Ce sont les trois premières productions agricoles à se voir décerner des Indications Géographiques Protégées par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) en Afrique au sud du Sahara : le miel blanc d’Oku, le poivre de Penja (produits du Cameroun) ainsi que le café Ziama-Macenta (produit de la Guinée).
Ce label, classé dans la lignée du droit d’auteur, des brevets d’invention, des marques de produits ou de service, confère des droits de propriété industrielle qui identifient et protègent un produit naturel, agricole, artisanal ou industriel originaire d’un espace géographique précis.
Le projet de valorisation de ces produits a été conduit par l’OAPI, l’Agence française de développement (AFD) et le Centre international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) aboutissant à la labellisation en 2013.
Si le label Indications Géographiques Protégées est le garant de l’origine géographique, c’est aussi la garantie de la qualité. Ce label est lié à un savoir-faire, il consacre une production existante et lui confère dès lors une protection à l’échelle nationale mais aussi internationale.
Les règles d’élaboration d’une Indication Géographique Protégée sont inscrites dans un cahier des charges et font l’objet de procédures de contrôle. Le lien entre un produit et son terroir a pour but d’en préserver les caractéristiques, tout en valorisant l’importance de ces denrées.
L’enjeu est la reconnaissance et la protection du patrimoine en tant qu’outil de développement économique. Les Indications géographiques protégées développées en Afrique, dans le cadre de l’OAPI sont des labels de qualité analogues aux IGP et AOP (appellation d’origine protégée) définies dans le cadre des politiques européennes de la qualité et de l’origine des produits agroalimentaires.
Penja et ses environs
Entre 2012 et 2013, le poivre de Penja cultivé dans la zone volcanique du Moungo dans la région du Littoral au Cameroun a obtenu la toute 1ère Indication Géographique Protégée africaine. C’est le deuxième poivre à obtenir ce titre, juste après le poivre de Kampot cambodgien. L’aire géographique de production du poivre de Penja couvre six arrondissements dans le département du Moungo (Manjo, Loum, Njombé-Penja, Mbanga, Mombo) et l’arrondissement de Tombel dans le département du Koupé-Manengouba (région du Sud-ouest).
Cet espace couvre environ 3000 km2, avec des sols volcaniques et un climat donnant des caractéristiques spécifiques. La presque totalité du poivre camerounais y est produite. Un article publié dans Journal d’Economie, de Management, d’Environnement et de Droit (JEMED) Vol 5. N° 2, 2022 note qu’« avant 2013, la superficie moyenne des champs de poivre était de 0,91 hectare. Elle est passée à 1,53 hectare après la labélisation, soit une évolution concrète d’environ 68 %. Cette augmentation s’inscrit dans le cadre de la création de nouvelles parcelles par les nouveaux producteurs »,
Le poivre de Penja fait partie des poivres d’exception, à la fois parfumé et puissant. 70 tonnes de poivre blanc sont produites chaque année autour de Penja, au Cameroun, par environ 300 producteurs, les exportations se chiffrent à 16 tonnes, selon le site internet spécialisé l’Ile aux épices. Pour l’agence ecofin en revanche, dans la région de Penja, 200 producteurs récoltent chaque année environ 300 tonnes de poivre par an, dont un tiers est destiné à l’exportation.
A Penja, on a atteint une production de 500 tonnes, mais la grande faiblesse c’est que 70% de cette production est vendue au marché local et seulement 30% est destinée à l’exportation,
selon Jean Marie Sop, le secrétaire exécutif du groupement des producteurs IG poivre de Penja, cité par le journal Mutations dans un article publié en octobre 2019. Si les données sur les quantités sont quelque peu extensibles, toujours est-il que la culture du poivre de Penja se fait à l’ancienne, récolté à la main deux fois par an. Après plusieurs tests à l’aveugle sur des sommeliers ou des chefs cuisiniers, le poivre de Penja remporte la majorité des voix. Certains grands chefs avouent d’ailleurs n’utiliser que ce poivre.
De 4,13 dollars US à 4,96 dollars US (2 500 à 3 000 F CFA) il y a des années, le prix du kilogramme de poivre de Penja oscillait entre 19,8 dollars US (12 000 Fcfa) et 23,1 dollars (14 000 F CFA) lors de la campagne 2015, selon un article du Monde Afrique. Le prix bord champ (aux planteurs) au kilogramme avait bondi de 4,13 dollars à 13,22 dollars (environ 2 500 F CFA à 8 000 F CFA) en 2013. « À la faveur de sa labélisation, le prix du kilogramme, épice prisée par les meilleurs cuisiniers à travers le monde, est passé de quatre dollars US (environ 2 500 Fcfa) à 23,1 dollars US (environ 14 000 FCFA), voire plus, soit une augmentation d’environ 460 % au cours des 4 premières années après labélisation (2013-2017) », précise le Journal d’Economie, de Management, d’Environnement et de Droit.
