L’hévéa est l’une des principales matières premières du continent à côté des hydrocarbures, des minerais et des métaux, mais aussi du cacao. Seulement, sa culture n’est pas très répandue sur le continent. La Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Libéria, le Ghana et le Cameroun sont cités comme étant les quatre principaux producteurs du caoutchouc en Afrique.
Entre ces principaux producteurs et les cinq autres pays ayant les plus faibles productions (Gabon, Guinée, République démocratique du Congo, Congo et Centrafrique), le fossé est trop grand. Dernier au classement, la RCA par exemple a récolté à peine 250 tonnes de plus en vingt ans de culture de cette plante.
En 2020, sa production se chiffre à 1 207 tonnes contre 845 tonnes en 2000 et 1050 en 2010. Le Gabon, lui, a doublé sa production entre 2000 et 2010, passant de 11 000 tonnes à 20 000 t, pour se situer à 23 941 t en 2020.
La Guinée elle, n’a récolté que 14 950 t en 2020, soit tout juste le double de sa production en 2000 (7000 t). De 2010 à 2020, la production du pays a augmenté de seulement 950 tonnes. La RDC elle aussi a récolté tout juste 1000 tonnes de plus entre 2010 et 2020, tandis que le Congo fait du surplace depuis le début du millénaire, passant de 1 258 tonnes à 2 348 t en 2020, (Rubber (Natural), FAOSTAT, Food and Agriculture Organization).
C’est tout l’opposé, disions-nous, de la Côte d’Ivoire et de ses quatre concurrents. En 1954, la France a introduit dans cette colonie de l’Afrique de l’Ouest les graines d’hévéa ramenées du Cambodge, à la suite de la déroute de l’armée de cette puissance coloniale à Diên-Biên-Phu, en Indochine française.
Première productrice sur le continent et 4ème dans le monde
Ce n’est donc pas fait de hasard si la Côte d’Ivoire est l’un des principaux producteurs d’hévéa sur le continent. Cependant, jusque dans les années 2000, la production ivoirienne du latex demeure insignifiante.
Elle connaîtra son véritable décollage dès 2009 à la faveur de l’adoption d’un ambitieux plan de financement mis en œuvre et approvisionné par le Fonds de développement de l’hévéaculture (FDH) d’un montant d’environ 40 millions d’euros sur neuf ans soit 26 milliards de francs CFA.
De 170.000 tonnes en 2005, la production ivoirienne d’hévéa, première en Afrique, n’a cessé de croître depuis lors : elle est passée de 468 000 tonnes en 2016, 603 000 t en 2017,602.000 t en 2018 (en-deçà des 720 000 t prévus un an plus tôt), 783.000 t en 2019 à 955.570 tonnes équivalent caoutchouc sec en 2020. Pas si loin de la hausse de la production de 20 % attendue depuis les prévisions de 2018.
2020 fut l’année décisive. La filière hévéicole ivoirienne se positionne au 4ème rang mondial, alors qu’elle était jusque-là 7ème. Les performances soulignées ci-dessus sont confirmées par l’Association des professionnels du caoutchouc naturel (Apromac), l’organisation faîtière de la filière ivoirienne d’hévéa.
La Côte d’Ivoire, petit pays producteur de caoutchouc naturel il y a une décennie, est en train de prendre sa place au sein des grands producteurs mondiaux,
déclarait en mars 2021 à l’AFP, Eugène Krémien, le président de cette association professionnelle. Selon les prévisions du ministre ivoirien de l’Agriculture, Issouf Sanogo, en poste au moment de ce bilan en mi-parcours, la production ivoirienne devrait atteindre le record de 2 millions de tonnes, soit le double du million de tonnes de caoutchouc naturel récolté il y a tout juste trois ans.
En 2020 déjà, elle représente 80% de l’ensemble du latex récolté en Afrique. Depuis 2018, elle en représentait 60%.
