Les Guinéens attendent depuis maintenant 65 ans de pouvoir tirer profit de la réserve de fer de Simandou. Pourquoi ? Voici l’histoire à rebondissement de la réserve de fer la plus convoitée au monde. Les explorateurs français identifient, dès le début du XXe siècle, d’importants gisements de minerai de fer à proximité des monts Simandou et Nimba, dans le sud-est de la Guinée, le fer entrant dans la fabrication de l’acier essentiel dans la construction des machines à laver, des voitures, des ponts, des gratte-ciels…
Mais il faut attendre l’ère Ahmed Sékou Touré pour que des informations parcellaires de l’existence de la réserve de minerai de Simandou éclatent au grand jour. Celui qui conduit alors les rênes de la République de Guinée, le chef de l’Etat, est peu sensibilisé des enjeux de cette découverte majeure.
En 1973, Ahmed Sékou Touré crée la société d’économie mixte Mifergui-Nimba dont l’État guinéen contrôle 50 % du capital, on évalue alors le potentiel de Nimba, réserve située à 150 km environ de Simandou, à plus de 800 millions de tonnes d’un minerai comportant plus de 67 % de fer. A Simandou, le potentiel n’avait encore jamais été sérieusement sondé.
Nippon Koei Consulting, bureau d’études japonais, recruté et chargé de mener les études s’investit pleinement dans l’évaluation du projet d’exploitation du fer de Nimba et de Simandou, et aussi celui de la bauxite de Dabola et Tougué, qui prévoit la mise en place du Transguinéen, un train reliant ces sites à un nouveau port en eau profonde, à construire au large de Conakry.
Officiellement présentés à la nation par le président Sékou Touré en 1974, ces travaux reposaient sur un principe économique qui ne s’est jamais concrétisé : la Guinée devait financer la construction du chemin de fer et du port. Diverses hypothèses ont ensuite été étudiées par d’autres cabinets de conseil mais, au final, il n’y a toujours pas de chemin de fer ni de port,
rappellent nos confrères de Jeune Afrique, dans un article publié en ligne le 10 septembre 2007, sous le titre « La route du fer va-t-elle enfin s’ouvrir ? ».
En fait, ce qui se passe alors c’est que l’échec de la mobilisation des financements nécessaires à cet investissement mêlé à la corruption à grande échelle des acteurs y compris les dirigeants guinéens plombent le projet. Le bureau japonais Nippon Koei Consulting n’a dès lors plus d’autre choix que de vendre l’étude à la société brésilienne Vale.
Le géant anglo-australien Rio Tinto est approché au milieu des années 1990 par le ministère des Mines de la Guinée, afin de prospecter le site de Simandou. Après plusieurs visites sur le terrain, le mastodonte minier se décide à demander une licence d’exploration.
Le président Lansana Conté, qui entre temps a opéré un coup de force en avril 1984, pour remplacer Ahmed Sékou Touré ,décédé aux Etats-Unis, délivre en 1997, sur les conseils du ministre des Mines, Fasciné Fofana, un permis d’exploration à Rio Tinto sur la totalité de la chaine du mont Simandou qui est alors composé de quatre blocs, pour une durée, tenez-vous bien, de 35 ans, à partir de l’exploitation.
Les travaux d’exploration débutent en octobre 1997. Le droit à une concession d’exploitation minière est reconnu à la société guinéenne Simfer SA, filiale à 100 % de Rio Tinto, par la loi du 25 mars 2003, après six années de longues négociations entre le groupe minier et une commission gouvernementale. Simfer SA est alors entièrement contrôlé par Rio Tinto, mais l’État guinéen, s’il le souhaite, a la possibilité décider d’entrer au capital à hauteur de 20 %.
Rio Tinto : se valoriser en bourse
Rio Tinto s’engage à développer la mine et à exporter du fer dans les cinq ans qui vont suivre, à défaut, il doit rétrocéder les mines à l’Etat guinéen.
En réalité, Rio Tinto signe le contrat pour lever des fonds sur le marché international car aucun coup de pioche n’est donné. Au bout de cinq ans, date de la rétrocession imposée par le code minier guinéen, Rio Tinto arrose quelques dignitaires et conserve indûment les quatre blocs,
accuse Alain Foka, dans une enquête sur la mine de Simandou diffusée sur sa chaîne Youtube, le 8 mars 2023.
