Le 24 avril 2024, le groupe NJS, fondé par le défunt milliardaire camerounais Jean Samuel Noutchogouin, a élargi le portefeuille de ses investissements dans la filière agricole en s’offrant une nouvelle usine de fabrication d’aliments pour animaux. L’infrastructure d’un coût de 8,1 millions USD (5 milliards de francs CFA) est située à Olembe, en banlieue nord de Yaoundé, dans la capitale politique camerounaise.
Inaugurée par le ministre camerounais de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia), le docteur Taïga, l’usine a une capacité de production annuelle de 100 000 tonnes d’aliments pour différents types d’animaux de tous âges, bétail, poulets pondeuses et poules de chair, mais aussi les chevaux, les petits ruminants (lapins), les produits de l’aquaculture entre autres. L’accent sera mis dans un premier temps sur les aliments en granulés et miettes pour bétail et volaille. Ensuite, la production va s’étendre aux aliments pour poissons et au traitement des graines de soja, selon le directeur général belge.
L’usine est le fruit des efforts financiers conjugués des investisseurs camerounais et de leurs partenaires belges, détenteurs de 20% du capital de la société Provenderie du Centre, qui est la dernière filiale du groupe NJS avec un capital de 1,6 million de dollars (un milliard de francs CFA). Sa création se justifie par la demande sur le marché sans cesse croissant des produits avicoles aussi bien au Cameroun que dans la sous-région.
L’inauguration de l’usine d’Olembe, fruit de nombreux investissements sans précédents dans toute la région Cemac, va également permettre à notre groupe d’atteindre une autonomie complète dans nos activités pour les régions du Centre, du Sud et de l’Est, afin de mieux servir nos clients et de répondre à tous leurs besoins dans la chaîne de valeur agroindustrielle,
a déclaré le président du conseil d’administration du groupe NJS, Marcel Tchagongom.
Approvisionner l’Afrique centrale
Pour sa part, le directeur général de la Provenderie du Centre, Bart Buytaert, a souligné le caractère stratégique de cet investissement en ces termes :
Il s’agit d’une nouvelle unité du groupe NJS qui vise à prendre en charge la production, au Centre, des aliments déjà produits deux mois auparavant à l’Ouest, que nous avons décidé de délocaliser ici (à Yaoundé). La région du Centre est très porteuse pour l’élevage ; elle représente déjà 40 à 45% du chiffre d’affaires du groupe. Nous avons également souhaité nous rapprocher des matières premières nécessaires à la fabrication des aliments qui proviennent du Nord et du Sud.
Une partie de la production de la société Provenderie du Centre (600 à 700 tonnes par mois) sera consommée par la ferme parentale située à Obala, à une trentaine de kilomètres de Yaoundé. Le reste de la production va être distribué dans les régions du Centre, du Sud et de l’Est Cameroun, ainsi que dans des pays voisins notamment le Tchad, la RCA, le Congo, le Gabon et la Guinée Équatoriale. Cet investissement colossal vient créer l’émulation dans un secteur très porteur au regard des enjeux démographiques et économiques du continent africain, que l’on crédite d’une forte croissance à l’avenir. L’augmentation du nombre de bouches à nourrir incite à investir davantage dans l’industrie alimentaire.
L’Afrique, deuxième croissance la plus importante au monde en 2023
Leader mondial sur le segment de la fabrication des aliments pour les poulets de chair, l’Afrique du Sud a reconstitué son cheptel avicole décimé par des épisodes de grippe aviaire, de fièvre aphteuse et de peste porcine. La nation arc-en-ciel a ainsi permis à la production mondiale de battre des records de progression de croissance de 21% en 2023, avec 17,3 millions de tonnes d’une année à l’autre, selon le rapport « Agri-Food Outlook » par la société américaine Alltech.
En revanche, le marché de la fabrication des aliments pour poules pondeuses s’est fortement contracté l’année dernière. Le Nigeria en est un cas d’école. La flambée des prix du maïs jaune, ainsi que la régression de la demande, ont convaincu les éleveurs à se concentrer sur l’élevage des poulets de chair notamment la gamme 45 à 75 jours qui permet de rentrer plus rapidement dans le retour sur investissements, au détriment des poules pondeuses, qui, elles, doivent attendre six mois avant le début des pontes.
Selon Alltech, en 2023, l’industrie africaine des aliments pour animaux a enregistré la seconde croissance mondiale (1,94%) avec une production de 51,42 millions de tonnes, tout juste derrière l’Océanie (3,71%). Une croissance observée malgré le ralentissement global à l’échelle mondiale (-0,42%), accentué en Europe (-3,82%) et en Amérique du Nord (-1,67%), nous apprend le rapport.
