Le constat est clair. L’Afrique dépense actuellement environ 30 à 50 milliards de dollars US par an pour ses importations alimentaires, et sans une augmentation de l’offre continentale alimentaire, les experts prédisent que ce montant s’élèvera à 150 milliards de dollars US en 2030. L’incapacité de l’Afrique à se nourrir elle-même est donc avérée, d’où l’obligation pour l’Afrique de recourir aux semences améliorées dont la production est contrôlée par les multinationales étrangères.
Il y a donc de réelles opportunités d’investissement pour les nationaux africains dans la production des semences améliorées. Surtout que l’Afrique est présentée comme un marché émergent et rentable, la « dernière frontière » pour l’agroalimentaire mondial. Le système industriel de production agricole remplace les variétés alimentaires paysannes riches en biodiversité par des monocultures génétiquement uniformes de semences industrielles de quelques espèces telles que le maïs, le soja, le blé, les légumes commerciaux et les fleurs.
Mais, ces semences industrielles et les intérêts des sociétés qui les produisent sont protégés par des lois jugées perverses et d’autres mesures contrôlées par l’État et les multinationales, telles que le contrôle monopolistique des semences. Pourtant, ces lois et ces contrôles s’appliquent non seulement aux semences industrielles, mais à toutes les semences, y compris les diverses variétés paysannes.
Alors que les systèmes semenciers paysans locaux nourrissent la plupart des populations africaines, des sociétés de semences de plus en plus puissantes, qui fusionnent maintenant pour devenir des méga-sociétés, soutenues par les gouvernements hôtes par le biais d’accords d’aide et de commerce, poussent les décideurs africains à accélérer l’utilisation de leurs semences industrielles à travers des systèmes semenciers « formels ». Pour atteindre cette position dominante, les multinationales ont besoin de protections et de mesures incitatives aux niveaux national et régional.
Des mesures protectionnistes au bénéfice des multinationales
Si les multinationales deviennent aussi omniprésentes en Afrique que sur d’autres continents et si leurs semences industrielles continuent à se répandre en monocultures à travers les pays, elles pourraient éclipser les systèmes semenciers paysans qui sous-tendent la souveraineté alimentaire des peuples africains. Les gouvernements africains cèdent à la pression des entreprises et minent les systèmes semenciers locaux. Des pressions sont exercées sur les gouvernements pour qu’ils adhèrent aux accords régionaux sur la propriété intellectuelle, le commerce et les semences, tels que l’OAPI, l’Aripo, l’Uemoa, le Comesa et la SADC, qui profitent aux entreprises et au système de semences industrielles.
Dans de nombreux cas, les gouvernements cèdent. Ces accords sont conçus pour être harmonisés avec l’UPOV et les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux favorisant la production industrielle de semences et de produits de base. Les politiques et législations régionales et nationales se concentrant de plus en plus sur la défense des intérêts des promoteurs de semences industrielles et de la production marchande, en apportant un soutien limité aux diverses variétés paysannes et à leur savoir-faire technique en matière de gestion de leurs systèmes semenciers.
AFSA et GRAIN pensent que cette défense des semences industrielles et de la production de produits de base devrait cesser. Les gouvernements devraient plutôt soutenir les systèmes semenciers locaux et l’agriculture agro écologique locale dans le cadre de la souveraineté alimentaire.
La croissance de l’agriculture africaine dépendante des semences améliorées
La croissance de l’agriculture dépend de beaucoup plus que du commerce des semences. La production agricole commence avec l’utilisation des semences par les agriculteurs, mais le véritable point de changement où l’Afrique sera capable de se nourrir et même de devenir un exportateur de produits alimentaires sera atteint, précise-t-on, lorsque les producteurs auront un accès abordable aux engrais et autres intrants, ainsi qu’un accès sécurisé aux marchés nationaux et internationaux pour les aliments qu’ils produisent.
Pour améliorer l’accès aux intrants, de nombreux pays africains ont subventionné les engrais et semences aux agriculteurs les plus pauvres pour réduire leurs coûts. Dans la mesure où le libre-échange régional accélère l’accès à des variétés à haut rendement et permet d’économiser sur d’autres coûts de transaction aidant à faire baisser les prix, l’adoption de règles commerciales harmonisées pourrait améliorer le retour sur l’investissement dans les subventions agricoles.