27,4 millions d’euros pour soutenir la filière ivoirienne
Pourtant, dès 2011, les acteurs de la production vont vite déchanter à cause de la baisse de leurs revenus, elle-même consécutive à la chute des prix mondiaux. En 10 ans, ils ont été divisés par cinq, et le cours du kg de caoutchouc est passé d’un peu plus de 1 000 F CFA le kg en 2011 à environ 274 F CFA en octobre 2016.
Les opérateurs du secteur pointent également un doigt accusateur sur la fiscalité asphyxiante. Notamment une taxes (parmi tant d’autres) mise en place en 2011, prévoyant un prélèvement par le gouvernement de 5% du chiffre d’affaires des cultivateurs.
Suffisant pour susciter le courroux des cultivateurs, et parmi eux le président de la corporation, Eugène Kremien, par ailleurs propriétaire d’une unité industrielle.
fulmine-t-il.
Tous dénoncent une décision ayant « siphonné la trésorerie des usiniers et bloqué leur capacité de transformation ». C’est cette réalité pour le moins poignante qui justifie l’action et la mobilisation du Fonds de développement de l’hévéa (FDH) qui, en 2016, annonçait pour sa part un plan d’investissement de 27,4 millions d’euros (18 milliards de F CFA) pour venir en aide à la filière, confrontée autant au poids des taxes qu’à l’effondrement du cours du caoutchouc naturel.
C’est dans ce même contexte que l’Etat ivoirien a initié, le Projet des chaînes de valeur compétitives et la transformation économique (PCCET) pour l’emploi à l’effet de booster les filières agricoles, y compris celle de l’hévéaculture.
Ces financements ont permis au pays de rivaliser un moment avec certains mastodontes asiatiques, fragilisés par la pandémie de la Covid-19, qui a provoqué la faillite de certaines unités industrielles. Les missions élargies dévolues à ce projet financé par la Banque mondiale s’inscrivent dans le cadre d’un dialogue public-privé et du Programme stratégique Côte d’Ivoire 2030.
Elles ont consisté, entre le 1er juillet et le 19 août 2022, en des échanges sur le terrain avec les acteurs du secteur hévéicole dans les régions de l’Agnéby Tiassa, de la Mé, de l’Indénié Djuablin, du Tonkpi, du Cavally, du Loh-Djiboua, de la Nawa et de San-Pedro, dans le sud-ouest du pays.
Le coordonnateur du PCCET, Arthur Coulibaly et ses équipes ont ainsi procédé à une analyse des contraintes de la chaîne de valeur hévéa dans la perspective d’une plus grande compétitivité et de l’accélération de l’accès au financement et la compétitivité des chaînes de valeur de l’hévéa, du palmier à huile, de l’ananas, de la mangue du karité, du plastique et du textile.
La finalité est la commercialisation des produits à forte valeur ajoutée.
330 000 emplois directs et plus de 27 usines
Grâce au soutien financier apporté par le Fonds de développement de l’hévéaculture, 110 000 hectares de plantations nouvelles ont été créés entre 2009 et 2018. Des pistes rurales ont été ouvertes et les « saigneurs » formés aux métiers de l’hévéa.
Au cours de cette période de forte croissance, le prix du caoutchouc sur le marché mondial avait atteint 5 000 dollars la tonne et les planteurs tenaient à en tirer le plus grand profit.
Dans les régions de l’est et de l’ouest ivoirien, considérées comme des bassins traditionnels de la production de cacao – la Côte d’Ivoire trône également à la tête du classement des pays producteurs mondiaux de cette culture –, beaucoup d’agriculteurs ont délaissé leurs plantations quand ils n’arrachaient pas simplement leurs plants pour les remplacer par de l’hévéa.
D’autant plus que cette plante produit dix mois sur douze, d’après un producteur approché à l’époque par l’AFP, et « générait alors des revenus mensuels consistants, contrairement au cacao qui ne fait que deux récoltes par an ».
