Quels sont les principaux freins à l’essor de l’économie numérique au Gabon ?
Il y a plein d’éléments qui sapent totalement notre productivité. Nous pouvons relever le déficit d’infrastructures de transport et d’infrastructures énergétiques. Aussi, nous avons une administration qui opère encore par courrier. Par exemple, pour saisir une autorité ministérielle, il faut que ça arrive à son cabinet, que ce soit traité, que le ministre y accorde éventuellement un petit peu d’attention, qu’il l’annote que ça parte au conseiller qu’il fasse sa note et que ça reparte au service courrier pour peu que votre ministère soit suffisamment achalandé.
Et il y a déjà deux semaines qui sont passées pour avoir une réponse à un courrier. Or l’envoi d’un mail de manière instantané, est déjà un exemple de productivité ; sauf que l’administration publique n’est pas encore réactive à cela. Pourtant les outils sont là pour améliorer notre productivité mais nous ne nous en servons pas, parce que nous restons sur des pratiques traditionnelles qui sapent notre productivité.
Quelle est votre vision à la tête du ministère de l’Économie numérique, de la Digitalisation et de l’Innovation ?
La vision du ministère de l’économie numérique telle qu’elle est actuellement c’est de voir comment on peut accélérer la digitalisation de l’administration publique pour la rendre plus efficace. Et c’est important parce que l’opérateur économique principal de notre écosystème c’est l’État. Ensuite il y a les grandes entreprises. Certaines représentent un, deux, voire trois (3%) du PIB. Et si celles-ci commencent à se digitaliser, l’impact sur l’économie est immédiat puisqu’elles représentent une part importante de notre économie. Donc il faut voir auprès de gros acteurs de l’économie parce qu’ils pèsent, parce qu’ils ont un carnet de commande qui est important et donc il faut les accompagner à se digitaliser.
Pour une startup, avoir l’État comme client c’est extrêmement difficile et pourtant l’essentiel des startupers regardent la commande publique pour pouvoir développer leurs activités. Pourtant il faut savoir que les cycles de paiement sont très lents, que l’accès à la commande publique est semé d’embûches, qu’il faut avoir un relationnel exceptionnel et qu’on doit espérer que votre interlocuteur soit tout aussi sensible au sujet que vous lui présentez. Donc la commande publique a des forces et ses faiblesses. Cela voudrait dire que si on arrive à accélérer la transformation numérique des grandes entreprises, cela crée un carnet de commande privé avec des interlocuteurs qui ont des cycles de paiement plus courts, qui ont des besoins divers et variés et en réalité cela augmente la taille du marché qui sera adressé aux startups.
Quelles solutions proposez-vous à l’épineux problème de financement des startups ?
Quand on regarde la manière dont les banques prêtent à l’économie, on verra que l’État est l’entité qui capte le plus de crédit. Après ce sont les grandes entreprises, après les petites et en dernier les startups. Donc il y a vraiment une chaîne alimentaire en matière d’accès au crédit. Les banques collectent l’épargne pour financer l’économie, pas pour perdre l’épargne. Mais s’il y a 90% de probabilité qu’elle puisse perdre son épargne en finançant votre startup, ça veut dire qu’elle met votre dépôt à risque, et ce n’est pas le but d’une banque. Je pense que l’absence de financement de startups c’est que nous avons un manque d’épargne.
Même dans les pays riches, les startups sont financées par des structures qui ont déjà répondu à leurs besoins primaires. Ils ont leur maison, ils ont déjà tout ce dont ils ont besoin pour vivre, ils ont leur placement sécurisé. Donc ils se disent qu’ils peuvent investir par exemple 10 millions de Fcfa, que s’ils perdent cela ne changera pas leur vie. Soit ils investissent eux-mêmes, soit ils donnent à un fond de de capital risque où il y’a des professionnels qui collecte ces sommes, jusqu’à parvenir à un montant. Il s’agit là d’un capital risque car la probabilité de perdre cet argent est très élevée. Au Gabon, nous sommes encore un pays en développement où l’accumulation des richesses n’est pas encore vulgarisée et structurée.
