement.
Paradoxalement, le pays débourse chaque année 113,5 millions USD (70 milliards de FCFA) pour importer des produits vestimentaires. Une tendance que Ouagadougou veut inverser en produisant ses propres marques de vêtements. Qu’importe si, en 2022, la valeur des exportations du pays se situait à 492 millions USD (298,5 milliards de francs CFA).
La contribution de la filière coton demeure fortement en-deçà de son potentiel en raison de la très faible organisation des acteurs de la chaîne,
déplorait, en 2020, le président Roch Marc Christian Kabore, alors chef de l’Etat du Burkina-Faso. Le coton est la deuxième source des devises étrangères au Burkina Faso et au Mali. Au Bénin (1er producteur avec 700 000 tonnes), il représente 70% des recettes d’exportations agricoles et est la quatrième source des devises du secteur agricole en Côte d’Ivoire. La filière coton emploie 10 millions de producteurs en Afrique de l’Ouest en 2017 et le secteur textile, 1,2 million de salariés. Selon l’Organisation professionnelle des industries cotonnières et textile (Opict), ces deux secteurs pourraient créer jusqu’à 5 000 postes directs et 50 000 emplois indirects.
Si nous parvenons à transformer 20% de notre coton, nous serons un pays développé,
déclarait, en 2017, le ministre malien de l’Industrie, Mohamed Aly AG Ibrahim, en comparaison avec la Côte d’Ivoire qui transforme 1/3 de son cacao.
Des industries à la peine face à la rude concurrence asiatique
L’histoire de la filière coton en Afrique subsaharienne est jalonnée de crises. Que ce soit en Afrique de l’Ouest ou centrale. Dans les années 2000, la Cedeao comptait 45 usines. En 2017, elle n’en dénombre plus que 10 unités de transformation. L’un des épineux problèmes posés est celui de la transformation. Le filage étant jugé énergivore, dans un contexte de déficit énergétique de surcroit, la plupart des unités existantes se sont limitées très souvent au tissage, au tricotage artisanal et au design. Ces contraintes ont été à l’origine de la banqueroute de nombre d’unités industrielles qui n’ont pas survécu à la bourrasque économique des années 1980.
En 2017, la Nouvelle Société Textile Sénégalaise et Filature et Tissage de Thiès (NSTS-FIT), ancien fleuron sénégalais, exporte jusqu’à 80% de ses fils en Europe et au Maroc. Après 14 années de fermeture, la société avait repris ses activités en mai 2015 grâce aux 620 000 euros (407 millions de FCFA) mis à sa disposition par la Banque nationale de développement économique (BNDE), une institution dépendant du Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip).
En Côte d’Ivoire, FRG n’a pu préserver que 200 emplois, selon son directeur général, Maxime Zounou, alors que son ancêtre, les Établissements Robert-Gonfreville (ERG), près de Bouaké, comptait 4 000 ouvriers autrefois. La seconde principale difficulté est liée à l’approvisionnement en graines de fibre de coton, qui constitue la matière première, d’après l’expert Jean-Paul Gourlot, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Au Cameroun par exemple, l’un des principaux producteurs (350 000 tonnes), la Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam) est située dans la ville de Douala, à un millier de kilomètres du Nord, région de domiciliation de la Société de développement du coton (Sodecoton), et des cultivateurs de l’or blanc. Une telle distance n’est pas sans conséquence sur les coûts de la production et le prix du produit final.
L’usine de Garoua produit le support. Elle reçoit le coton qui vient de Sodikoto, elle tisse, elle produit le coton tout blanc qu’elle achemine à Douala. On imprime sur coton et on le commercialise,
explique Epoh Bille, l’un des délégués du personnel de cette société, en grève depuis des semaines pour réclamer le paiement de 13 mois d’arriérés de salaires.
