Proposé au programme FISH4ACP au gouvernement camerounais en 2019, le Cameroun entend relancer les exportations des crevettes vers l’Union européenne, juste après 18 ans d’arrêt.
Avec une production de près de 5 300 tonnes de crevettes produites par an et issues de la pêche maritime, les principaux marchés sont recensés par ordre d’importance et au volume de crevettes pêchées avec notamment près de 4200 tonnes de crevettes de grande taille par an, destiné au marché national, le marché régional (Tchad, Gabon, Guinée Equatoriale, Nigeria et République Centrafricaine) quant à lui n’est pas en reste avec une production annuelle de 590 tonnes de crevettes par an.
Nonobstant les exportations vers la l’Asie (Chine, Vietnam, Malaisie), estimées à 290 tonnes par an, à en croire le rapport de synthèse de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, juillet 2023).
Un marché dominé par les crevettes d’aquaculture
La valeur totale des exportations de crevettes du secteur formel et informel du Cameroun serait comprise entre 1,6 et 4,6 millions de dollars Us, d’après les données issues d’une enquête menée par la Fao sur le terrain en 2021, dans le cadre du projet FISH4ACP. De cette enquête, il ressort qu’environ 126 tonnes de crevettes seraient auto-consommées pour de nombreuses pertes également, à en croire l’enquête.
Notons qu’en 2017 déjà, la production des crevettes issues de l’aquaculture oscillait autour de 55 millions de tonnes avec un pourcentage croissant de 39% par rapport à 2011. Cependant, la production mondiale de crevettes venant de la pêche s’élevait à environ 3,6 millions de tonnes la même année, avec une légère modération de 9% par rapport à 2011. D’où la nette augmentation observée au niveau des importations mondiales, notamment un taux de croissance annuelle cumulé de 9% de 2015 à 2019.
Ces importations tirées par la demande chinoise sont allées croissante cumulant à 73% d’après les données avancées par la l’International Trade Center (Itc) qui dresse un tableau comparatif des dix pays reconnus comme principaux importateurs de crevettes dans le monde en 2021. Parmi eux, l’on note dans ce tableau que les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l’Espagne, la France, l’Italie, la République de Corée, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Canada ont à eux seul importé 1,8 million de tonnes de crevettes en 2019, pour une valeur de près de 14 millions de dollars Usd et un taux d’importations mondiale de crevettes chiffré à 80%.
De ce fait, 27% pour les Etats-Unis et 22% pour la Chine représenterait cette année là (2019), la moitié de la valeur des importations mondiales de crevettes, suivis du Japon (8%), de l’Espagne (6%) et de la France (4%) selon Itc.
Les acteurs de la chaine de valeur
Au Cameroun, plus de 1000 pêcheurs artisanaux et spécialisés dans la pêche des gambas et crevettes grises travaillent au sein de 380 équipages comportant environ 50 grossistes et 70 détaillants. Parmi eux, l’on peut compter dix armateurs de pêche industrielle.
Souvent pratiquée au Cameroun par des navires industriels communément appelés crevettiers ou chalutiers, ou parfois par des pêcheurs artisanaux, ces différents acteurs impliqués dans les activités aquacoles capturent un plus de 4200 tonnes de crevettes chaque année pour les industriels et à peu près de 1100 tonnes pour les pêcheurs artisanaux.
Ce qui revient à un total annuel d’environ 5 300 tonnes de crevettes de grande taille péchées au Cameroun. Parmi les acteurs qui interviennent dans le secteur de la crevette, l’on note également la présence des exportateurs et des distributeurs. Pour ce qui est des exportateurs, deux sociétés, à savoir Etablissements KSL et Ndum&Sons disposent d’un avis technique d’exportation du ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia) et sont les seules sociétés officiellement habilitées à exporter leur capture après l’autorisation du ministère camerounais du Commerce.