Dans la mise en œuvre de ses ambitions, la Côte d’Ivoire s’est par ailleurs engagée dans un programme de formation de 70 000 travailleurs professionnels du caoutchouc pour assurer la qualité de sa production de caoutchouc.
Résultat : en 2021, la filière génère près de 330 000 emplois directs, et plus de 27 usines cumulent une capacité nominale de traitement d’environ 853 000 tonnes de caoutchouc sec par an.
L’on dénombre en outre environ 160.000 producteurs ivoiriens détenant 600.000 hectares de terres de culture de l’hévéa. Mais la production du pays est toujours loin de rivaliser avec les mastodontes asiatiques tels la Thaïlande, l’Indonésie et le Vietnam.
Le réveil de la Malaisie
Depuis l’amorce de leur dégringolade, les prix de l’hévéa ne se sont toujours pas améliorés. En octobre 2023, le kg est de 307F contre 317F en octobre 2021. En septembre, le kg coûtait 276F contre 335F au même mois il y a deux ans. Août 2023 n’a pas dérogé à la loi de la régression (277 F CFA) comparé au mois de janvier où il était de 298,00 F, ou encore à août 2021 (318F).
L’on attend de voir si la baisse va se poursuivre le mois prochain, alors que le kg de cette matière première se vendait à 343F en novembre 2021. La crise sanitaire mondiale débutée en 2020, n’a pas amélioré la situation.
Les Européens et les Américains, réputés jusque-là être le principal débouché de la production ivoirienne (entre 60% et 80% de la production de la Côte d’Ivoire étaient acheminés vers l’Occident), n’ont pas manifesté d’intérêt pour le latex de ce pays.
A ce facteur s’ajoute l’offre abondante proposée par les trois gros producteurs asiatiques (Thaïlande, Indonésie et Vietnam), toutes choses qui ont eu pour conséquence la surproduction à l’échelle mondiale. Dès 2017, la Malaisie, qui produit près de 90% du caoutchouc mondial, a fortement perturbé le marché et joué les trouble-fête avec l’arrivée à maturité de 100 000 hectares de plantations.
En trois ans, la production mondiale est passée de 9 millions à 13 millions de tonnes en 2017, alors que la demande n’a pas suivi. « Aujourd’hui on est à peine à 1 000 dollars la tonne », déplorait en 2018 le président de l’Association des professionnels du caoutchouc naturel (Apromac), Eugène Kremien. La profession prévoyait alors une chute de 10% des prix de la matière première fin 2018.
Des préservatifs et des gants chirurgicaux made in Côte d’Ivoire
Face au désintérêt des Occidentaux, la Côte d’Ivoire a été obligée de se tourner vers le marché asiatique et plus particulièrement vers la Chine, qui est désormais la destination de 80% du caoutchouc produit en Côte d’Ivoire. Car, déplore l’Apromac, « les majors du secteur (Michelin, Continental, Goodyear et Bridgestone) ont refusé de prendre nos commandes, c’est la Chine qui nous a tout acheté ».
Mais cette conjoncture a aussi nourri les ambitions des acteurs de la filière. Il est question désormais, selon le président de l’Apromac, de « faire en sorte que toute la plus-value » de la hausse de la production « se fasse en Côte d’Ivoire » pour mettre « sur le marché international un produit de qualité ».
La leçon que nous tirons : nous ne devons plus être dépendants de l’extérieur (…) et pouvoir assurer la consommation à nos concitoyens localement,
indiquait Eugène Krémien, sans exclure l’option de « travailler à la labellisation du caoutchouc ivoirien, un des meilleurs du monde ».
Les acteurs de l’hévéaculture ivoiriens envisagent la transformation industrielle du caoutchouc notamment la fabrication des gants chirurgicaux et de préservatifs pour satisfaire « les demandes nationale et régionale ».
Mais sur ce segment également, ils rencontrent sur leur chemin la rude concurrence du Sud-Est asiatique, leader du caoutchouc naturel, et leader dans le marché de la fabrication des gants en latex. En 2019, la Thaïlande, troisième fabricant au monde, en a produit 20 milliards, l’essentiel a été exporté.
