Le prix mondial de l’huile d’olive a franchi un sommet historique en mars 2024, atteignant 9 200 dollars la tonne, selon le Département américain de l’Agriculture (USDA). Cette flambée, causée par une sécheresse persistante en Espagne, premier producteur mondial avec plus de 40% du marché, crée une tension sans précédent sur l’offre. Dans cette reconfiguration du marché, l’Afrique, jusque-là marginale, rentre dans le jeu avec des ambitions claires. En 2023, la production mondiale d’huile d’olive a atteint 3,2 millions de tonnes, selon les chiffres du Conseil oléicole international (COI).
La consommation mondiale, quant à elle, progresse à un rythme annuel de 2,5%, selon un rapport de la FAO, publié en 2023, tirée par les bienfaits santé attribués à l’huile d’olive. Avec une production de 350 000 tonnes en 2023, d’après les données du ministère de l’Agriculture tunisien, la Tunisie se classe au 4e rang mondial, derrière l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Le pays possède près de 2 millions d’hectares d’oliviers, mais son rendement moyen reste faible ; environ 1,5 tonne par hectare, en raison de techniques agricoles souvent traditionnelles, et d’un manque d’irrigation dans certaines régions.
L’un des atouts majeurs de la Tunisie réside dans sa forte orientation à l’export: 90% de sa production est vendue à l’étranger, principalement sous forme d’huile en vrac, destinée à être reconditionnée en Europe. Les principaux marchés d’exportation sont l’Espagne, l’Italie, les États-Unis et, de plus en plus, la Chine. De son côté, le Maroc a considérablement développé sa production oléicole au cours de la dernière décennie, passant de 120 000 tonnes en 2015 à 180 000 tonnes en 2023, selon l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA).
Cette progression s’explique en grande partie par le Plan Maroc Vert, un programme gouvernemental ayant investi plus de 10 milliards de dirhams (environ 1 milliard de dollars) dans la modernisation des exploitations agricoles, l’irrigation et la plantation de nouvelles oliveraies. Contrairement à la Tunisie, le Maroc conserve une part importante de sa production pour le marché local (environ 100 000 tonnes consommées annuellement), tout en développant ses exportations vers l’Europe (France, Belgique) et l’Amérique du Nord.
Un marché en pleine expansion
L’Algérie a également accru sa production, ces dernières années, atteignant 120 000 tonnes en 2023, selon le ministère de l’Agriculture algérien. Le gouvernement mise sur des subventions pour encourager les plantations, avec un objectif de 5 millions d’oliviers supplémentaires, d’ici cette fin 2025. Cependant, le secteur souffre encore d’un manque d’infrastructures de transformation, ce qui limite les exportations. En effet, seulement 20 000 tonnes exportées ont été exportés en 2023.
En dehors du Maghreb, l’Afrique du Sud et l’Égypte se positionnent comme des producteurs secondaires, mais en croissance. L’Afrique du Sud, avec ses 15 000 tonnes annuelles, mise sur des huiles haut de gamme destinées à l’export et aux marchés locaux premium. L’Égypte, quant à elle, produit environ 20 000 tonnes, principalement pour sa consommation intérieure. Notons qu’il y a une demande forte dans certains pays africains. Le Maroc est le premier consommateur africain d’huile d’olive, avec 100 000 tonnes utilisées annuellement. Cette forte demande s’explique par des traditions culinaires ancrées, et une sensibilisation accrue aux bienfaits nutritionnels de l’huile d’olive.
L’Algérie suit avec 80 000 tonnes consommées, un chiffre en augmentation constante (+8 % par an), malgré des prix encore élevés pour une grande partie de la population. La Tunisie, bien que grand producteur, ne consomme que 40 000 tonnes, car une grande partie de sa production est exportée. En Afrique subsaharienne, la consommation reste faible, mais progresse, notamment en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, où les classes moyennes urbaines adoptent progressivement l’huile d’olive. Ces pays importent encore la quasi-totalité de leur approvisionnement (environ 5 000 tonnes combinées en 2023), principalement depuis l’Europe.
Des investissements structurants
En Tunisie, le secteur a bénéficié d’un financement de 210 millions de dollars de la Banque mondiale depuis 2018 pour améliorer la chaîne de valeur oléicole. C’est ce que révèle un rapport de la Banque mondiale, publié en 2023. Ces fonds ont permis la modernisation des huileries, la formation des producteurs et la certification des huiles d’olive biologiques, destinées à des marchés premium.
Au Maroc, les investissements privés dans le conditionnement et la transformation ont triplé entre 2010 et 2023, atteignant 3,2 milliards de dirhams (environ 320 millions de dollars), selon les données de l’Agence pour le Développement Agricole (ADA). Des projets d’unités industrielles modernes ont vu le jour dans les régions de Fès-Meknès et de Marrakech-Safi, zones phares de l’oliveraie marocaine.
Par ailleurs d’autres investisseurs étrangers sont séduits par l’Afrique. Le géant espagnol Deoleo, propriétaire de la marque Carbonell, a signé en 2023 un partenariat stratégique avec l’entreprise tunisienne CHO Group, pour l’export d’huile d’olive tunisienne labellisée. En Afrique du Sud, des fonds d’investissement britanniques comme AgDevCo ont injecté 12 millions de dollars dans des projets oléicoles en 2022, misant sur la qualité du terroir sud-africain, et l’essor d’un marché haut de gamme.
Au Kenya, l’entreprise italienne Olivado développe des plantations d’oliviers dans les hautes terres, avec l’ambition de produire la première huile d’olive d’Afrique de l’Est, d’ici 2026, selon un rapport de l’East African Business Times publié en novembre 2023.
Des signaux encourageants
Malgré cette dynamique, la filière oléicole africaine fait face à des défis: faible mécanisation ; dépendance climatique ; qualité inégale, et manque de stratégie marketing à l’échelle continentale. En 2022, selon le COI, à peine 5 % des huiles d’olive africaines exportées portaient une marque locale reconnue, le reste étant vendu en vrac, souvent sous label européen.
De plus, la logistique portuaire et les coûts d’exportation freinent la compétitivité. À titre d’exemple, l’exportation d’un conteneur d’huile d’olive du Maroc vers la Chine coûte 35% plus cher que depuis l’Espagne, d’après les analyses de la Banque africaine de développement, dans son rapport publié 2023 sur la compétitivité agroalimentaire. Alors que le marché mondial est en quête de nouveaux fournisseurs stables, l’Afrique dispose d’atouts: un potentiel foncier sous-exploité ; un climat favorable ; une main-d’œuvre disponible et des savoir-faire traditionnels.