Cependant, les programmes de subventions sont par nature enclins à de coûteuses fuites d’intrants à travers les frontières et sont souvent affectés par des problèmes de livraison tardive, au point que d’autres types de semences que les semences hybrides F1 seraient un meilleur choix pour la sécurité alimentaire des ménages et la production commerciale.
L’amélioration des conditions commerciales régionales pour les semences est par conséquent une étape importante pour accroître la compétitivité de l’agriculture de l’Afrique, mais elle est loin d’être suffisante pour une croissance agricole rapide et peut n’avoir aucun effet si les agriculteurs ne peuvent toujours pas se permettre l’achat de variétés améliorées et des autres intrants nécessaires aux semences.
Marché intra-africain des semences en nette croissance
L’Afrique du Sud, la Zambie, l’Ouganda, le Malawi, le Kenya et le Zimbabwe ont été, dans l’ordre, les plus importants exportateurs de semences de maïs et représentent ensemble près de 97 % du total des exportations de l’Afrique subsaharienne de 2008 à 2011. Selon ces données, environ la moitié des exportations de semences de maïs de l’Afrique subsaharienne provient d’Afrique du Sud.
Cependant en termes de destination de marchés, une analyse plus approfondie des données de Comtrade révèle que seulement 40 % des exportations de semences de maïs de l’Afrique du Sud étaient destinées à d’autres pays africains, alors que la quasi-totalité des exportations des autres pays africains était écoulée sur les marchés régionaux.
Vue en ces termes, la Zambie se classe comme le plus grand exportateur de semences de maïs par rapport à d’autres pays africains avec plus de 41 % de commerce intra régional de semences au cours de la période couverte.
De belles perspectives pour le marché africain des semences
Le continent ne représente encore que 800 millions de dollars sur un marché mondial de 37,2 milliards de dollars. Mais, les perspectives démographiques sont extrêmement prometteuses, reconnaissent certains observateurs. La population doit plus que doubler, pour passer de 1 milliard d’âmes à 2, 2 milliards d’ici à 2050.
Un défi en termes de couverture alimentaire auquel les semenciers se font fort de contribuer, en promettant des rendements quatre fois supérieurs. Les besoins s’accroissent à grande vitesse, mais tout le développement agricole reste à faire sur un continent qui possède près des 2/3 des terres arables de la planète et d’énormes réserves d’eau.
Pour l’heure, le maïs blanc, base de la nourriture dans de nombreuses régions, règne en maître. C’est la céréale sur laquelle se concentrent les géants mondiaux. Elle représente à elle seule 80 % du marché des semences. L’enjeu pour les industriels du secteur est de remplacer les semences que les agriculteurs réutilisent d’une année sur l’autre par des hybrides incomparablement plus productives mais stériles, ce qui oblige les exploitants à en racheter chaque année.
Un marché mondial évalué à 30 milliards de dollars
Le marché mondial des semences, évalué à un peu plus de 30 milliards de dollars, est relativement stable et a un potentiel d’accroissement du fait de l’augmentation du volume requis par les pays en voie de développement. Mais aussi, grâce à la valeur accrue des semences obtenue par le biais des nouvelles technologies.
Le volume de semences en circulation au plan international, en constante hausse malgré quelques barrières sanitaires, se chiffre aujourd’hui à quelque 3,5 milliards de dollars. Les semences de plantes horticoles sont les plus exportées. L’industrie semencière est toujours caractérisée par une concentration, les 10 premières compagnies représentant seulement 20% du marché mondial. Cette concentration s’est davantage confirmée au cours des dernières années.
Par ailleurs, les analyses globales dissimulent la réalité au niveau des groupes d’espèces où l’on note une forte concentration. Enfin le marché des semences transgéniques augmente rapidement, ce qui ne manquera d’influer sur le marché semencier en général, mais aussi sur la structure même de l’industrie semencière mondiale.