Ce pactole de plus d’un milliard de dollars nourrit les appétits d’une Côte d’Ivoire qui se contente pour le moment d’une économie de rente dont les bénéficies sont soumis aux aléas du marché mondial. Le pays d’Alassane Ouattara envisage de s’investir dans la production de pneus dès 2025.
Un investissement de 210 millions d’euros annoncé
La Groupe français Société Internationale de Plantations d’Hévéas (SIPH), fondé en 1905, est fortement impliqué dans les activités de production, de transformation et de commercialisation du caoutchouc naturel en Afrique de l’Ouest.
Déployé dans les quatre pays de l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana et Libéria), il emploie 12 000 personnes et ambitionnait il y a quelques années d’investir près de 210 millions d’euros en prêt entreprise dans le but d’augmenter la capacité de traitement industriel de caoutchouc naturel et de renouveler des plantations vieillissantes d’hévéa et leur extension.
La finalité était d’impulser un développement industriel dans ces quatre pays où le Groupe détient des unités de production. Le montant comportait deux tranches, l’une de 15 millions d’euros d’une maturité de six ans, et la seconde d’un montant de 15 millions d’euros sur dix ans.
Le programme devrait permettre à la SIPH d’accroître la capacité de transformation de 260 000 tonnes en 2019 à environ 448 000 tonnes en 2025, tout en portant la production de ses propres plantations de 72 000 tonnes en 2019 à 100 000 tonnes en 2027. Le projet est censé générer un surplus de 1.200 emplois directs plein temps au minimum.
Pour le cas de la Côte d’Ivoire, le projet ambitionnait notamment de d’ajouter aux 700 000 hectares d’hévéas existants environ 100 000 hec supplémentaires d’ici à 2027, selon la Fédération des organisations professionnelles agricoles de producteurs de la filière Hévéa de Côte d’Ivoire (FPH-CI).
Le but final est de créer davantage de valeur ajoutée par l’accroissement de la transformation et la réduction conséquente à leur portion congrue des exportations, et de porter le taux de transformation primaire du caoutchouc à 100% d’ici 2025 et développer parallèlement la transformation secondaire.
Des pneus made in Cameroon d’ici 2025
Le Cameroun quant à lui a initié la construction de sa première usine de fabrication de pneus. Les travaux de démarrage devraient débuter ce mois d’octobre et s’achever en 2025. Les pneus connus sous le label « Afri Star » seront destinés aussi bien aux véhicules de poids lourd (pneus Tbr) qu’aux voitures de tourisme (pneus Pcr), a-t-on appris.
La société Cameroon Tyres Factory (CTF), qui est l’initiatrice de ce projet, est une nouvelle filiale du Groupe Neptune Holding Company et elle compte pourvoir 2500 emplois directs et au moins 5000 emplois indirects, aussi bien dans la phase de la construction des infrastructures que dans celle de la mise en service et l’exploitation de l’usine.
Le Groupe Neptune Holding Company est spécialisé dans le distribution des hydrocarbures au Cameroun, et il bénéficie de l’accompagnement de la firme finlandaise Black Donuts, selon des sources. Les responsables des deux entités partenaires ont été reçus le 29 avril dernier par le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana
Le coût des investissements est évalué à 600 millions d’euros, soit 400 milliards de francs CFA. Le capital de la Cameroon Tyres Factory est approvisionné à hauteur d’un milliard de francs CFA. Le 29 avril dernier, le principal promoteur du projet. L’autre enjeu de ce projet est qu’il va relancer la filière d’hévéa, fragilisée par la crise dans les deux régions anglophones du pays.
La production pourrait dès lors connaître une forte croissance. La production annuelle du pays a régressé de 58 027 t en 2000 à 54 864 t en 2010 pour s’établir à 47 100 t en 2020. Une chute en série. La guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a davantage grignoté sur cette performance.