En novembre 2023, Ciment du Portugal (Cimpor) Cameroun s’installait dans la zone logistique et industrielle du port de Kribi. L’entreprise a opté pour des procédés innovants en choisissant comme matière première l’argile pour produire le ciment (argile flashé ou activé) grâce à une technologie dénommée Polysius Actived Clay.
Un choix qui lui permet ainsi de réaliser des économies sur les coûts du clinker, matière première utilisée jusque-là par bon nombre de producteurs de la filière, et dont la pénurie a souvent engendré des hausses spectaculaires des prix du ciment sur le marché national, et par ricochet sur le marché de la Cemac à la grande désolation des consommateurs au pouvoir d’achat diminué. Car les pays de la sous-région sont la destination d’une importante quantité du ciment produit en territoire camerounais. Cimpor, 6ème opérateur de la filière, emboitait ainsi le pas à l’un de ses concurrents, Cimenteries du Cameroun (Cimencam). En octobre 2023 en effet, la filiale du groupe Lafarge-Holcim-Maroc Afrique (LHMA) annonçait la production ultérieure de ciments à base de marbre.
En seulement six mois d’activité en territoire camerounais, le cimentier Cimpor a injecté 670 000 tonnes de ciment sur le marché domestique camerounais. C’est une performance non négligeable pour une société qui, pour l’heure, endosse le maillot de dernier-né d’une filière camerounaise où l’ont précédé, Cimencam, Dangote Cement Cameroon, Cimaf, Medecem, et Mira
La bataille de l’extension des capacités installées
Si l’un de ses prédécesseurs, Medcem, la filiale du groupe turc Eren Holding revendique une capacité annuelle de 600 000 tonnes, la capacité installée de Cimenterie du Portugal Cameroun est de 1 million de tonnes par an. Pour un investissement initial de 64,4 millions dollars (39 milliards de francs CFA). C’est un peu plus que les 46 millions d’euros soit environ 30 milliards de francs CFA que son prédécesseur sur le marché camerounais, l’opérateur Mira Company, la filiale camerounaise du groupe libano-chinois Mira, a investis en 2020 pour l’extension de ses usines grâce à la mise en service d’une seconde chaine.
Cet investissement colossal a permis à Mira Company d’accroître sa production annoncée à 1 million de tonnes au lancement, et d’égaler le volume actuel d’1,5 million de tonnes du Nigérian Dangote Cement Cameroon. Et Mira Company ne compte pas s’arrêter là. Elle pourrait à terme atteindre la capacité du leader actuel, Cimencam, dont la production annuelle est de 2,2 millions de tonnes de ciment. A la suite de Mira Company, Ciments de l’Afrique (Cimaf) a à son tour annoncé vouloir tripler sa production, qui, jusqu’en 2023, stagnait à 500 000 tonnes.
Installée au Cameroun depuis 2012, opérationnelle depuis 2014, la filiale du marocain Addoha compte tirer profit des 42,7 millions de dollars (26 milliards de francs CFA) qu’elle a investis pour la construction d’une deuxième ligne de production. Prévue pour être mise en service au dernier trimestre de 2023, le démarrage de la nouvelle unité était finalement annoncé pour fin mars de l’année courante (2024), d’après cet opérateur. Cette deuxième ligne a bénéficié des facilités prévues par le code des investissements de 2013 au Cameroun révisé en 2017. Le 3 février 2022, un accord y afférent avait été signé entre les actionnaires de Cimaf et l’Agence de promotion des investissements (API). Avec la mise en service de cette unité de production,
Cimaf devrait pouvoir prétendre à une plus large couverture des différentes régions du pays, voire servir les pays frontaliers notamment la République Centrafricaine. Enfin, cette extension devrait permettre de créer plus de 450 emplois directs et indirects, et permettre ainsi un impact socioéconomique favorable sur l’environnement direct de la société,
indiquait le cimentier Cimaf. En 2019, Cimaf avait obtenu un permis d’exploitation d’une carrière de marbre, matière plus disponible sur le territoire que le clinker, dont les importations sont contraignantes. La filiale de la multinationale marocaine a réalisé un chiffre d’affaires de .47,06 millions USD (28,5 milliards de Francs CFA) en 2018.
Cimencam, le leader historique bousculé
Cimencam, l’ancêtre du secteur de la cimenterie, qui opère depuis 50 ans au Cameroun, n’est donc pas de tout repos tant la concurrence se veut féroce. En compétition permanente avec Dangote Cement Cameroon (DCC), la filiale du nigérian Dangote Cement, qui a brisé le monopole en 2015, Cimencam demeure leader du marché avec une capacité de 2,2 tonnes. Mais il doit faire preuve de plus de créativité et d’innovation. Se revendiquant 30% des parts du marché contre 32% pour DCC, la filiale de Lafarge Holcim prévoyait une production de 2,3 millions de tonnes début 2024 grâce à la mise en service annoncée de la deuxième ligne de son usine de Figuil, dans le Nord Cameroun, d’une capacité de 500 000 tonnes l’an. Dangote Cement Cameroon, lui, annonce depuis 2015 la construction de sa deuxième unité non pas sur les berges du Wouri où elle est installée, mais dans la capitale Yaoundé.
La bataille des prix
En 2023, les cinq multinationales opérant au Cameroun ont produit 5 millions de tonnes de ciment destiné au marché local, mais aussi aux exportations dans la sous-région. Les parts du marché de Dangote se situaient à 32% . Le chiffre d’affaires annuel global de ces producteurs est estimé à 313,7 millions USD (190 milliards francs CFA). Au premier semestre 2023, Dangote Cement Cameroon a réalisé l’une de ses meilleures performances depuis la mise en service de ses usines de Douala. L’opérateur a vendu 700 000 tonnes de ciment, revendiquant de facto 33,3% des parts de marché. Cette embellie refaisait surface après la saison des vaches maigres dues à la pandémie de la covid-19. Fin septembre 2022, l’entreprise a broyé 998 000 tonnes (998 kilotonnes) de clinker contre 1 million de tonnes à la même période en 2021. Loin donc de sa capacité annuelle de 1,5 million de tonnes.
C’est au cours de cette période de pandémie, justement, que les prix ont explosé sur le marché. Les producteurs pointaient la hausse du coût du fret de 165% entre janvier 2021 et décembre 2022. Ce à quoi s’ajoutait la hausse des cours mondiaux du clinker de 89%. Une situation qui avait alors impacté le coût de la production du sac de ciment, passant de 1,65 USD (1000 F CFA) à 1,98 USD (1200 F CFA), justifiaient les producteurs. En décembre 2023, le ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana a dû intervenir pour imposer une grille tarifaire aux cinq cimentiers et notamment Dangote Cement Cameroon et Cimpor Cameroun.
Ces producteurs étaient alors sommés de réduire de 150 francs CFA (environ 22 centimes d’euros) le prix du sac de ciment. Le sac de ciment Falcon 32,5R de DCC devait ainsi passer de 7,59 USD (4600 F) à 7,34 USD (4450F). En novembre de la même année, les producteurs Cimencam, Cimaf et Mira Company étaient soumis à la même injonction dans un pays où ce matériau de construction demeure un luxe au-dessus des bourses moyennes.