Et par conséquent ceux qui épargnent préfèrent investir dans ce qu’ils connaissent, comme la construction d’une maison qu’ils mettent en location pour que ça produise du revenu et c’est tout. Avec le temps, ils auront un portefeuille d’actifs beaucoup plus diversifiés et ils pourront dire qu’à présent qu’ils ont une situation de rente, ils savent qu’ils ont un million de loyer ce mois-ci, ils mettront un million dans une startup parce que le mois d’après ils pourront récupérer le million. Mais il nous faut pour cela une classe de gabonais qui arrive à ce niveau de maturité financière pour qu’on puisse commencer à orienter une partie de l’épargne vers le financement des technologies.
Comment viabiliser les startups qui évoluent dans le numérique au Gabon ?
Nous devons regarder ce qu’il y a déjà, plutôt que de créer de nouvelles choses. Parce qu’au Gabon nous avons tous les outils, le Centre gabonais de l’innovation qui a été créé par exemple. Nous devons en faire le diagnostic et évaluer son efficacité. Nous avons sur les aspects infrastructures, la Société de Patrimoine des Infrastructures Numériques (SPIN) qui est présente et qui développe la fibre optique, évaluons son efficacité. Nous avons L’Agence nationale des infrastructures numériques et des Fréquences (ANINF) pour ce qui touche à l’administration publique et aux infrastructures numériques. Il y a le Fonds Okoumé capital qui est logé au Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) qui a du capital qui n’est pas juste pour les startups mais pour financer les champions nationaux.
Il faut avoir l’humilité de dire que tous ces outils-là, ne répondent pas encore de manière optimale aux besoins de notre écosystème. Précisons tout de même qu’ils ne sont pas faits pour répondre à des besoins individuels et à des besoins systématiques. Ils sont là pour répondre à des besoins d’ensemble. Ce n’est pas tout le monde qui arrivera à capitaliser sur ces outils de manière optimale mais l’idée c’est que ce soit la plus grande majorité. La question que nous devons nous poser aujourd’hui c’est pourquoi notre écosystème n’est pas plus loin qu’on le souhaiterait ? La seule chose que je sais c’est qu’on doit être plus patriotique dans la manière dont nous pensons à l’insertion des entreprises nationales dans l’économie. L’autre chose qu’il faut que l’on fasse c’est d’échanger avec les grandes entreprises pour leur demander de travailler autant que possible avec les entreprises locales quand elles peuvent plutôt que d’importer les solutions qui viennent d’ailleurs.
Quels sont les défis du ministère de l’économie numérique aujourd’hui ?
Dans le plan de déploiement du ministère, il y a trois types d’actions. Il y a les textes. Il faut qu’on sorte la fameuse Start up Act. Il faut qu’on mette en place le cadre juridique parce qu’il n’y a pas de loi sur la digitalisation au Gabon, il n y a pas de loi sur l’archivage numérique au Gabon, il n’y a pas de loi applicable à la signature électronique au Gabon. C’est-à-dire que beaucoup d’activités qui sont faites au Gabon actuellement n’ont pas de base juridique. Cela fait partie du type d’action de structuration, qui crée un cadre qui oriente et qui va permettre progressivement de contraindre juridiquement l’utilisation de certaines choses. Le deuxième type d’action c’est la partie infrastructures, puisqu’il y a une fracture numérique. La couverture d’internet doit être meilleure. Ce sont des projets à moyens et à longs termes.
Ensuite, il y a un sujet qui me tient à coeur. C’est tout ce qui touche au commerce. Nous effectuons des travaux avec le Gimac sur le déploiement du code QR au sein des commerces. L’avantage c’est que c’est visible et donc ça a un impact visible. Et c’est ce type d’initiative qui va être un coup d’accélérateur pour le E-commerce par exemple et pour bien d’autres domaines dans notre pays. Parce qu’on essaie parfois de mettre la charrue avant les bœufs. Or ce qui est certain c’est que toute l’économie est faite de transactions. C’est l’échange d’un bien et d’un service qui se ponctue par une transaction. On ne peut pas parler du reste de la chaîne de valeur sans parler de la transaction. Donc il y a des actions qu’on va essayer de mettre en place qui j’espère vont avoir un effet d’accélérateur au minimum dans la prise de conscience que la technologie c’est quelque-chose de réel. Ce qui a réussi à mettre la technologie au centre dans notre pays c’est la téléphonie et le Mobile Money. Il faut utiliser ces deux piliers comme accélérateurs pour le reste de l’écosystème.
Propos recueillis par Leonel Douniya
