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L’avenir prometteur de l’électricité par ingestion de déchets organiques, une mine d’or ignorée, inexplorée et sous-exploitée

Le continent accuse un énorme retard dans la valorisation de ses déchets organiques. Mais il n’est jamais trop tard : depuis quelques années, l’on observe çà et là un regain d’intérêt ainsi que des initiatives. L’Algérie, le Malawi, le Ghana et bien d’autres pays du continent mettent progressivement en place des initiatives.

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En Afrique subsaharienne, les réalités sont les mêmes d’une ville à l’autre. Des ordures ménagères, mélangées parfois aux autres déchets, organiques et industriels, saturent, forment des chaines de montagnes de plusieurs mètres de hauteur. Cet amoncèlement s’est accéléré à la faveur du boom de l’urbanisation.

Les villes ghanéennes en sont une parfaite illustration. Tout comme celle de Kinshasa en République démocratique du Congo. La capitale congolaise non seulement est plus peuplée que les autres villes du pays, mais en plus, elle souffre d’une gestion au rabais des déchets urbains. Malgré toutes leurs initiatives louables, les autorités semblent débordées.

Par conséquent, des déchets sont déversés aux abords des rues, quand ils ne sont pas jetés dans les caniveaux, les drains et les rivières. Ils constituent ainsi une source de pollution hydrique, de l’environnement tout court.

Les experts affirment que les déchets saturant la ville de Kinshasa sont principalement d’origine végétale. Pourtant, les techniques d’enfouissement couramment utilisées ici se sont révélées inefficaces. Tout comme l’incinération desdits déchets. Ce qui explique le foisonnement des cas de maladie, comme l’attestent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’auteur M. Bagalwa, dans leurs rapports publiés respectivement en 1994 et en 2013.

12 à 15% des Kinois sans accès au service public de l’électricité 

Ces deux organismes sont mentionnés dans une étude réalisée en mai 2015 par cinq experts multi-nationalités et publiée sous le titre « Potentiel d’élimination des déchets végétaux (feuilles de Mangifera Indica et de Manihot Utilissima) par méthanisation à Kinshasa (République démocratique du Congo) ». Le rapport a été publié dans le volume 5 de l’édition de mai 2015 de la revue électronique en sciences de l’environnement Vertigo. 

Pourtant, au-delà de la forte croissance démographique dont il est crédité, le continent africain ne parvient toujours pas à satisfaire sa population en matière de fourniture électrique. Selon la revue évoquée plus haut (citant par ailleurs Kitenge, 1988 et Lelo, 2008), 12 à 15% de la population kinoise n’a pas accès à l’énergie fournie par la Société nationale d’électricité (SNEL), l’opérateur du service public de l’électricité en RDC.

Kheira Nawel Benaïssa, pionnière des biodigesteurs en Algérie

C’est donc tout logiquement que les déchets organiques constituent depuis quelques années une mine d’or vert très convoitée par certains pays du continent. Malheureusement, cette ressource demeure inexploitée ou inexplorée, quand elle n’est simplement pas ignorée par d’autres pays pourtant confrontés aux mêmes problèmes énergétiques.

C’est ce qui explique le regain d’intérêt manifesté depuis quelque temps par des chercheurs, africains et occidentaux confondus, pour cette source d’énergie durable et écologique. Car, contrairement au méthane couramment utilisé dans les ménages, le biogaz découlant de la fermentation et de la dégradation des déchets organiques ne constitue pas un gaz toxique et polluant.  

Grâce à sa start-up Queen Al, créée en 2021, l’Algérienne Kheira Nawel Benaïssa, propose des solutions à l’électrification des zones isolées de son pays au moyen du biogaz. Après ses études doctorales consacrées à la gestion des déchets et la pollution des écosystèmes, la directrice générale de Green Al-Energy est préoccupée par les inégalités d’accès à l’électricité et s’engage dans la production de l’électricité verte au profit des zones isolées et privées d’accès à cette énergie.