Dans le détail, la contraction concerne également la production des aliments pour les porcs (-0,84% à 3,8 millions de tonnes), mais davantage celle des vaches laitières (-10,67% à 5,3 millions de tonnes) et des produits de l’aquaculture (5,5% à 1,58 million de tonnes). Le segment des poules pondeuses sur la même période a connu en revanche la plus forte contraction (10,82%), se situant à 8,6 tonnes selon la même source.
En 2023, l’Afrique comptait 2 188 usines de production d’aliments pour animaux, contre 2 038 en 2022. Soit une légère progression. L’année 2022 apparaît comme la plus difficile pour les vaches laitières qui ont connu un repli de 9% à 5,59 millions de tonnes. La production d’aliments a atteint 42,8 millions de tonnes en recul de 3,86% en comparaison avec la performance affichée en 2021. La crise a été plus spectaculaire en Europe (-4,67%).
Le secteur des aliments aquacoles n’a pas échappé à ce repli (2,38% à 1,44 millions de tonnes), excepté en Afrique du Sud, en Zambie, au Ghana, au Zimbabwe et aux Seychelles. Plusieurs principaux fournisseurs, à l’instar de l’Égypte, du Maroc, du Kenya et du Nigeria ont subi une baisse de la demande due aux épidémies, aux difficultés d’approvisionnement des usines et à la flambée des prix des matières premières.
Le Kenya en a été plus affecté (baisse de 44%) par la sécheresse qui a fait grimper le prix du maïs de 60%. Les aliments pour poulets de chair ont chuté de 5,95% à 13,12 millions de tonnes, tout comme ceux destinés aux poules pondeuses (baisse de 3,96% à 9,22 millions de tonnes). La baisse s’est globalement située à 5% d’une année à l’autre. Le segment du bétail a cependant été tiré (4% de plus qu’en 2021, à 2,57 millions de tonnes, grâce à la bonne performance de la filière bovine namibienne et mozambicaine.
Le défi de l’approvisionnement en matière première
Le défi à relever pour optimiser les investissements africains dans la nourriture pour les animaux demeure la disponibilité des matières premières, en dépit de la confiance affichée par le directeur général de Provenderie du Centre. Au Cameroun par exemple, la production du maïs a été fragilisée par le coût élevé des engrais. Un phénomène amplifié par la crise sanitaire (Covid-19) et la guerre en Ukraine. Comme l’explique François Ndjonou, le président de l’Interprofession avicole (LIPAVIC) interviewé par RFI :
Avant nous on achetait le kg de maïs autour de 180F CFA et, en début d’année 2023, on est passé à 300F. Vous imaginez ? Le prix avait plus que doublé. Il faut d’abord résoudre ce problème principal de la matière première. Que le ministère en charge de l’Agriculture développe la production de maïs.
En tout état de cause, les acteurs de la filière et les gouvernants ont intérêt à booster la production agricole pour escompter les bons resultats. Pour le moment, 20 à 40% du maïs utilisé pour les aliments d’animaux sont issus des importations et les éleveurs camerounais peinent à faire des bénéfices après l’écoulement de leurs poulets de chair à cause du coût de l’aliment du bétail. A titre d’illustration, depuis 2023, la production avicole camerounaise stagne à 44 millions de tonnes à cause des effets de la grippe aviaire de 2016.
Protéger la filière contre la concurrence internationale
Les Ivoiriens l’ont compris en accueillant dans la zone industrielle d’Akoupé-Zeudji, dans la commune d’Anyama, en banlieue nord-ouest d’Abidjan (Pk24), en janvier 2023, les investissements de la société néerlandaise Koudijs, filiale de Royal de Heus, spécialisée dans la nutrition animale. Les investissements de 17,9 millions USD (11 milliards de francs CFA) vont permettre la production de 120 000 tonnes d’aliments extensibles à 250 000 tonnes à terme. Les matières premières (riz, maïs manioc, huile de palme, tourteaux de soja) seront produites sur place.
Mais l’autre défi reste la protection d’une filière africaine menacée par la concurrence des pays où la filière bénéficie de subventions colossales. Depuis 2009, la filière avicole ivoirienne fait partie des secteurs vitaux de l’économie qui bénéficient d’une protection contre la concurrence internationale moyennant l’imposition de taxes à l’importation de volailles. Les autres pays gagneraient peut-être à suivre cet exemple.