Le géant anglo-australien multiplie les artifices pour se soustraire à ses obligations contractuelles :
Rio Tinto profite de bonnes relations avec Lansana Conté pour pérenniser l’illégalité : une concession sans étude de faisabilité, sans acceptation de l’étude par le ministère guinéen compétent, sans négociation avec un comité interministériel, sans vote en conseil de ministre, sans signature d’un décret présidentiel, sans approbation de ce décret par l’Assemblée nationale. L’énorme réserve sert à Rio Tinto à se valoriser en bourse,
persiste Alain Foka sur sa chaîne Youtube.
Dans ce contrat, il fallait attendre 35 ans pour que les infrastructures ferroviaire et portuaire reviennent à la Guinée. Et déjà par expérience, les rails après 35 ans deviennent une pourriture,
commente Moussa Magassouba, ingénieur minier, actuel ministre des Mines et de la Géologie de la Guinée, interrogé par Alain Foka au sujet des curiosités liées à la concession d’exploitation minière reconnue en 2003 à la société guinéenne Simfer SA, filiale à 100 % de Rio Tinto.
35 ans après, avec l’inflation, vous estimez cela à des dizaines de milliards de dollars. La Guinée ne sera pas techniquement capable de reprendre et de refaire ces infrastructures,
ajoute le ministre guinéen.
Dans ce cafouillage, Rio Tinto prétexte la nécessité de faire plus de recherche géologique entre 2002 et 2007 pour découvrir assez de minerai, pour justifier économiquement le développement de la mine mais surtout de l’infrastructure ferroviaire et portuaire.
Aussi, Rio Tinto prétend avoir découvert 2,5 milliards de tonnes d’une teneur en fer assez médiocre et que ceci ne peut supporter le coût d’un développement. « Il gagne du temps », commente Alain Foka. En fait, le géant minier ne se presse pas et n’a toujours fait aucun d’investissement dans la concession minière.
Valeur déclarée et réelle de Simandou
En fait, la réalité est toute autre. Et elle se dévoilera dans la foulée de la crise économique mondiale de 2008, qui contraindra Rio Tinto à licencier des milliers d’employés dans le monde. Le véritable déclencheur du mini-séisme autour de la valeur réelle de Simandou est l’offre publique d’achat (OPA) faite le 6 février 2008 par BHP Billiton (minier numéro un mondial), pour la somme de 147,4 milliards de dollars afin de racheter Rio Tinto.
Obligé dès lors de publier ses vrais résultats auprès des régulateurs boursiers à Londres et aux Etats-Unis, Rio Tinto déclare, à la surprise générale, entre 8 et 11 milliards de tonnes de réserve à des teneurs en fer très élevées. Ce qui place la valeur de Simandou seule entre 48 et 66 milliards de dollars, dans les actifs de Rio Tinto. Voilà qui permet à Rio Tinto d’échapper à l’OPA de BHP.
Du coup, les Guinéens découvrent la supercherie de Rio Tinto qui leur avait fait croire que Simandou n’avait que 2,5 milliards de réserve avec une faible teneur en fer. Il avait simplement divisé la valeur presque par cinq,
note Alain Foka.
Jusqu’en 2008, les droits de Simandou étaient détenus en totalité par la société Rio Tinto. Le gouvernement Lansana Conté l’en a dépossédée en août de cette année-là au motif qu’elle tardait à développer la mine.
Rio Tinto pèse de tout son poids pour empêcher cette rétrocession. En décembre 2008, quelques jours avant la mort de Lansana Conté, le gouvernement guinéen passe outre les réticences du géant minier et scinde Simandou en quatre blocs cédant deux blocs à Rio Tinto 3 et 4 et récupère les blocs 1 et 2 pour les attribuer à BSGR, du milliardaire israélien, Beny Steinmetz qui a fait fortune dans le diamant et qui est déterminé à s’assurer les droits d’exploitation de Simandou.
Cette société revend 51 % de ses parts au brésilien Vale pour 2,5 milliards de dollars, réalisant une gigantesque plus-value sur le dos des Guinéens et sans que le gouvernement n’en tire le moindre bénéfice.
BSGR s’allie au groupe brésilien Vale pour résister à la pression de Rio Tinto. Deux blocs achetés à moins de 100 millions de dollars et quelques investissements faits, BSGR vend 51% de ses parts à 2,5 milliards de dollars réalisant une gigantesque plus-value de 2,4 milliards de dollars sans que le gouvernement guinéen n’en tire le moindre bénéfice. Le mariage VALE-BSGR est établi,
raconte Alain Foka.