On produisait des milliards, Rien que pendant la campagne du 8 mars [Journée internationale de la femme, ndlr], on faisait plus de 4 milliards de FCFA [6,4 millions USD] en deux mois, en janvier et février. Sans compter les tenues scolaires qui rapportent autant d’argent, les pagnes du 1er mai, les uni-coton, les draps, on faisait tout. Cicam tournait à plein régime. En 2018 on faisait 18 milliards de FCFA (29,1 million de dollars US),
se souvient ce délégué du personnel. Selon lui, la Cicam a importé huit millions de tissus de l’Occident rien qu’à l’occasion de la récente célébration de la journée internationale de la femme (le 8 mars) au Cameroun. Ce qui aurait rapporté beaucoup d’argent à l’entreprise. Pourtant, depuis octobre 2023, l’usine de Douala est en arrêt d’activités pour cause de vétusté des machines et d’obsolescence des installations.
On tourne à perte, on dépense plus en faisant semblant de produire la mauvaise qualité, de surcroît,
déplore Epoh Billé. Au Tchad, la production en 2023, n’a pas répondu aux attentes. Sur les 170 000 tonnes attendues, seules 135 000 tonnes ont été récoltées. 33 000 hectares de coton n’ont pu être récoltés à cause des aléas climatiques : une sécheresse accrue en mai suivie de pluies abondantes et de crues en juillet.
Sauver la filière : une urgence peu manifeste en Afrique centrale
Comme nombre d’autres pays de la sous-région, le Mali, lui aussi, a pris la pleine mesure de la menace que représente la concurrence asiatique, dont les produits textiles inondent les marchés africains. Le pays prévoit une production de 780 000 tonnes en mai, au terme de la campagne 2023/2024, et de retrouver sa place au podium en déclassant le Bénin, dont les prévisions, au cours de la même saison, se chiffrent à 768 000 tonnes.
Grâce aux financements de la British International Investment (BII), le Mali a créé, en 2004 à Ségou, le Cerfitex, un centre de formation aux métiers du textile, né sur les cendres de l’ancienne école Esitex. La société malienne Fils et tissus naturels d’Afrique (Fitina) S.A., quant à elle, avait relancé ses activités en 2011 grâce à un financement de 2,7 millions USD (1,7 milliard de FCFA) injecté par les partenaires français, majoritaires (82,5%) devant les Maliens (12,5%) et les Mauriciens, via la Banque européenne d’investissement (BEI).
Sa production oscillant entre 2500 et 3000 tonnes, était exportée vers la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Tunisie et le Maroc. Créée en 2004 avec un capital de 7,6 millions USD (4,7 milliards de F CFA), Fitina S.A. avait employé 222 personnes avant de fermer les portes deux ans après. Dans l’espace UEMOA, des programmes de relifting sont mis en place depuis les années 2000. Par exemple, l’Agence américaine USAID a lancé, en 2006, le West African Cotton Improvement Program (Wacip).
Un plan de 20 millions USD pour soutenir l’économie cotonnière dans les C+4, entendez les quatre premiers grands producteurs en Afrique de l’Ouest et du Centre ((Burkina Faso, Mali, Bénin et Tchad). Le Sénégal a réussi à attirer le groupe industriel textile chinois C and H Garnments, qui a implanté une unité de confection de vêtements dans le parc industriel de Diamniadio, à 40 km de la capitale sénégalaise Dakar. Pendant ce temps, c’est le flou total et la navigation à vue en Afrique centrale :
La direction générale (de la Cicam) nous a fait comprendre que l’Etat avait déjà engagé un plan de restructuration. Mais chaque fois qu’on nous dit qu’il y a une restructuration avancée, on revient nous dire qu’elle est encore en étude sur la table du gouvernement. Donc aucun employé, aucun délégué n’est au courant de la situation exacte. Un temps, on nous parlait des apports externes pour intégrer le capital,
s’étonne le délégué du personnel Epoh Bille de la Cicam. Il faut allusion à l’hypothèse de la participation chinoise au capital de la société d’Etat qui est au bord de la faillite.