Contrefaçon
Mais ce journal s’empresse toutefois de faire un bémol, indiquant que cette aubaine pour les producteurs de Penja et ses environs semble progressivement se muer en cauchemar, à cause de la propension de la contrefaçon au niveau de la production et de la commercialisation :
Le poivre a de ce fait connu une déprécation au cours de ces 3 dernières années (2017-2020), avec des effets négatifs sur les prix qui ont connu une chute drastique pour se situer autour de 6,61-9,91 dollars US (4000-6000 FCFA) le kilogramme. Ainsi, l’engouement manifesté par les agriculteurs au lendemain de la labélisation pour la culture du poivre semble ne pas satisfaire aux nombreuses attentes des acteurs qui s’inquiètent du comportement des distributeurs dans les marchés nationaux et internationaux,
indiquent nos confrères.
En fait, la contrefaçon porte notamment sur la mise en marché des poivres produits au-delà de l’aire géographique de l’IGP ou importés de la sous-région d’Afrique centrale ou de Dubaï, sous le conditionnement du poivre de Penja. Elle consiste également à mélanger le poivre Penja sur des proportions de 80/20, soit 80 % du poivre de Dubai et 20 % du poivre de Penja, apprend-on.
Les flancs du Mont Oku
Toujours au Cameroun, le Miel Blanc d’Oku, cueilli à mi maturité sur les flancs du Mont Oku, est le premier miel avec indication géographique en Afrique subsaharienne. Culminant à 3011 mètres d’altitude, la forêt tropicale et protégée de Kilum Ljim, se situe sur les pentes volcaniques du Mont Oku, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. Elle couvre une superficie de 20 000 ha et offre une exceptionnelle biodiversité : d’innombrables fleurs, éléphants et singes côtoient des oiseaux.
Les modes de production ancestraux pratiqués par les apiculteurs de la région sont à l’origine de ce miel. A l’aide de ruches locales traditionnelles, ils capturent les abeilles dans les vallées avoisinantes en raison du climat plus favorable. Pour atteindre des endroits bien précis de la forêt de Kilum Ljim, les apiculteurs transportent ensuite les ruches sur plus de 15 km parfois, à dos d’homme. Cette forêt offre une biodiversité extraordinaire, car elle abrite d’innombrables espèces de plantes (pas moins de 150) dont la pollinisation par les abeilles donne au miel des qualités sans commune mesure.
Le climat humide, l’ensoleillement et la température ont une influence considérable sur la qualité du miel. Près de 400 familles productrices vivent de l’apiculture dans la région d’Oku. Cette activité artisanale occupe à la fois les femmes (tissage des ruches traditionnelles tressées à partir de bambou ou de raphia le plus souvent) et les hommes (récolte des essaims, transport des ruches, récolte du miel).
Des sites internet spécialisés Bio couvrent d’éloges le miel blanc d’Oku : « Un produit rare, blanc et récolté de manière traditionnelle. Le miel blanc d’Oku est connu pour son goût unique, savoureux et sa couleur blanche. C’est un miel entièrement naturel. C’est un des produits les plus rares en Afrique », flatte le site sevellia.
On attribue d’exceptionnelles qualités gustatives et d’innombrables bienfaits pour la santé au miel blanc d’Oku. Le site Internet sevellia en dresse un panorama. D’abord ses qualités culinaires : le miel blanc d’Oku est un produit sucré, fin et frais en bouche. Les saveurs fleuries et douces qu’il dégage sont un réel plaisir pour les papilles. Sa saveur et sa texture exceptionnelle accompagnent les tartines du petit-déjeuner, les préparations culinaires salées ou sucrées. Une cuillère de miel dans une boisson chaude apporte tonus et vitalité. Il est également meilleur que le sucre blanc : il dispose d’un pouvoir sucrant plus élevé avec moins de calories.
Autre atout, des bienfaits médicinaux incontournables : parmi les innombrables usages thérapeutiques et médicinaux de ce miel, on retrouve ses propriétés antiseptiques et antibiotiques. Ses propriétés cicatrisantes sont depuis longtemps utilisées en médecine pour le traitement des petites plaies. Il est d’ailleurs utilisé dans les hôpitaux dans le traitement des brûlures. Il aide aussi au soulagement en cas d’angine ou de mal de gorge. Le miel blanc agit également sur la sphère digestive. Il possède des propriétés diurétiques, laxatives et aide à lutter contre les constipations passagères. C’est un anti-stress. Il possède aussi un pouvoir antioxydant équivalent à celui de la majorité des fruits et légumes. Il possède enfin un indice glycémique plus faible que le sucre classique et demeure un choix plus avisé pour les personnes atteintes de diabète.