C’est alors 7% des captures, soit 290 tonnes de crevettes qu’elles exportent par an vers la Chine, la Malaisie ou le Vietnam. Toutefois, les crevettes sont exportées entières, congelées et crues. Malgré le fait que l’exportation informelle ne soit pas encore documentée, elle reste tout de même estimée au moins à 13% soit environ 590 tonnes d’exportations annuelles vers le Tchad, le Gabon, la République centrafricaine, la Guinée équatoriale, et le Nigeria.
D’autres acteurs à l’instar des distributeurs (qui préfinancent les sorties en mer des pêcheurs artisanaux) et des transformateurs (qui décortiquent et fument les crevettes etc), complètent les intervenants qui jouent un rôle important dans cette chaine de valeur.
Différence de production entre pêcheurs industriels et artisanaux
Les pêcheurs industriels pratiquent l’affrètement. Cependant, les sociétés nationales de pêche endossent un rôle administratif pour lequel elles reçoivent une contrepartie financière de la part des sociétés étrangères selon (Njock et Njifonju 2001 ; Koranteng et al., 2014). Disposant en moyenne de quatre navires, les sociétés de pêche industrielles peuvent pêcher environ 421 tonnes par an, un quota qui augmente considérablement pour atteindre les 4200 tonnes annuelles lorsqu’une société industrielle met au moins dix de ses armateurs à la pêche.
Après la pêche, les crevettiers sont débarqués dans les ports autonomes de Douala et de Kribi. C’est pourquoi en 2019, si l’on se focalise sur les données officielles avancées par le Minepia, l’on note que la flotte camerounaise comprenait 57 navires détenteurs d’une licence dont sept crevettiers et cinquante chalutiers. Mais seuls 83% de ces bateaux sont simultanément actifs et le reste immobilisés pour maintenance, car âgés entre 30 et 50 ans.
Après la pêche, les armateurs vendent principalement 84% de Gambas et fournissent 85% de leur capture aux grossistes. À cela, seulement 1% de leur prise est destinée aux transformateurs artisanaux, 6% de leur production prend la direction des hôtels, ménages, restaurants qui représentent les consommateurs finaux.
Ils mettent également 7% de leur prise aux exportations formelles 1% à l’autoconsommation, pour enregistrer des pertes de l’ordre de 1%. Pour ce qui est des pêcheurs artisanaux, ils se regroupent généralement par équipage de deux ou quatre individus avec pour principaux sites de débarquements dans les ports de Youpwé à Douala, Mboamanga à Kribi, les plages d’Idenau etc.
Après deux à six sorties par semaines, la moisson reste maigre avec des prises en crevettes variant entre 5 et 25 kg par semaines pour 250 à 5000kgs par an soit une moyenne de 2,8 tonnes de prises par équipage. De ce fait, les pêcheurs artisanaux vendent directement 37% de leur capture aux consommateurs finaux, 32% aux détaillants, 25% aux grossistes et 1,2% est destinée aux transformateurs locaux.
Contrairement aux ventes des pêcheurs industriels, celles des pêcheurs artisanaux sont plus diversifiées avec notamment 67% de volumes vendus pour les Gambas, 12% de crevettes grises, 11% de crevettes roses et 5% de crevettes tigrées constituent le tiers d’espèces de plus faible valeur. L’autoconsommation quant à elle se chiffre à 2% et celle des pertes d’environ 3% chez les pêcheurs artisanaux suite au mauvais conditionnement et de stockage à bord des pirogues.
Quelques hypothèses sur les prix et revenus
Dans l’attente d’une analyse détaillée des opportunités de marché et de la compétitivité des crevettes du Cameroun, l’hypothèse à retenir est que les marchés européens, américains et japonais offrent les meilleures options pour le commerce de crevettes de grande taille issues de la pêche au Cameroun.
Pour cela, des gambas crues entières se négocient au détail entre 25 et 70 dollars le kilogramme sur le marché français, à en croire la source (Comptoir des mers, 2015). Les prix connaitront une augmentation annuelle de 5,73% selon les estimations de la Banque mondiale de 2021 et qu’en 2026, les crevettes seront en moyenne vendues à 10, 5 $ /kg sur le marché local, 17,2 $/kg sur le marché régional, 10,5 $ /kg à l’export vers l’Asie et 29, 3$/kg sur les marchés rémunérateurs.