Créez leur propre biogaz et électricité à partir des déchets organiques

L’enseignante-chercheuse Kheira Nawel Benaïssa a conçu son premier biodigesteur mobile de 15 mètres cubes dans la région de Tamanrasset, au sud de l’Algérie, non loin de la frontière nigérienne. Les résultats de ses travaux ont été exposés dans un livre. Les biodigesteurs mobiles sont destinés principalement aux agriculteurs, aux restaurants et aux particuliers. Ils ont ainsi la possibilité de créer leur propre biogaz et électricité à partir des déchets organiques.

L’initiative de la fondatrice de Queen Al lui a valu plusieurs prix dans de nombreux challenges dont le Algeria-Climat-Change-Challenge A3C Emerging Mediterranean. La Pme de Kheira Nawel Benaïssa explore des opportunités de marché en Espagne et en Afrique de l’Ouest notamment au Nigéria, dont elle annonce le début de l’offensive pour bientôt.

Ses tentatives d’exportation en Roumanie n’ont pas connu le succès escompté, selon l’Algérienne, invitée il y a quelques mois d’un magazine économique à RFI. 

C’est en 1938 que le biogaz a été produit pour la première fois en Algérie grâce à deux Français, avant de connaître le déclin consécutif à la découverte des énergies fossiles, et notamment le pétrole et le gaz.

535 kilowatts à générer grâce au biogaz

Toujours en Algérie, le Centre d’enfouissement technique (CET) d’El Biar a fait de l’autoconsommation de l’électricité bas-carbone son cheval de bataille. Situé dans la banlieue sud de la ville de Batna, il s’est doté de trois puits de captage du biogaz, ayant chacun une profondeur de 4 m. le processus est le même : des micro-organismes ingèrent des déchets organiques, favorisant ainsi leur fermentation qui génère le gaz.

Les trois puits captent donc le biogaz, alimentant une centrale d’électricité de 35 Kw. Si le CET d’El Biar possède des installations aux normes pour l’incinération des déchets médicaux dits spéciaux, l’électricité qu’il générera va permettre de satisfaire les besoins de la population de la localité.

Le projet développé par l’Université de Batna-1, a bénéficié du partenariat et de l’appui des autorités de la ville Batna.  La phase 2 prévoit la construction, au cours des prochains mois, de cinq puits de captage supplémentaires de 20 m de profondeur chacun. Ils vont alimenter une centrale électrique de 500 kW.

Le biogaz issu des puits de captage pourra aussi être utilisé pour produire du carburant pour les véhicules, grâce aux ressources importantes que constituent les déchets polluants,

a récemment affirmé Belkacem Aouane, du département de physique à la Faculté des sciences de la matière à l’université de Batna-1, et responsable du laboratoire de physique énergétique appliquée.

Au Malawi, la BAD au secours d’EcoGen

Au Malawi, l’entrepreneur Clement Kandodo utilise des excréments comme matière première pour produire le biogaz et partant, l’électricité. Ces déchets organiques subissent le cycle de dégradation grâce à leur fermentation. Le gaz généré à travers ce processus permet de produire de l’électricité qui peut être aussitôt injectée dans le réseau électrique, apprend-on.

Le 18 décembre 2020, lors de la compétition AfricavsVirus Challenge, la start-up EcoGen, dont Clement Kandodo est promoteur, a été sélectionnée parmi des entreprises bénéficiaires d’une subvention annoncée par la Banque africaine de développement (BAD) et estimée à 20 000 USD.

Pour avoir proposé des solutions technologiques durables pour la production des énergies renouvelables et la promotion de l’économie circulaire au profit du pays où elle est implantée, EcoGen a ainsi l’accès aux services d’aide au développement.

