Selon le rapport de la Commission d’enquête mise sur pieds suivant l’arrêté n°185/0855/MINT/AVIA/MTA du 04 avril 1985 du Ministre des Transports du Cameroun, intitulé « Investigation Report of the Cameroon Airlines Boeing 737 Registered under TJ-CBD on august 30, 1984 at Douala Airport », il est établi que les causes de l’accident sont une défaillance mécanique due à la rupture du disque du 7e étage du moteur droit ayant causé la perforation du réservoir de l’aile droite par les débris libérés, l’écoulement du carburant sur les parties chaudes du moteur et sur le parking, l’embrasement du carburant, puis l’incendie.
L’accord transactionnel entre les quatre (4) victimes américaines de l’accident et Boeing Company et Pratt & Whitney, sanctionné par le jugement civil n°3-88-215 du 14 novembre 1990 rendu par le Tribunal du District du Minnesota (USA), gardé secret (non publié) du fait d’un scellement prévu par la législation américaine, constitue une reconnaissance hors de tout doute des responsabilités de Boeing Company et Pratt & Whitney sur la cause génératrice de l’accident du Boeing 737-200 de la Camair, notamment le défaut de fabrication de l’avion.
C’est sur ces fondements, que le 17 novembre 2014, soit trente (30) ans plus tard, l’Etat du Cameroun représenté par Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, et la Société Cameroon Airlines (Camair) en Liquidation, représentée par le Cabinet Bekolo And Parteners, Liquidateur de la Camair, ont assigné les sociétés Boeing Company et Pratt & Whitney à comparaître par devant le Tribunal de Grande Instance du Wouri, afin d’établir leur responsabilité pour exclusive et solidaire de l’accident, et demander la réparation des préjudices subis ainsi que les dommages et intérêts, étant donné que le fait supposé générateur de la responsabilité, s’est produit à Douala au Cameroun lieu du fait dommageable.
Le 11 mars 2024, soit près de 40 ans après l’accident et 10 ans après le dépôt au Tribunal de Grande Instance du Wouri de la plainte de l’Etat du Cameroun et la Société Cameroon Airlines (Camair) en Liquidation, contre les sociétés Boeing Company et Pratt & Whitney, le Tribunal a rendu son verdict en reconnaissant la responsabilité civile délictuelle de Boeing Company et Pratt & Whitney pour faute de négligence, et en les condamnant par conséquent à payer solidairement à la société Cameroon Airlines en Liquidation, la somme totale de FCFA 158 480 000 000 (soit environ USD 264 130 000).
Pendant les 10 ans qu’a duré le procès au Tribunal de Grande Instance du Wouri à Douala, Boeing Company et Pratt & Withney étaient représentés et défendus par un avocat qu’ils ont constitué à cet effet depuis 2014.
➢ Informations concernant l’avion accidenté:
- Contrat d’achat de l’avion: Purchase agreement n°732 du 04 mars 1976 entre Boeing
Company et Camair
- Date d’acquisition par Camair : 15/02/1977
- Type : Boeing 737-2H7C; Age de l’avion à la date de l’accident : 7 ans et 6 mois
- Numéro de Série (MSN) : 21295 LN : 484
- Moteurs: 2 Pratt & Whitney JT8D-15
- Numéro d’Immatriculation : TJ-CBD; Nom de baptême : Le Noun
➢ Indemnisation des victimes par l’assureur:
L’assureur de la Camair à la date de l’accident était la Socar, actuellement en liquidation.
Les victimes de l’accident ont été indemnisées par l’assureur, ainsi que la Camair. Dans le cadre d’un accord transactionnel homologué par le jugement civil n°3-88-215 du 14 novembre 1990 rendu par le Tribunal du District du Minnesota (USA), les quatre (4) victimes de nationalité américaines brûlées dans cet accident (2 adultes et 2 enfants) ont été indemnisées par Boeing et Pratt & Withney à hauteur de 5,4 millions USD, et par l’intermédiaire de leurs assureurs Boeing et Pratt & Withney se sont engagés de payer pour les deux (2) enfants, la somme totale de 18,5 millions USD soit 10 milliards FCFA pour les préjudices soufferts depuis la date de l’accident jusqu’en 2040.
L’arrêt n°11/CIV du 02 juin 2022 de la Cour Suprême du Cameroun, dans l’affaire Timoh Wah Victor (Commandant de bord) contre Boeing Company et Pratt & Withney, a confirmé le jugement n°536/CIV du 16 août 2013 du Tribunal de Grande Instance du Wouri condamnant Boeing Company et Pratt & Withney à payer à Timoh Wah Victor une somme d’argent au titre de préjudices matériel, physiologique et moral.