Quant à l’hypothèse sur le revenu, les modèles commerciaux améliorés vont permettre de vendre des crevettes à des prix plus élevés tout en maitrisant en 2026 et 2032, les même quantités de crevettes qu’aujourd’hui soit environ 4212 tonnes. À cela, il ne faut pas omettre que les ventes d’une société de pêche industrielle pourraient passer de 3,5 millions $ par an (2021), à 5,2 millions $ en 2026, pour une croissance de 47% en cinq ans soit un taux d’accroissement de 11% en moyenne par année.
En outre, les bénéfices nets réalisés par une société de pêche industrielle vont croitre selon les hypothèses retenues de 0,86 millions $, en 2021, à 1,3 millions $ en 2026, soit une croissance annuelle d’environ 13% en moyenne.
Opportunités et menaces du marché
Les marchés les plus porteurs pour la crevette camerounaise sont ceux la France, du Vietnam, de l’Espagne, des Etats-Unis et de la Chine. Dans les marchés comme ceux de la France, des Etats-Unis ou encore de l’Espagne, les crevettes camerounaises de grande taille pourraient pénétrer le marché avec un produit certifié, conforme aux normes de qualité de l’Union européenne.
Avec son potentiel inexploité vers plusieurs pays, la crevette camerounaise pourrait accroitre la valeur des exportations de presque 70, à en croire l’International Trade Center 2021b. Des défis tels que l’obtention d’un agrément d’exportation à destination de l’Union européenne restent néanmoins à relever pour accéder à ces marchés.
La Chine et le Vietnam présentent déjà un avantage, puisque certains canaux d’accès existent déjà. Ici, le Gabon et la République centrafricaine apparaissent comme des pays vers lesquels il est facile de commercialiser le produit en raison de la proximité géographique et de leur appartenance à la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
Lorsqu’on analyse la chaine de valeur des crevettes de grande taille au Cameroun, les différentes options stratégiques qui émergent concourent autour des opportunités et menaces parmi lesquels il faut enrayer l’épuisement des stocks de crevettes qui constitue une menace et au travers desquels l’on pourrait procéder au suivi de l’état de la ressource et au contrôle de l’effort de pêche appliquant et faisant respecter la législation en vigueur.
Il faut par la suite appuyer le positionnement du Cameroun sur le marché international des crevettes de grande taille par le développement d’un produit labellisé afin d’accéder aux marchés les plus rémunérateurs et enfin, appuyer des initiatives d’ajouts de la valeur et l’émergence d’une industrie de transformation crevettière, en utilisant les canaux de commercialisation existants afin de se positionner sur les marchés innovants.
Ainsi, pour réaliser cette vision stratégique à l’horizon 2032 visant à améliorer la production et la compétitivité de la chaine de valeur pour le bien-être des acteurs et pour une pêche durable et contrôlée, un effort de pêche maintenu à un niveau stable (5000 tonnes de crevettes pêchées par an).
L’on note actuellement que 91% de la prise des sociétés de pêche industrielle est vendu sur le marché local soit 3818 tonnes, pour 7% seulement d’exportations vers les pays d’Asie (291 tonnes). Ces sociétés n’ont pas accès aux marchés européens, japonais et américains qui restent très lucratifs. En se basant sur les données d’enquête de la Fao de 2021 dans le cadre du projet
FISH4ACP, il ressort que l’accès aux marchés internationaux les plus rémunérateurs reposera sur les sociétés de pêche industrielle, avec pour objectif de relancer les exportations vers l’Union européenne et d’exporter 10% de la pêche industrielle soit 421 tonnes de crevettes à moyen terme en 2026 et 40% (1685 tonnes) vers les marchés rémunérateurs en 2032.
En savoir plus : Le business des crevettes et son fort potentiel économique au Cameroun