Les femmes qui cuisinent au bois passent en moyenne 7 heures par semaine à en ramasser. En outre, le processus d’allumage du foyer, de cuisson et de nettoyage avec la biomasse consomme en moyenne 4 heures de temps par jour. Cela signifie une perte de temps, temps qui pourrait être utilisé pour la génération de revenus, l’éducation ou d’autres activités,

expliquait son promoteur Clement Kandodo.

Au Ghana, 6 millions d’euros pour financer le biogaz

La solution EcoGen s’est révélée d’une très grande utilité lors de la pandémie de la Covid-19. Elle a permis aux agriculteurs et aux familles en particulier d’économiser leur temps, mais surtout d’éviter des déplacements justifiés par les soucis d’engrais et de nutrition.

Le Ghana procède chaque jour à l’élimination de plus de 12 000 tonnes de déchets urbains, qu’il s’agisse des ordures ménagères, des déchets artisanaux et industriels. Seulement, la destruction desdits déchets biologiques n’obéit à aucune règlementation, polluant la nature et exposant ainsi la population à des maladies respiratoires, à en croire des experts. 

Pour résoudre cette difficile équation, les partenaires du projet germano-ghanéen Waste2Energy ont construit à Gyankobaa, dans la région très peuplée d’Ashanti, une usine hybride en vue de la valorisation des déchets produisant de l’énergie photovoltaïque et le biogaz. Le projet est financé à hauteur de 6 millions d’euros par l’Allemagne. 

Depuis mai 2022, la transformation des déchets dans cette usine a permis de générer de l’électricité directement injectable dans le réseau électrique national, parmi tant d’autres produits. La mini-centrale hybride permet ainsi d’économiser chaque année 4000 tonnes d’émissions de dioxyde de carbone (gaz à effet de serre), dont une partie est générées par l’incinération des déchets dans les décharges.

Le financement du projet va se poursuivre jusqu’à fin 2023 et ses promoteurs envisagent la formation d’une vingtaine d’étudiants issus de plusieurs universités et instituts de recherche ghanéens, de l’université Rostock et de la SRH Berlon University of Applied Sciences. 

D’autres bonnes nouvelles viennent du Cameroun où la technique de la production de l’électricité par ingestion de déchets organiques, a le vent en poupe. 

Un niveau de production des déchets organiques encore très faible en Afrique 

Toutes ces initiatives sont louables. Mais le niveau de production des déchets organiques en Afrique subsaharienne demeure très faible. Selon des statistiques, les habitants de cette région du globe produisent en moyenne 0,29% tonne de ce type de déchets.

L’enseignant-chercheur Hugo le Picard est spécialiste des questions de pauvreté énergétique, d’accès à l’électricité et au financement d’infrastructures électriques en Afrique subsaharienne, par ailleurs consultant depuis 2018 à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Dans une étude publiée en septembre 2019 et intitulée « Gestion des déchets et production de l’électricité en Afrique : l’incinération au service de la ville durable ?», il déplore le fait que

le niveau de production des déchets par habitant [en Afrique] demeure encore plus faible que dans les autres régions.

Pourtant, se réjouit-il, le boom démographique et l’urbanisation accélérée, que prédisent les experts çà et là, devraient faire tripler la production africaine des déchets.  

Le milliard d’habitants subsahariens a produit autant de déchets en 2016 que la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni. La même année, les habitants subsahariens ont produit environ 0,46 kg de déchets par personne par jour, en dernière position et près de cinq fois moins que les Nord-Américains (2,2 kg). La production de déchets dans la région va passer de 174 millions de tonnes (mt) en 2016 à plus de 516 mt en 2050 et pourrait bien continuer d’augmenter jusqu’au-delà du XXIe siècle,

poursuit-il.

Paradoxalement, le déficit énergétique se creuse autant que le niveau de collecte des déchets organiques demeure faible et largement inférieur à leur niveau de production. Il n’en demeure pas moins que le biogaz a de meilleures perspectives. 

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