➢ Autre accident d’un avion Camair de type Boeing 737-200 en 1995
L’avion Boeing 737-200 de la Camair immatriculé TJ-CBE également doté de moteurs JT8D15 de Pratt & Withney s’est écrasé le 3 décembre 1995 aux abords de l’aéroport international de Douala faisant 71 morts. La rupture des ailettes du flanc moteur n°1 gauche ayant entrainé un incendie a été mise en cause par le rapport d’accident publié en 1996.
Aucune plainte n’avait été déposée contre Boeing et Pratt & Withney.
➢ Préjudices subis par la Camair :
L’accident du 30 août 1984 du Boeing 737-200 a entrainé pour la Camair :
- la perte totale d’un bien matériel (l’avion) qui avait été acheté par la Camair auprès de Boeing Company avec un défaut de fabrication caché qui n’a été révélé qu’à la suite de l’accident tragique du 30 août 1984 à Douala ;
- des pertes d’exploitation du fait de la diminution des revenus due à la perte d’un avion ;
- la perte de réputation et d’image auprès de la clientèle nationale et internationale ;
- l’accroissement de l’endettement de la compagnie pour le financement des déficits d’exploitation et de l’acquisition d’un avion en remplacement.
C’est à partir de cet accident d’avion du 30 août 1984, que la Camair est entrée dans une zone de turbulence et n’était plus viable. L’aboutissement de cette descente a été la mise en liquidation de la Camair le 31 mars 2006 par décision de son Assemblée Générale Extraordinaire, après plus de 20 de maintien artificiel en exploitation, grâce aux subventions de l’Etat du Cameroun.
➢ Décisions du Tribunal de Grande Instance du Wouri (TGI) – Douala
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en chambre civile, les juges de première instance, en formation collégiale, à l’unanimité des membres, ont prononcé le jugement n°262/CIV du 11 mars 2024, ainsi qu’il suit :
- Constaté que les sociétés Boeing Company et Pratt & Withney n’ont pas respecté les normes impératives de la sécurité prévues par l’Annexe 8 de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à la Navigabilité des aéronefs et le « Code of Federal Regulations » du 06 avril 1970 des Etats-Unis d’Amérique, toute chose qui a mis en péril la sécurité de l’aéronef, en ce que la panne n’a pas été contenue ;
- Constaté que cette négligence des sociétés Boeing Company et Pratt & Whitney a causé des préjudices à la société Cameroon Airlines en Liquidation ;
- Mis en œuvre la responsabilité civile délictuelle des sociétés Boeing Company et Pratt & Whitney pour faute de négligence ;
- Condamné par conséquent les sociétés Boeing Company et Pratt & Whitney à payer solidairement à la société Cameroon Airlines en Liquidation, la somme totale de FCFA 158 480 000 000 (soit environ USD 264 130 000), ventilée ainsi qu’il suit :
– Préjudice de perte de l’aéronef (coût de remplacement à date) : FCFA 27 780 000 000 (soit environ USD 46 300 000) ;- Perte d’exploitation : FCFA 127 500 000 000 (soit environ USD 212 500 000) ;- Préjudice extrapatrimonial (réputation) : FCFA 3 000 000 000 (soit environ USD 5 000 000) ;- Frais de procédure : FCFA 200 000 000 (soit environ USD 330 000) ;
- Rejeté comme non fondée la prétention relative à la condamnation pour préjudice distinct de l’Etat du Cameroun ;
- Débouté les demandeurs du surplus et des autres chefs de demandes comme non fondées ;
- Ordonné l’exécution provisoire du jugement à hauteur de FCFA 27 780 000 000 (soit environ USD 46 300 000) représentant le coût de remplacement à date de l’aéronef ;
- Ordonné la publication du jugement aux sièges sociaux des sociétés défenderesses et son insertion dans un journal d’annonces légales au Cameroun ;
- Condamné les sociétés défenderesses aux dépends solidaires.
➢ Suites de l’affaire:
Avec l’appui de l’Etat du Cameroun, principal actionnaire (97% du capital social) de la Camair, la liquidation de la Camair mets en œuvre les diligences nécessaires afin de recouvrer par les voies judiciaires ou amiables, les sommes qui lui ont été attribuées par la justice, dans l’intérêt des finances publiques du Cameroun et de la compagnie nationale Camair-Co qui pourrait bénéficier d’avions de type Boeing dans le cadre d’un règlement global de cette affaire.
Douala, le 25 juillet 2024
Emile C. Bekolo,
Expert-Comptable, Managing Partner,
Bekolo & Partners