L’accord de concession signé récemment entre la Tanzanie et la République Démocratique du Congo (RDC) pour la construction de ports secs marque un tournant décisif dans l’histoire des échanges commerciaux en Afrique centrale et de l’Est. En réponse à la congestion chronique des grands ports maritimes et à l’urgence d’optimiser les flux commerciaux transfrontaliers, ce projet s’impose comme un catalyseur de transformation économique régionale. À travers cette initiative, les deux pays entendent moderniser la logistique régionale, réduire les coûts de transport, stimuler la compétitivité des entreprises locales et accélérer l’intégration des économies enclavées dans les circuits du commerce international.
Son impact est potentiellement structurel. Selon les projections de la Central Corridor Transit Transport Facilitation Agency (CCTTFA), la mise en service de ces infrastructures pourrait réduire les délais douaniers de plus de 60% et les coûts de transit de 15 à 20%, redessinant ainsi le paysage commercial de la région des Grands Lacs. Le besoin d’optimisation logistique est criant. Le port maritime de Dar es Salaam, principal point d’entrée de la Tanzanie, croule sous une pression logistique inédite.
Entre 2019 et 2023, le volume de fret à destination de la RDC via ce port a bondi de 180%, passant de 14 à 28 millions de tonnes par an, selon Gondis Kahyarara, Secrétaire permanent au ministère tanzanien des Transports. Cet afflux massif de marchandises dépasse de loin les capacités opérationnelles du port, entraînant des goulets d’étranglement qui pénalisent non seulement les économies locales, mais également les flux commerciaux régionaux.
Dans ce contexte, selon les experts, les ports secs apparaissent comme des infrastructures critiques. En créant des hubs de stockage, de dédouanement et de distribution à l’intérieur des terres, ils permettront de désengorger les zones côtières, tout en rapprochant les services logistiques des zones de consommation ou de production. Situés à Kasumbalesa, Kalemie et Kasenga pour la RDC, et à Kwala Coast et Katosho dans la région tanzanienne de Kigoma, ces ports joueront un rôle clé dans la fluidification des échanges.
Intégration logistique
Selon une étude de la Banque africaine de développement (BAD), la mise en place de tels hubs permet en moyenne de réduire de 30% les coûts logistiques en Afrique de l’Est, tout en augmentant la vitesse de circulation des marchandises. Les bénéfices économiques sont également très concrets. En plus de désenclaver les zones minières de la RDC, notamment celles du Tanganyika et du Haut-Katanga, les ports secs vont renforcer les chaînes de valeur transfrontalières.
Les entreprises minières, qui joueront un rôle actif dans la gestion logistique, profiteront d’une chaîne d’exportation raccourcie et mieux contrôlée. D’après le ministère congolais du Commerce extérieur, 80% des minerais exportés par la RDC transitent actuellement par des ports étrangers. Ce chiffre pourrait baisser de moitié si les corridors logistiques régionaux étaient modernisés. L’impact sur la consommation et les importations est tout aussi notable.
Avec plus de 100 millions d’habitants, la RDC est l’un des plus gros marchés de consommation d’Afrique. Le pays dépend fortement des importations pour son approvisionnement en biens de consommation, en produits alimentaires et en équipements industriels. En 2022, le volume des importations congolaises s’élevait à 14,8 milliards USD, selon la Banque mondiale. Une meilleure connectivité avec la Tanzanie, combinée à des procédures douanières rationalisées, pourrait faire baisser les prix à la consommation de 10 à 15%, selon les estimations du Centre africain pour le commerce et le développement.
Pour la Tanzanie, ce partenariat permet de consolider sa position stratégique dans le commerce régional. Déjà premier partenaire commercial de la RDC, selon les données du Tanzania Revenue Authority, le pays voit dans ces ports secs une opportunité d’accroître ses exportations agricoles, industrielles et énergétiques vers les provinces du Katanga et du Kasaï. Le Corridor central, qui relie Dar es Salaam à Kigoma, Gitega (Burundi), Kigali (Rwanda), Bujumbura, Kampala (Ouganda) et Bukavu/Goma (RDC), devient ainsi l’un des axes les plus dynamiques de l’Afrique de l’Est.
Augmenter le commerce intra-africain
Selon le World Trade Report 2023 de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les corridors intégrés pourraient permettre d’augmenter le commerce intra-africain de 50%, d’ici 2030. En parallèle, la modernisation des ports lacustres de Kalemie, Karema et Kigoma, ainsi que la réhabilitation de routes clés (comme Kalemie–Manono) renforcent davantage la synergie logistique entre les deux pays. Le volet ferroviaire n’est pas en reste : le réseau SGR tanzanien, en pleine expansion, est appelé à se connecter à celui de la RDC, ouvrant la voie à un transport intermodal performant, sécurisé et écologique.
L’enjeu dépasse donc la simple logistique. Il s’agit d’un levier pour la mise en œuvre effective de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), encore entravée par la faiblesse des infrastructures. Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA), le coût du transport en Afrique est 60% plus élevé que la moyenne mondiale. En réduisant ces coûts, les ports secs pourraient améliorer l’accès des producteurs africains aux marchés voisins, renforcer la transformation locale et stimuler la création d’emplois.
Le partenariat entre la Tanzanie et la RDC autour des ports secs illustre une nouvelle manière de penser l’intégration régionale en Afrique. Non plus par de grandes déclarations politiques, mais par des projets d’infrastructures concrets, ancrés dans les réalités économiques des territoires. En optimisant les chaînes logistiques, en rapprochant les États enclavés des marchés mondiaux, et en favorisant une meilleure circulation des marchandises. Ce projet jette les bases d’une Afrique mieux connectée, plus compétitive et résolument tournée vers l’avenir.
