Plusieurs plans de développement sont élaborés à l’intention du continent africain, mais on n’observe pas de manière concrète une transformation structurelle dans les pays de la région, d’après vous qu’est ce qui fait problème ?
Cela vient principalement du fait que le processus de développement est un processus de longue durée. L’Afrique ne manque pas de vison, ni de stratégie de transformation, encore moins de plan de croissance, mais il faut que nous ayons une saine appréciation du contexte mondial, des réalités des rapports de force qui existent entre les pays du Nord et les pays du Sud ; Dans cet ordre économique mondial, il y a eu une division du travail qu’il ne faut pas négliger en termes d’appréciation des performances.
L’Afrique tient une place importante et stratégique pour ce qui est de la fourniture des matières premières stratégiques et des minerais critiques dans plusieurs chaînes de valeurs mondiales. Car pendant des siècles, le continent africain a évolué dans un contexte mondial commercial et industriel difficile, jouant le rôle de continent fournisseur principalement de matières premières aux puissances occidentales. Et dans cette division de travail, le rôle de bon nombre des pays industrialisés était de faire de telle sorte que les économies d’Afrique puissent effectuer pleinement cette fonction.
Aujourd’hui, si nous partons de l’appel qui a été lancé le 25 novembre 2022 à Niamey lors du 17e sommet de la session extraordinaire des chefs d’États de l’Union africaine, il est demandé que les économies de l’Afrique passent à l’action pour rapidement s’armer de plans directeurs d’industrialisation et de diversification économique. En effet, on a compris que le développement passe nécessairement par l’industrialisation. Sauf que cette étape n’a pas encore été franchie au niveau du continent africain.
Ainsi, ce qui manque c’est de savoir comment mobiliser toutes les ressources pour s’industrialiser, car la part de l’Afrique en termes de performance se situe à hauteur d’environ 2% seulement de la valeur ajoutée manufacturée mondiale. Cela est très insuffisant pour que l’Afrique se fasse une place dans le concert des nations industrialisées.
Précisément, quelle stratégie mobiliser pour industrialiser l’Afrique ?
Déjà au niveau de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, nous pensons que l’Afrique doit rompre avec les stratégies qui ne marchent pas. En outre, ce qui manque déjà, c’est la transformation sur place des matières premières stratégiques, ou la transformation locale des minerais critiques (je veux dire critique aux autres économies du monde).
Toutes les économies du continent ne participent au commerce mondial que pour enrichir les autres économies du monde. Ce dont les économies africaines ont besoin c’est de s’inscrire systématiquement dans une logique de développement des chaînes de valeurs locales, nationales, régionales et intégrées pour que nous puissions créer de la richesse sur place. Cependant, pour pouvoir le faire, il faut des compétences essentielles ; des compétences en matière d’ingénierie, des compétences technologiques dans tous les domaines.
Pour cela, il faudrait d’abord identifier les chaînes de valeurs prioritaires, c’est-à-dire les chaines de valeurs pour lesquelles la région présente des avantages comparatifs les plus évidents. Je vais prendre le cas de la transformation locale du cacao qui va aider une économie comme celle de la Côte d’Ivoire (qui en est un grand producteur), à mobiliser des ressources pour s’industrialiser. Je prends également le cas du café éthiopien.
Quels sont les secteurs à prioriser dans le processus d’industrialisation de l’Afrique ?
Nous avons aujourd’hui des économies africaines qui se sont investies dans l’agriculture mais nous sommes seulement aux premières étapes de la transformation des produits agricoles. Nous ne sommes pas dans les segments les plus lucratifs pour ce qui est de la transformation des produits agroalimentaires. C’est la même chose pour l’économie du pétrole. Toutes les sous-régions de l’Afrique sont importatrices des produits raffinés du pétrole. Or, l’Afrique centrale détient une partie de la solution pour des produits raffinés du pétrole qui permettraient d’approvisionner les quatre autres sous régions qui ceinturent l’Afrique centrale. C’est pour dire que le secteur de l’énergie par exemple est une véritable piste à exploiter en Afrique centrale.
Par ailleurs, il faut commencer par développer la chaîne de valeur du pétrole, il faut pouvoir aller jusqu’au bout de la transformation du pétrole. En réalité, les approches qui manquent aujourd’hui sont celles de la valorisation et de la promotion des chaînes de valeurs régionales. Il faudrait que chaque sous-région soit armée d’un plan directeur d’industrialisation et de diversification économique qui doit être mis à exécution à travers la mise en œuvre de l’approche systématique de développement des chaînes de valeurs locales, nationales, régionales et continentales. Ces chaînes de valeurs doivent être opérationnalisées à travers ce que j’appelle la mise en place des zones économiques spéciales nouvelles générations auxquelles nous ajoutons les zones économiques spéciales sur mesure pour valoriser les richesses du terroir et valoriser nos artisans.
Comment garantir le financement des plans directeur d’industrialisation et de diversification économique en Afrique ?
Lors du 17e sommet extraordinaire des chefs d’États de l’UA, la décision a été prise au plus haut niveau de recommander à tous les États membres de passer à l’acte pour mettre en place des plans directeur d’industrialisation et de diversification économique. Toutefois, nous reconnaissons que décider et donner des recommandations c’est quelque chose, mais l’application de ces décisions en est une autre.
Nous préconisons que chaque pays doit insérer ces plans dans des lois notamment la loi des finances, car on sait tous que nul n’est au-dessus de la loi dans un pays. Cela permettra de mettre des moyens (des financements propres) à la disposition de chaque État. Car nous ne pouvons pas prétendre vouloir s’insérer dans un espace mondial qui est suffisamment concurrentiel et compétitif et compter sur le financement des autres pour la mise en œuvre des plans de développement. Le développement des plans d’industrialisation et de diversification économique doit se faire en Afrique, sur des fonds propres, sur des budgets nationaux, à partir des lois de finances qui donnent les moyens concrets à la mise en œuvre accélérée de ces plans. Ce qui n’est pas encore le cas.
Le domaine de l’industrialisation doit bénéficier d’un traitement spécial, je dirais même que les plans d’industrialisation et de diversification économique doivent être des initiatives présidentielles au niveau de chaque pays en Afrique. Il doit par exemple être inscrit au même niveau d’attention que le secteur de la sécurité. C’est à ce prix que les économies du continent qui sont quasiment absents dans l’espace industriel pourront se faire une place autour des grands pays industrialisés.
Propos recueillis par Leonel Douniya