A en croire les données disponibles sur le site du ministère du Commerce du Cameroun, en 2015, ce pays a produit 3341 tonnes de miel et en a exporté 900. Une production en grande partie destinée à l’exportation vers le Nigéria et l’Europe où la demande est de plus en plus croissante. Cette forte sollicitation laisse présager de réelles opportunités pour le secteur apicole. Les investisseurs privés ont de quoi faire, qu’il s’agisse de produire, collecter ou conditionner ce produit forestier non ligneux.
Depuis la labellisation du miel Oku, son prix n’a cessé d’augmenter. Il est passé de 2,48 dollars le litre (1 500 Fcfa) à 8,26 dollars (5 000 Fcfa environ). Son label lui confère une garantie de qualité et partant, une augmentation des revenus des producteurs, ainsi qu’un meilleur accès aux marchés internationaux. Le défi majeur est l’extension des surfaces cultivées, la création des usines de conditionnement et la mise en place du circuit de transport.
En ce moment, le gouvernement, par le biais du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) cherche à moderniser et intensifier la production et à améliorer la qualité du miel à travers la formation et l’encadrement des producteurs privés. L’Etat a également pris pour option de créer des ruches stations, de sélectionner et de multiplier des colonies meilleures productrices et d’ouvrir des centres de collecte, de traitement et de conditionnement du miel,
lit-on sur le site du ministère du Commerce au Cameroun.
Le Mont Ziama
Comme le poivre blanc de Penja et le miel blanc d’Oku, le café Ziama de Macenta dans le Sud-Est de la Guinée, aux confins du Liberia et de la Côte d’Ivoire, est certifié par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). C’est un café robusta aux qualités dites exceptionnelles, proches de celle de l’Arabica. Il est cultivé en Guinée forestière sur le Mont Ziama dans les sous-préfectures de Orémaï, Sengbédou, Sérédou, Fassankoni, Kouankan et Zébéla. La qualité de ce café dépend fortement des opérations de récolte et de post-récolte, peut-on lire sur le site de l’OAPI.
Pour maximiser la qualité, les cerises doivent être récoltées de manière sélective à maturité en trois passages. Elles sont triées par trempage puis séchées au soleil avec des remuages réguliers. Le séchage se fait essentiellement au soleil sur claies pendant trois semaines. Les cerises sèches sont ensuite décortiquées mécaniquement en évitant les brisures.
En 2013, selon l’Agence Française pour le Développement (AFD), la Guinée a vendu 18 tonnes du café de Ziama. Une étude réalisée au cours de l’année 2000 par le Laboratoire en caféiculture au Centre régional de recherche agronomique de la Guinée forestière (CRRA-GF) a permis de savoir que le massif forestier de Ziama a une grande influence sur la qualité du café.
Ses principaux atouts sont son goût aromatique, acidulé et peu amer, ses arômes persistants, à la fois forts et fins, son rendement élevé à l’hectare, sa résistance par rapport aux différentes maladies. Les zones d’influence du mont Ziama sont situées dans le sud-est de la Guinée, dans la Préfecture de Macenta et couvrent les sous-préfectures de Orémaï, Sengbédou, Sérédou, Fassankoni, Kouankan et Zébéla. C’est une zone de forêt tropicale humide, d’une altitude moyenne de 570 mètres, caractérisée par l’alternance d’une saison sèche et d’une saison pluvieuse. Selon guineeconakry.info, ce café occupe une superficie moyenne de 160.000 hectares. La superficie moyenne par producteur est d’un hectare.
Outre le Poivre de Penja, le miel blanc d’Oku et le café ziama Macenta, d’autres Indications Géographiques sont protégées à l’Oapi. A savoir, le champagne ; le Scotch Whisky ; le cognac ; le riz Basmati, l’ananas pain de sucre du Plateau d’Allada-Bénin ; le Kilichi du Niger ; l’oignon violet de Galmi (Niger) ; l’échalotte de Bandiagara (Mali). Le Chapeau de Saponé (Burkina Faso) est la première indication géographique artisanale a avoir été protégée à l’OAPI.
Nos confrères de Jeune Afrique l’ont relevé fort à propos dans dossier intitulé Agriculture : sécurité alimentaire, le grand doute. Ils soulignent que l’Indication géographique protégée est un précieux sésame pour pénétrer les marchés européens et même les marchés internationaux tout court.
La garantie apportée à la qualité du produit permet de le vendre plus cher, d’augmenter les revenus des producteurs, sa distribution et son exportation aussi sont améliorées et offre une alléchante opportunité aux investisseurs.