La plus grande affaire de corruption dans le secteur minier
Info ou intox ? Il se dit que BSGR a arrosé la quatrième femme de Lansana Conté, Mamadié Touré, d’une somme de 8 millions de dollars pour la convaincre d’obtenir auprès de son mari malade les blocs 1 et 2 de Simandou.
Les tribunaux internationaux vont être saisis avec la pression de Rio Tinto qui n’accepte pas de perdre ces deux blocs 1 et 2. La justice suisse se prononcera et validera la thèse de la corruption : l’homme d’affaires israélien Beny Steinmetz a été condamné à cinq ans de prison par un tribunal de Genève, dans un procès décrit comme la plus grande affaire de corruption jamais enregistrée dans le secteur minier.
Il a été reconnu coupable de corruption d’agents publics en Guinée, afin de prendre le contrôle des gisements de minerai de fer du pays. Le tribunal l’a également condamné à verser une indemnité de 50 millions de francs suisses (41 millions de livres sterling ; 56 millions de dollars) à l’État de Genève.
En 2010, apprend-on, VALE-BSGR est contraint de renégocier avec le gouvernement guinéen qui impose la construction à leur frais du chemin de fer Conakry – Kankan avant mars 2012 avec l’engagement de prolonger le rail jusqu’à Kérouane.
En retour, le gouvernement lui accorde des concessions fiscales minimales. Dans les blocs 3 et 4 obtenus par Rio Tinto, toujours pas un seul coup de pelleteuse. En janvier 2011, Alpha Condé accède au pouvoir. Suit la pose de la première pierre du chemin de fer Conakry-Kankan, en présence du chef de l’Etat brésilien Lula Da Silva. VALE-BSGR démarre les travaux.
Mais Alpha Condé arrête les travaux, donne les 40 km de voie ferrée à Vincent Bolloré avec la concession du port déclarant, par cet acte ferme, la guerre contre VALE-BSGR qu’il accuse d’avoir obtenu les concessions par la corruption.
Le colonel Mamadi Doumbouya rebat les cartes
Alpha Condé se retourne vers Rio Tinto avec qui il signe un accord pour effacer toutes les violations de la loi. En contrepartie, Rio Tinto verse à l’Etat 700 millions de dollars pour récupérer les bloc 3 et 4. Un argent qui n’arrivera jamais dans les caisses de l’Etat. Cet argent n’a jamais été retracé de façon claire au trésor public. C’est l’équivalent d’une centaine d’hôpitaux de référence, 1400 km de routes bitumées, des millions d’emplois,
commente Alain Foka…Beny Steinmetz attaque la décision qui donne les 40 km de voie ferrée à Vincent Bolloré à l’international, devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, c’est la guerre.
Le Brésilien VALE se retire du projet. Alpha Condé finit par négocier un accord avec BSGR ce qui permet de libérer les blocs 1 et 2 et de les céder à SMB group de Fadi Wazni. C’est en définitive SMB qui arrive avec Winning, ses associés singapouriens, financés par la Chine.
Au finish, deux mastodontes tiennent les quatre blocs à présent. Sur le terrain, la situation est la suivante : Winning Consortuim Simandou et Bawou contrôlent les blocs 1 et 2, de l’autre côté, intervient Rio Tinto allié au chinois Chinalco qui a rejoint le brésilien VALE en achetant ses parts à 2 milliards de dollars.
En effet, lorsque les militaires conduits par le colonel Mamadi Doumbouya renversent Alpha Condé le 5 septembre 2021, l’une des priorités est de remettre de l’ordre dans le projet Simandou qui a cumulé plusieurs années de retard, avec des infrastructures ferroviaires et portuaires restées au stade de projet.
Le colonel Mamadi Doumbouya montre une détermination à rebattre les cartes, évoquant un « Jeu de dupes qui perpétue une grande inégalité dans nos relations. Il faut la corriger, et c’est maintenant ! Je vous invite à cette démarche qui devient un impératif catégorique et non-négociable », menace-t-il, lors d’une réunion convoquée par ses soins regroupant autour de la table tous les partenaires du projet.
Le gouvernement guinéen a décidé de mutualiser le projet
Evoquant ce nouveau leadership supervisé par les militaires, Bocar Baïla Ly, conseiller principal du président Mamadi Doumbouya s’étonne encore de l’incongruité de la situation :
Nous avions deux grands mastodontes du secteur minier, qui avaient deux BOT (Ndlr Built Operate and Transfer) pour faire la même infrastructure. Nous avions deux mastodontes qui avaient des conventions avec des blocs bien précis qui leur étaient affectés, mais qui n’étaient pas exploités et qui permettaient à ces sociétés d’avoir des plus-values sur les marchés des capitaux.
Pour mettre un terme à cette bizarrerie, le gouvernement guinéen a décidé de mutualiser le projet en écartant l’idée d’un chemin de fer exclusivement minéralier.
Un accord cadre qui a permis de remettre les deux exploitants dans un véhicule qui leur permettra d’exploiter ces mines, de les transporter, de transporter d’autres minerai, d’autres produits agricoles, des produits d’élevage, des voyageurs qui traversent toute la Guinée. C’est un corridor,
raconte le conseiller principal du président Mamadi Doumbouya. Moussa Magassouba, ministre des Mines et de la Géologie de la Guinée renchérit :
Nous avons dit que les infrastructures ferroviaires seront multiusages et multiservices. Initialement, c’était prévu que ces rails-là étaient pour les minerais. Pour nous c’est un Transguinéen de 670 km. Si on ne transporte pas les produits agricoles, des produits d’élevage, des voyageurs, qu’est-ce que ça va rapporter à la Guinée ? ça rapporterait beaucoup plus aux miniers, mais très peu aux Guinéens,
dit-il.
La remise à plat a profité aux intérêts de la Guinée en plusieurs points : l’Etat ne paie plus les cabinets d’avocats et les études mais le projet en lui-même.
On est désormais sur une coentreprise avec l’Etat de Guinée qui est passé de 0% à 15% sans rien débourser. Pas besoin d’attendre 35 ans pour bénéficier de la manne que la nature lui a donnée. Les infrastructures devraient revenir à l’Etat de Guinée dès la construction.
Quitte à l’Etat, soit par une agence nationale, soit par un tiers, de les gérer et de payer les investissements faits par les deux partenaires. Les banques et les assurances chinoises ont pris le lead dans le financement de 15 milliards de dollars du projet Simandou. Les travaux du chemin de fer et du port devraient s’achever, selon le calendrier en décembre 2024.
Le pouvoir de négociation des pays africains
En Afrique, les grandes exploitations minières ont rapporté d’importants profits aux sociétés étrangères mais peu aux populations locales. Les profits miniers et pétroliers ont longtemps été transférés à l’étranger ou pillés par des dirigeants africains corrompus, sans bénéfice pour les populations.
Les Etats africains tentent aujourd’hui de canaliser une plus grande part des revenus miniers vers des objectifs de développement. Ce qui pose d’abord la question du pouvoir de négociation.
Pour Festus Mogae, ex-président de la République du Botswana, considéré comme un des pays africains ayant le mieux tiré profit de ses exportations de minerais,
la plupart des contrats miniers africains ont été négociés dans les années 1980 et 1990, quand les bas prix du marché mondial et les risques politiques importants décourageaient les investissements extérieurs dans le secteur minier du continent,
analysait-il, alors qu’il prenait la parole en décembre 2008, lors d’une réunion de la Banque africaine de développement (BAD). Les pays africains, notait-il, étaient contraints d’attirer les investisseurs en leur accordant des avantages comme de larges exemptions d’impôts et de redevances d’exploitation ; en conséquence, ces contrats rapportaient très peu dans de nombreux pays.
suggérait-il. C’est la formule adoptée par le gouvernement de transition en Guinée.
L’émergence de leaderships revendiquant un patriotisme économique fort, de gouvernements plus démocratiques ainsi que le militantisme de groupes locaux et d’organisations de la société civile ont renforcé les efforts pour que le secteur minier contribue mieux au développement.
Tout l’enjeu de la révision des contrats miniers n’est pas seulement important pour obtenir des revenus plus élevés, il s’agit surtout de répondre aux pressions d’organisations de la société civile et de populations qui veulent s’assurer que les contrats et les codes miniers prennent en compte la protection de l’environnement, l’indemnisation correcte des populations concernées et la restauration de l’état des terres après la fin de l’exploitation minière.
En général, les compagnies minières consacrent très peu d’argent aux indemnisations ou aux opérations de nettoyage des sites après la fermeture des mines.
Une telle forfaiture préjudiciable, pour la protection de l’environnement, n’est possible que parce que peu de pays possèdent des mécanismes adaptés à la régulation des effets des exploitations minières sur les populations.
Même là où elle existe, la législation sur l’environnement et l’indemnisation est rarement appliquée,
s’énerve un responsable du programme sur les industries extractives de l’organisation non gouvernementale britannique Oxfam.